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IMMACULEE CONCEPTION


appellalus, lœlus ad propria se recepit. Mais si le fait paraît indéniable, les circonstances qui le provoquèrent et l’accompagnèrent restent obscures. D’après le P. Prosper de Martigné, op. cit., p. 292, 387 sq.. l’incident aurait eu lieu en 1308, quand Scot eut expliqué la question de la conception, et l’affaire se serait réduite à une invitation adressée au jeune professeur (l’avoir à comparaître devant les maîtres de l’université pour 3’justifier son opinion nouvelle et, en apparence, formellement opposée au texte des Sentences. D’autres placent la discussion à l’arrivée de Scot à Paris et avant qu’il ne montât en chaire ; la façon dont il appuya son enseignement d’Oxford sur la conception de la bienheureuse Vierge, lui valut le droit d’entrée dans l’université gauloise. Lettre du R. P. Michel-Ange Sarraute, publiée par le P. Déodat Marie, Dans Scot et le statut catholique de la pensée à l’université de Paris, Le Havre, 1909, p. 135 sq. Quoiqu’il en soit de ces deux interprétations, la situa-I ion de Duns Scot, comme professeur, rend pleinement compte de la réserve qu’il observa dans la manière de traiter à Paris le problème délicat.

Malgré cette réserve, l’influence de Duns Scot fut liuissante et efficace. Il déblaya le terrain et simplifia la question, en distinguant et en séparant nettement des notions que les anciens défenseurs du privilège avaient souvent confondues ou du moins mêlées : conception commencée et conception consommée ; conception active et conception passive ; sanctification, ou plutôt purification de la chair ou du corps et sanctification de l’âme ; tache originelle contractée et nécessité préalable de contracter cette tache ; priorité logique et priorité chronologique. Du môme coup, le docteur subtil rejetait à l’arrière-plan les questions secondaires ou d’ordre purement philosophique, et il fixait la véritable signification du privilège en rattachant la sainteté de la bienheureuse Vierge à la conception passive parfaite ou consommée. Pour lui, dire que Marie fut exempte du péché originel ou conçue sans péché, c’était affirmer que son âme, créée par Dieu et unie au corps pour l’animer, fut au même instant ornée de la grâce sanctifiante ; en d’autres termes, c’était affirmer que la mère du Verbe incarné, considérée comme personne humaine, ne fut jamais, pas même un instant, atteinte de la souillure du péché.

Un autre mérite fut d’ébranler l’obstacle qui avait arrêté les grands scolastiques au xin’e siècle. Ils étaient arrivés à proclamer la toute -ainlelé de la Vierge, sauf au premier instant de son existence. Pourquoi cette restriction, cette exception unique ? Avant tout, [larce qu’ils jugeaient la chose impossible, non pas d’une façon absolue, mais relativement parlant, dans l’ordre actuel où tout rejeton d’Adam est un racheté ilu Christ. Or voilà que, dans l’argumentation du’.octeur subtil, le privilège se présentait comme possible, possible dans l’ordre actuel, grâce à une notion du rachat plus glorieuse pour le Christ rédempteur cl plus honorable pour sa mère bénie. L’obstacle

I branlé, la logique des principes devait porter à ne voir dans l’innnaculéc conception qu’un cas particulier, renlranl dans la croyance générale de l’Église’M la pureté parfaite et la sainteté suréminente de la mère de Dieu. Le travail des siècles suivants consistera principalement à mettre en relief la convenance ilu privilège et à en confirmer l’existence par l’étude et l’exploitation des éléments positifs du dogme, enveloppés dans les saintes Lettres et l’ancienne tradition.

.Mais la doctrine de Scot sur la conception de Marie ne serait-elle pas, sous un autre rapport, défectueuse ?

II considérait l’incarnation du Verbe el, par conséquent, l’existence de sa mère comme décrétées indépendamment du péché d’Adam et de la rédemption ;

l’immaculée conception qu’il admet ne passe donc pas par le Calvaire, elle est incompatible avec une rédemption vraie, une rédemption qui suppose l’application des mérites acquis par Jésus-Christ sur la croix. Cette attaque quitte le terrain du dogme ; elle s’inspire d’une théorie spéciale sur le debiluni peccati en Marie, théorie qui sera discutée à sa place, quand tous les éléments du problème auront été acquis. Contentons-nous maintenant de quelques remarques, en ce qui concerne personnellement le docteur subtil. S’il a soutenu ces deux assertions : l’incarnation du Verbe aurait eu lieu indépendamment du péché d’Adam ; la bienheureuse Vierge a été rachetée par son fils, c’est donc qu’il ne voyait entre les deux choses aucune incompatibilité. Mais nulle part il n’a présenté sa thèse sur l’immaculée conception en dépendance de sa théorie sur l’incarnation du Verbe en toute hypothèse. Si, dans le passage du Scriptum oxoniense où il traite de la conception de Marie, il parle incidemment du motif de l’incarnation, c’est en énonçant simplement l’opinion commune, n. 6 : Nécessitas incarnationis, passionis, etc., assignatur communiter ex peccato originali. Il affirme la nécessité d’une préservation actuelle pour qu’au moment de sa création et de son union avec le corps l’âme de IMarie ne contractât pas la tache originelle, et il affirme cette nécessité si nettement que beaucoup l’ont regardé ou le regardent encore comme un partisan du debitum proximiun. En réalité, il n’a pas traité ce point ex professa, et par là s’explique qu’il y ail eu et qu’il y ait encore diverses interprétations de sa pensée.

Fr. Gulielmi Guarræ, fr. Joatmis Duns Scoli, … Quæstiones disputatK de immaculaia conccptione beatæ Maria ; Virginis. Quaracchi, 1904 ; Prosper de Martipné, La scolastique et les traditions franciscaines, c. v ; P. Pauwels,

0. F. M., Les Iranciscains et l’immaculée conception, c. iii, IV, Malines, 1904 ; Cand. Mariotti, O. F. M., L’immaculata concezione di Maria ed i Franciscani, c. iv, Quaracchi, 1904 ; P. Adjutus, O. F. M., L’immaculée conception et les traditions franciscaines. Rapport présenté au Congrès mariai de Namur, le 13 juillet 1904, suivi d’une élude sur La doctrine de Duns Scot au sujet de l’immaculée conception, cl d’une discussion historique sur Le débat public du même auteur à la Sorbonnc, Malines, 1905 ; L. Baldwin, John Duns Scot and the immaculate conception, Rome, 1905 ; F. Dent, lilesscd John Duns Scot and Marti Immaculate, Rome, 1905 ; P. Raymond, art. Duns Scot, t. iv, col. 1896-1898 ; X. Le Baclielct, Saint Thomas, Duns Scot et l’immaculée conception, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, t. i, p. 601-616.

Développement de la réaction.

L’impulsion

donnée par Duns Scot devait produire ses fruits, mais avec le temps ; l’adhésion des théologiens â la croyance dont il s’était fait le champion, ne fut ni soudaine, ni surtout générale au début ; au contraire, il y eut d’abord une véritable mêlée, dont le premier résultai fut de trancher les camps.

1. L’opposition. - Pris dans l’ensemble, les frères prêcheurs restèrent fidèles à l’enseignement de leurs illustres docteurs : « Le fait est quc les maîtres de l’ordre au xiv siècle, pour le plus grand nombre, et quelques-uns après, ont déclaré suivre la doctrine de saint Thomas en refusant à la sainte Vierge le privilège de l’immaculée conception. » R. V. Mortier, Histoire des maîtres (jencraux de l’ordre des jrères prrciwurs, Paris, t. iii, p. ()17, note 2. Tels, pour ne citer que des autorités incontestables, Hervé de Nédélec, Durand de Saint-Pourçain. Pierre de la Palu, dans leurs commentaires sur les Sentences,

1. 111, dist. 111, el.lean de Naples, (Jnodl., Vl, q. xiii, dans Pierre de.lva, liadii solis, col. 1898. Hervé nie qu’on puisse considérer la Vierge ccnnnic vraiment rachetée [lar son fils, dans l’hypothèse où elle aurait été préservée de la faute qu’elle aurait dû encourir.