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IMPECCABILITE


eux Occam, Maj or, Gabriel Biel, avaient, pour combattre les opinions courantes, imaginé diverses hypothèses, outre celle mentionnée plus haut. Ainsi Dieu ne pourrait-il inventer un être corporéo-spirituel, avec toutes ses facultés, mais plus parfait que nous, tellement qu’il serait fixé dans le bien ? Ou encore Dieu ne pourrait-il créer une volonté déterminée raétaphysiquement au bien par un concours divin spécial ?

Valentia, In 7^", disp. II, q. xiv, p. i, Scot surtout. In IV Senl., t. II, dist. XXIII, q. imica, admettent les hypothèses nominalistes, du moins en se tenant au point de vue philosophique.

Molina est à rapprocher de ces opinions, lui qui admet que Dieu peut créer un être à qui la vision intuitive, laquelle certainement entrahie l’impcccabilité, serait naturelle.

c) Saint Thomas, loc. cit., et De veritale, q. xxiv, a. 7, et tous ses disciples avec lui, pensen L que nulle créature ne peut exister qui soit, de par sa nature, impeccable absolument. De par sa nature, l’homme peut pécher et contre les lois de l’ordre gratuit surnaturel et contre les lois même de l’ordre naturel ; d’autre part, il n’y a pas à imaginer une autre substance corporéospirituelle que l’homme. Voir Ame, forme du corps. — Pour l’ange, on peut et il faut admettre qu’il est essentiellement impeccable dans l’ordre naturel, mais il ne l’est pas de soi dans un ordre de fin et de lois surnaturelles.

Par rapport donc à la fin surnaturelle, toute créature est de soi improportionnée, défectible, non impeccable.

d) Enfin Suarez, loc. cil., ici comme ailleurs a cherché une voie moyenne entre saint Thomas et Scot. Il admet la peccabilité de toute créature avec le docteur angélique, mais il ne croit pas plus que Scot à l’impeccabilité naturelle des anges dans l’ordre de pure nature. Il admet aussi une impeccabilité de grâce, comme connaturelle, média via, croit-il, possible entre scotistes et thomistes. Voir ibid., n. 5.

e) Concluons par quelques considérations sur la solution du problème, avec saint Thomas pour guide. Voici d’abord la raison profonde dernière que le docteur angélique, nulle part peut-être plus angélique, donne de la peccabilité radicale de toute créature.

Toute créature est tirée du néant ; elle n’est donc pas sa perfection à elle-même, son Bien absolu à elle-même. Elle est donc pour une fin extrinsèque et pour acquérir, par l’union avec cette fin, une perfection intrinsèque qui achèvera son être. Toute créature est ainsi essentiellement une puissance, une capacité d’être, en tendance à une fin d’après une loi située hors d’elle-même. — La créature n’a donc pas en elle-même les principes adéquats de sa perfection et d’elle-même elle peut en être privée pour diverses raisons ; d’elle-même elle est défectible.

Appliquons cela à la créature morale, à la volonté libre. Toute volonté créée, parce que radicalement ex nihilo, n’est pas le Bien suprême, mais une puissance en marche vers le Bien suprême situé hors d’elle-même. Nous pouvons donc la regai’der soit en marche vers ce terme de son existence voyageuse, soit dans l’élan final qui doit l’unir à lui. En route sa marche serait naturellement infaillible si elle avait, de par son essence, en elle-même la règle certaine du droit chemin et du marcher persévérant. Dans l’union au terme suprême, cette union serait de nouveau naturellement inamissible et la volonté serait ainsi fixée à jamais dans le bien, si elle possédait en elle-même une force intrinsèque personnelle d’adliésion inébranlable à l’ÊLie infini.

Mais peut-on — je ne dis pas imaginer, car imaginer est un grand défaut en psychologie spirituelle — peut-on concevoir une créature qui soit à elle-même de par son essence sa règle parfaite d’agir, au moins

dans un ordre surnaturel et spécifiquement divin ? Cela serait contradictoire. Peut-on encore concevoir un être créé qui, de par sa nature, s’élèverait à la’ision adéquate et à la possession absolue du Bien suprême, seule force d’adhésion immuable avec lui, en toute hypothèse ? Cela encore est contradictoire, car la vision et la possession intuitives de Dieu, par définition, sont la vie propre et spécifique de Dieu et ne peuvent donc devenir l’apanage naturel d’une créature qpielconque : agere sequitur esse : agir formellement divin, essence divine. Il faut être Dieu pour avoir de par sa nature la fixité dans la possession absolue immédiate du Bien infini. La volonté créée ne l’a pas d’elle-même et si, pourtant, elle y est dirigée comme à sa fin, ce n’est pas en elle qu’elle aura le principe d’une union impeccable ; d’elle-même elle pourra au contraire lui rester infidèle et ainsi défaillir.

En résumé, d’après saint Thomas, De veritale, loc.cit., aucune volonté créée n’a en elle-même la raison de tout bien. Or la faculté n’est infaillible de par sa nature que pour ce dont elle possède en elle-même la raison ou la perfection constitutive. Donc aucune volonté créée n’est, de par sa nature, impeccable en tout ordre de bien. Voir Anges, 1. 1, col. 1235-1237, spécialement sur la question de l’impeccabilité des anges dans l’ordre naturel.

Cette façon de concevoir est bien celle d’ailleurs que suggère la lumière révélée. Anges et hommes de fait ont péché ; ils n’étaient donc pas impeccables de nature, autrement leur nature se serait détruite. Or toute créature spirituelle semble bien devoir être identique en substance à l’ange ou à l’homme.

f) Mais si la liberté créée, de sa nature, peut pécher, est-ce que de sa nature elle ne pourrait pas aussi ne pas pécher ? Pouvoir pécher n’inclut-il pas pouvoir ne pas pécher et donc pouvoir ne jamais pécher si on le veut suffisamment ?

Non. Notre nature, soit en elle-même de par sa fragilité essentielle, soit dans l’état de déchéance originelle, soit même après la sanctification surnaturelle de l’âme ici-bas sanctification non intégrale, - notre nature ne peut éviter longtemps le péché mortel sans des secours divins, qui lui sont d’ailleurs dûs, en tant que forces médicinales nécessaires. Avec ces secours, l’homme, le juste surtout, et finalement le juste seul dans notre ordre, peut pratiquer le bien et éviter tout péché grave ; mais il n’a pas pour cela une force efficace, une assurance infaillible contre toute chute, il peut ne pas pécher mortellement, mais il n’a pas le pouvoir infaillible de ne jamais pécher. Voir Grâce, t. vi, col. 1583-1594, 1C77 (nécessité de la grâce), col. 1595 (la grâce dans le juste), et Persévérance.

Enfin la grâce peut être perdue par nous ; ce n’est pas en nous une semence ou parcelle divine incorruptible (gnoses diverses), ni une prédestination inadmissible absolument (Calvin) ou relativement (Luther), en deux mots, elle n’est pas un principe fatal d’impeccabilité mécanique à l’usage de certains élus, mais un principe fécond de vie divine encore imparfaite. Voir Grâce, col. 1628-1630, et les articles GnostiasME, Protestantisme, Prédestination.

Impeccabilité par grâce sur la terre.

Après

l’article du De veritale cité plus haut, saint Thomas se demande si la liberté créée peut au moins par grâce devenir impeccable et cela soit, dans la gloire, soit dans l’état présent de voie. Considérons d’abord cette dernière hypothèse. Cf. S. Thomas, De veritale, q. xxiv, a. 8, 9.

La volonté créée n’a pas en elle-même et naturellement la raison du Bien absolu, mais seulement celle de quelque bien particulier. Ce qu’elle n’a pas de nature. Dieu peut-il le lui donner par grâce ? De façon