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INCARNATION


que l’incarnation fût faite, non immédiatement après la chute, mais dans la plénitude des temps dont parle saint Paul, Gal., iv, 4. Trois raisons de convenance semblent devoir être apportées — a) La dignité du Verbe incarne demandant, pour que l’Homme-Dieu fût reçu dans le monde avec révérence, que l’incarnation n’eût lieu qu’un temps assez long après les commencements de l’humanité. Il fallait que la venue du Verbe incarné fût comme le point culminant de l’histoire du monde. — b) L’utitile des hommes, auxquels l’incarnation apportait le remède du péché, est une deuxième raison du recul de l’incarnation dans les temps. Il fallait que l’homme, convaincu par de longs siècles de faiblesses et d’erreur de son impuissance personnelle, fût pour ainsi dire amené par la force des choses à s’humilier et à reconnaître la nécessité de l’intervention divine. Cf. Rom., iii, 23. Les Pères de l'Église oscillent entre ces deux premières raisons et souvent les juxtaposent. Eusèbe affirme que la venue relativement tardive du Christ avait pour but de préparer les hommes à une vertu plus haute et de les rendre plus dignes. Demonstratio evangelica, I. VIII, proœmium, P. G., t. xxii, col. 569. La raison tirée de l’humiliation nécessaire pour que les hommes se retournassent vers Dieu avec confiance est donnée par saint Grégoire de Nysse, Adversus Apollinarem, P. G., t. xlv, col. 1273 ; Théodoret, Græcarum af/ectionum curatio, vi, P. G., t. lxxxiii, col. 988, sq ; Tertullien, Scorpiace, c. vi, P. L.. t. ii, col. 133. La raison d’une préparation plus digne du Verbe, plus fructueuse pour les hommes, se trouve chez saint Augustin, In Joa., tr. XXXI, n. 5, P. L., t. XXXII, col. 1638 ; De diversis quæstionibus LXXXiii, q. XLiv, P. L., t. XL, col, 28 ; S. Ambroise, iîp/s^, Lxxiv, P. L., t. XVI, col. 1255 ; S. Léon le Grand, Serm., xxiii, de Nalivitate Domini, 4, P. L., t. Lrv, col. 202. Rapprochez S. Irénée, Cont. hær., 1. TV, c. xxxviii, n. 1, P. G., t. VII, col. 1105. — cj L’ordre qui veut que l’on progresse de l’imparfait au parfait, est un troisième argument, fondé sur les données de l'Écriture, Gal., iii, 24 ; iv, 1 ; iii, 25 ; iv, 4-7 ; I Cor., xiii, 9-12 ; et présenté par saint Thomas avec sa profondeur habituelle, Sum. theoL, III*, q. i, a. 5-6 ; cf. In IV Sent., t. III, dist. I, q. i, a. 4. — d) Une dernière raison concerne la vocation du peuple juif. Ce peuple devait, dans les desseins de Dieu, être dispersé à travers les nations païennes pour y apporter, y maintenir la connaissance et l’espérance du Messie futur. Il fallait donc que des siècles s'écoulassent, pour permettre aux juifs de remplir leur mission. Cf. Suarez, op. cit., disp. V, sect. ii ; Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, part, ii, c. XV.

Ces raisons n'épuisent pas la question de la convenance par rapport à l'époque de l’incarnation. Il reste, en effet, à résoudre une difficulté : le recul de la réalisation des desseins miséricordieux de Dieu jusqu'à la « plénitude des temps » n’a-t-il pas été cause de la ruine éternelle d’une multitude d'âmes ? Les théologiens répondent négativement, tout d’abord parce que le nombre des élus dépend de la prédestination, c’est-à-dire de la libre volonté de Dieu, cf. S. Thomas, Sum. theol., III », q. i, a. 5, ad 2^"'^ ; In IV Sent., t. III, dist. I, q. i, a. 4, ad 21’m ; ensuite, parce que jamais la grâce n’a fait défaut aux hommes, même avant la venue du Sauveur, dont la promesse avait été faite et l’espérance accordée aux premiers hommes dès le paradis terrestre. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. xcviii, a. 2, ad 4'"i' ; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. 1 1 1, dist. XXV, a. 1, q. ii, ad 5'"" ; Suarez, De legibus, t. I, c. viii. C’est dans cette espérance du Messie futur que les hommes pouvaient trouver la source de la grâce nécessaire au salut.

S. Bonaventure, op. cit., dist. I, a. 2, q. iv. Mais on insiste : si la grâce n'était pas refusée à ceux qui vécurent avant Jésus-Christ, du moins, leur étaitelle départie avec plus de parcimonie et, partant, moins d'âmes sauvées, tel a été le résultat de ce retard dans l'époque de l’incarnation. On apporte même à ce sujet l’exemple de T> r et de Sidon, Matth., xi, 21. Mais, fait encore remarquer saint Bonaventure, le bien commun doit passer avant le bien de quelques individus, et le bien commun exigeait sans aucun doute ce retard, ibid., et d’ailleurs, comme on l’a déjà dit, la prédestination des hommes dépendant du bon vouloir de Dieu, il n’est personne de ceux qui étaient destinés au bonheur éternel, qui ait manqué ce bonheur par suite de la venue relativement tardive du Sauveur. C’est une affirmation toute gratuite de dire que la venue plus hâtive du Messie eût été l’occasion du salut pour un plus grand nombre d'âmes ; peut-être eût-ce été le contraire, cf. Suarez, De incarnatione, disp. VI, sect. ii, Jésus ne pouvant avoir, dès les débuts de l’humanité, des disciples aussi nombreux, et ses leçons pouvant facilement se perdre et s’oublier dans la suite des âges. Le cardinal Billot, op. cit., p. 49, ajoute à ces considérations une remarque opportune : la certitude humaine des miracles et des enseignements du Christ dans le monde, motif puissant de crédibilité, aurait singulièrement perdu de sa force, parce que, le Christ venant sur terre dès les débuts de l’humanité, sa vie n’aurait pas été placée dans la pleine lumière de l’histoire et l’argument prophétique aurait complètement fait défaut. Sur les circonstances de détail, année précise, jour et mois, le libre choix de Dieu rend parfaitement convenable les moindres particularités de la naissance du Sauveur. Cf. S. Thomas, Sum. theol., m », q. xxxv, a. 8, et les commentateurs de cet article.

S. Thomas, Sum. IheoL. Illa, q. i, a. 5-G ; In IV Sent., I. III, dist. I, q. i, a. 4 ; Cont. gentes, I. IV, c. Lv ; Suarez, De incarnatione, disp. VI ; Petau, De incarnatione, t. II, c. xvii, n. 1-6 ; Gonet, Clypeus, disp. III, a. 3 ; Salmanticenses. In Sum. S. Thomee, toc. cit. ; Frasscn, De incarnatione, tr. IV, disp. I, a. 1, sect. ii, q. iv ; Billot, De Verbo incarnalo, th. iv ; Janssens, De Deo homine, t. I, part. I, sect. i, n. 2 ; Chr. Pesch, De Verbo incarnate, n. 388-389.

2. Circonstance de lieu.

Sur la naissance à Bethléem, voir S. Thomas, Sum. theol., III, q. xxxv, a. 7. Il ne s’agit ici que du choix de notre planète comme lieu de l’incarnation. Est-il convenable que la terre ait été choisie ? L’incarnation, en effet, est un si grand mystère qu’on a peine à concevoir que ce mystère ait été réalisé dans et pour une portion si minime de l’univers. La conception de la terre, centre du monde, est insoutenable : il est vraisemblable, que dans d’autres mondes, existent d’autres hommes ou d’autres créatures raisonnables ; il paraît inconvenant de restreindre aux seuls habitants de notre planète les effets de l’incarnation et de la rédemption. De là, l’hypothèse de la pluralité des mondes habités. Jusqu’ici les théologiens n’ont pas été très favorables à cette hypothèse. Cf. Mgr Paquet, dans The american catholic quarterly review, avril et juillet 1884. Mgr Janssens incline visiblement vers l’opinion communément admise, De Deo creatore et de angelis, Fribourg-en-Brisgau, 1905, p. 230-231. Le cardinal Billot rejette l’opinion afiirmant la pluralité des mondes comme une opinion en partie très fausse, falsissima, en partie toute hypothétique, maxime hypofhetica. Il fait observer que l’exiguïté de notre terre n’a aucune portée contre la convenance de l’incarnation. D’une part, en effet, l’incarnation domine les exigences de toute créature ; du fait que le Verbe s’est incarné, il ne suit pas que l’incarnation