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IMMACULÉE CONCEPTION


ir.ciît cffacés, s’ils diminuent quelque chose de votre grandeur ! Vous êtes innocent par nature, Marie ne l’est que par grâce ; vous l’êtes par excellence, elle ne l’est que par privilège ; vous l’êtes comme rédempteur, elle l’est comme la première de celles que votre sang a purifiées. » Puis, revenant à ses auditeurs : « Il est certes, tout à fait nécessaire qu’il surpasse sa sainte mère d’une distance infinie. Mais aussi ne jugez-vous pas raisonnable que sa mère ait quelque avantage pardessus le commun de ses serviteurs ? »

Même doctrine dans le second sermon, où Bossuet développe ces trois idées : « que l’autorité souveraine l’a dispensée de la loi commune ; que la Sagesse l’a séparée de la contagion générale : et que l’amour éternel de Dieu a prévenu par miséricorde la colère qui se serait élevée contre elle, » Les considérations mises en avant pour établir la convenance de cette dispense, de cette séparation et de cette miséricordieuse prévenance, avaient d’autant plus de poids aux yeux de l’orateur que, restant attaché à l’opinion commune des anciens scolastiques, il se faisait une idée très sombre de la concupiscence, élément matériel et quasi physique du péché originel, comme on le voit par son Traité de la concupiscence, par sa Défense de la tradition et des saints Pères et par ses sermons eux-mêmes. Si la concupiscence est vraiment un « venin caché, » une « vapeur maligne et contagieuse qui a infesté le genre humain, » si notre nature est blessée et corrompue, si nous portons un sang « impur et rempli de la conception du péché, » d’autant plus évidente et d’autant plus urgente apparaît la nécessité d’une intervention de la toute-puissance divine, et d’une intervention qui se produise non pas seulement après l’infection de la chair, afin que, par miracle, elle ne transmette pas de souillure à l’âme, mais encore et surtout auparavant, afin que la chair elle-même de la Vierge ne soit pas gangrenée. Sous ce rapport, plusieurs des considérations proposées n’ont qu’une valeur relative et hypothétique ; il faut sous-entendre : s’il est vrai que la concupiscence dise corruption physique de la nature ou gangrène de la chair.

Mais il suffit que le péché originel soit une souillure de l’âme et que la concupiscence soit à tout le moins un désordre et un mal moral, pour que les considérations de Bossuet gardent leur efficacité, celle surtout qui est à la base de toutes les autres : je veux dire la convenance tirée de la liaison intime qui existe entre la maternité divine et l’immaculée conception, t. ii, p. 257 : « C’est assez qu’il ait résolu d’être homme, pour en prendre tous les sentiments. Et s’il prend les sentiments d’homme, peut-il oublier ceux de fds, qui sont les plus naturels et les plus humains ? Il a donc toujours aimé Marie comme mère ; il l’a considérée comme telle dès le premier moment qu’elle fut conçue. Et s’il en est ainsi, peût-il la regarder en colère ? » Ainsi l’orateur fait-il comprendre que la raison dernière du glorieux privilège, comme de tous les autres, c’est la maternité divine : Marie, mère de Jésus, fut immaculée dans sa conception, et elle devait l’être, parce que mère de Jésus. Il juge la raison assez convaincante pour ne pas craindre de dire, t. i, p. 241 : « En réalité cette opinion a je ne sais quelle force qui persuade les âmes pieuses. Après les articles de foi, je ne vois guère de chose plus assurée. »

Devenu évêque, Bossuet ne modifia en rien ses sentiments. Il inséra une leçon sur la fête de la Conception dans son Catéchisme de Meaux, imprimé en 1690. Œuvres, édit. Lâchât, t. v, p. 183. On y lit, d’après l’enseignement commun des théologiens, « que par une grâce particulière, (Marie) a été immaculée, c’est-à-dire sans aucune tache et sans le péché originel. » Enseignement dont la raison est « qu’ils trouvent peu convenable à la majesté de Jésus-Christ que sa

sainte mère ait pu être un seul moment sous la puissance de Satan. > Jésus-Christ ne laisse pas, pour cela, d’être son Sauveur, « en la préservant du mal commun du genre humain, et en prévenant par sa grâce la rontagion du péché d’Adam. » Ce n’était pas innover. Déjà Richelieu, évêque de Luçon, avait dans une leçon sur la salutation angélique expliqué de cette sorte les mots (jratia plena : « En l’Écriture on trouve d’autres que la Vierge être dits pleins de grâce ; mais celle-ci l’est bien autrement que tous ceux en faveur desquels les saintes Lettres se servent de ces termes, puisqu’elle en est remplie, non seulement pour avoir été sanctifiée au ventre de sa mère, mais pour n’avoir jamais eu aucune tache de quelque péché que ce soit. Privilège accordé à elle seule avec grande raison, puisque seule elle est mère de notre rédempteur, qui détruit le péché. » Instruction du chrétien, Avignon, 1619, leçon XXIV. De même, dans les Instructions en forme de catéchisme, pour toutes les fêtes et solennités paroissiales, formant la quatrième partie du catéchisme qu’il fit imprimer en 1665, l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, inséra un chapitre sur la fête de la Conception immaculée de Notre-Dame ; Immaculée, était-il expliqué, « parce qu’elle seule d’entre les pures créatures a esté conceue sans péché originel, r Assertion dont il ne sera pas inutile de rapprocher quelques lignes du Martyrologe gallican de 1637, annonçant la fête en ces termes : < La conception de la très sainte vierge Marie, qui, choisie et prédestinée par Dieu dès l’éternité pour être la digne Mère de son fils unique, qu’il a donné au monde pour le racheter, ornée de dons et de privilèges innombrables, au-dessus de toutes les créatures, de sorte que rien ne lui manquât en perfection, en dignité et en gloire, a été prévenue dans sa génération même par la grâce divine afin qu’aucune souillure ne l’atteignît… » Lesêtre, op. cit., p. 112, 139 sq.

En Allemagne et en Italie, le B. Pierre Canisius et le vénérable Robert Bellarmin n’avaient pas fait autrement dans leurs catéchismes fameux. Le premier, expliquant la salutation angélique, proclame Marie non seulement vierge intacte avant, pendant et après l’enfantement, mais encore exempte de toute tache du péché, ab omni peccati labe libéra ; pareille à un lis entre les épines, quæ sicut lilium est inter spinas. Summa doctrina’christianæ, 1554, q. xviii. L’autre, expliquant la même prière, fait rentrer le privilège dans les mots gratta plena, en considérant le premier elTet de la grâce sanctifiante, qui est d’eiïacer le péché, souillure de l’âme : Domina nostra gratta plena est. Nam quantum ad primum effectum attinet, nullius peccati macula nec originalis aut actualis, nec morlalis aut venialis infecta fuit. Christianæ doctrinse copiosa explicatio, c. v, dans les Opéra omnia, Cologne, 1617, t. VII, col. 1262. Or ce catéchisme, composé par Bellarmin en 1598, le pape Clément ^’1II l’approuva cette même année par un bref ; non seulement il l’approuva, mais il exhorta tous les évêques à le recevoir et à l’adopter.

4. Conclusion : preuve tirée du sentiment commun. — De l’ensemble des faits qui précèdent, il ressort que, sans être unanimement admise, la pieuse croyance n’en était pas moins devenue, au milieu du xviie siècle, le sentiment commun, et dans les universités, et dans les ordres religieux, et chez les fidèles, et chez les pasteurs. Les défenseurs du privilège ne manquaient pas de se prévaloir de cette circonstance. « Depuis le temps de Scot, remarquait Vasquez, cette opinion s’est tellement réjjandue non seulement parmi les théologiens scolastiques, mais encore parmi les chrétiens en général, elle s’est peu à peu tellement enracinée dans les esprits, qu’on ne peut plus la faire abandonner à personne, ni l’en détourner, ita percrebuit et cuni hominum