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INCARNATION


de l’incarnation à des effets, objets de notre connaissance naturelle. DoCi l’impossibilité d’arriver, soit par voie d’intuition, soit par voie de raisonnement, à conclure positivement à la possibilité du mystère. Cf. Suarez, loc. cit., n. 4 ; Gonet, op. cit., n. 5$1-$28 ; Billuart, loc. cit. ; Alvarez, De incarnationc, q. I, a. 1, disp. I ; Lessius, In Sum. S. Thomæ, III q. I, a. 1, dub. III ; De Lugo, De incarnationc, disp, I, sect i ; Mastrius, De incarnationc, disp. I, q. ii, a. 2, n. 56, 57, etc. — 4. La raison théologique. — « De quels moyens, d’ailleurs, disposerait la raison pour démontrer (la possibilité de) ce dogme ? Toute démonstration procède ou par les causes et les raisons propres, mettant pour ainsi dire à nu la racine même de la vérité, ou par les effets et les manifestations extérieures. Qui donc peut se llatter de connaître à fond les causes de l’incarnation ? La cause efficiente ne nous est révélée entièrement que lorsque la cause formelle est évidente elle aussi. Or, pour acquérir cette évidence dans l’incarnation, il faudrait connaître la personne divine qui prend une nature créée. Mais la personnalité de Dieu, nous n’arrivons à nous la représenter que par analogie, par des concepts abstractifs, incapables de décrire ou de traduire telle qu’elle est, la transcendante réalité. La révélation affirme bien le fait : « union de la nature divine et de la nature humaine en une seule personne, » mais cet énoncé, bien loin de satisfaire et de reposer entièrement la raison, susciterait plutôt chez elle des objections et des troubles, puisque partout où notre esprit constate une nature complète, il découvre aussi une personnalité propre et indépendante ; et c’est pourquoi il nous faut le témoignage divin pour nous rassurer et nous reposer. La preuve par les effets n’aboutit pas davantage à l'évidence intrinsèque. Les elTcts surnaturels, les miracles suffisent à nous convaincre que le Christ dit vrai quand il se proclame le Dieu incarné et que, par conséquent, nous devons croire à sa parole ; mais ce n’est là que l'évidence de crédibilité préalable à la foi, non point l'évidence de l’objet qui engendre la science : nous concluons qu’il faut admettre l’incarnation, nous ne voyons pas l’incarnation elle-même, et la fonnule dogmatique « une seule personne en deux natures, » quoique très croyable, reste toujours pour nous l’inévidentet l’insondable. L’histoire même des erreurs (christologiques) est la démonstration douloureuse et éclatante que la révélation, en nous certihant l’existence du fait surnaturel, n’enlève pas le voile qui couvre le divin aux yeux des mortels et que l’incarnation est un de ces abîmes que l’Esprit de Dieu seul peut voir jusqu’au fond. » E. Hugon, Le mystère de l' incarnation, Paris, 191, 3, p. 52-53. Cf. Suarez, op. cit., præf. n. 1 ; Vacant, op. cit., n. 794-795.

3° La notion d' incarnation est spécifique de la religion révélée. — Il suffit d’indiquer brièvement cette conclusion de tout ce qui vient d'être dit, pour écarter l’interprétation rationaliste de la notion d’incarnation. Le rationalisme, en elTet, constatant, dans la religion catholique, la notion du mystère de l’incarnation, s’elïorce d’expliquer cette notion en lui enlevant son caractère de mystère. La première voie qui s’est olïerte à lui fut la voie philosophique. C’est dans la première moilié du xixe siècle qu’en Allemagne, avec les semi-rationalistes : Hermès, Giinther, l’roschammer, et leurs disciples, ce dénigrement du caractère surnaturel des vérités révélées se fit jour dans les discussions théologiques. Ces auteurs mainlenaient en paroles l’existence du mystère ; ils supprimaient en fait le caractère strictement surnaturel du mystère et partant le mystère luimême, en accordant à la raison la puissance naturelle de pénétrer jusqu’au mystère en lui-même. L'école

rationaliste française fut plus radicale et plus claire : le mystère pour elle n’est qu’un symbole, enfanté par l’enthousiasme puéril de générations ignorantes. L’incarnation n’est donc qu’un symbole. « Dieu ne dédaigne pas de se manifester à nous, et nous sommes les complices de ses manifestations ; non pas en ce sens qu’il emprunte à la famille humaine une nature comme la nôtre, mais en ce sens plus profond, plus philosophique, que l’homme est le théâtre, ou, pour mieux dire, le sujet d’une irradiation incessante de la divinité. Cachée dans la nature sous la fatalité des lois, elle apparaît en la raison ; la raison c’est le Logos des anciens, le Verbe fait chair chanté par l’apôtre Jean, le Dieu du genre humain, le Christ universel qui nous fait tous chrétiens. » Ainsi pouvait être résumée, au sujet de l’incarnation, la doctrine rationaliste, par le P. Monsabré, en 1857, Introduction au dogme catholique, iv" conférence. Les adversaires visés par l'éminent orateur étaient principalement Jules Simon et Victor Cousin. La réfutation du symbolisme rationaliste est classique : elle est constituée par la démonstration de la crédibilité des dogmes. Voir plus loin. Mais il est à noter que cette conception symbolique des dogmes a été reprise avec une apparence plus scientifique et plus religieuse par le modernisme. Voir, sur l'élaboration du dogme de l’incarnation, la position prise par les modernistes. Hypo statique (Union), col. 564-566. Le rationalisme, pour enlever au mystère de l’incarnation son caractère surnaturel, a emprunté aussi une autre voie, celle de l’histoire comparée des religions. D’après cette méthode, l’incarnation (comme beaucoup d’autres vérités surnaturelles) ne serait pas une notion spéciale à la religion révélée. Les mythes anciens, surtout dans les religions de l’Inde et de Babylonie, fourniraient des types de dieux unissant à la divinité une forme humaine. Le concept chrétien ne serait donc pas original, et partant, son caractère surnaturel en recevrait une atteinte complète. Mais l'étude consciencieuse des textes démontre qu’il n’y a ni emprunt à constater, ni rapprochements réels à faire. Les points de contact sont superficiels ; les simihtudes toutes de surface et accidentelles. Cf. Louis de la ValléePoussin, Bouddhisme, Paris, 1909, et Religions de l’Inde, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d’Alès, t. ii, col. 687-702 ; De Grandmaison, art. Jésus-Christ, n. 42, ibid., col. 1312 ; A. Condamin, Babylone et la Bible, ibid., t. i, col. 373. L’idée de l’incarnation, telle que la formule la foi catholique, ne se retrouve dans aucune religion humaine. Les analogies que nous rencontrons dans ces religions sont vagues, superficielles, toutes d’apparence ; s’elTorce-t-on d’analyser le concept qu’on a sous les yeux, on y trouve toute autre chose que l’idée chrétienne. J., Souben, Nouvelle théologie dogmatique, Paris, 1914, Le Verbe incarné. Introduction, n. 3. Il est parfaitement inutile de consacrer une étude spéciale à des rapprochements très accidentels et superficiels, pour démontrer qu’en regard de l’histoire comparée des religions, la notion de l’incarnation reste une notion spécifique de la religion révélée. Le peu qu’on doit dire sur ce point trouvera sa place à l’article Jésus-Chiust.

A" Le rôle de la raison en face du my.^tère de l’incarnation. — Il importe bien plus de montrer aux rationalistes quel rôle la raison humaine est appelée à jouer dans la présentation du mj’stère de l’incarnation à l’adhésion de l’intelligence. On sera ici forcément bref, puisque le problème qui se pose n’est qu’une application particulière de principes plus généraux, voir Mystère et Dogme, t. iv, col. 1606 sq., et qu’il doit recevoir ses développements spéciaux ailleurs. — 1. La première tâche de la raison