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IMMACULEE CONCEPTION


droit, l’obligation de contracter le péché originel ; de l’autre, le rapport de fdle de Dieu, qui s’attaciiait à son titre de future mère du Verbe et qui, entraînant une sanctification privilégiée, empêcha que l’obligation ne sortît son efîfet. Ces mêmes principes fournissaient il Scot une réponse générale aux textes patristiques objectés. Autre chose est l’immunité qui convient au fils, autre chose l’immunité qui convient à la mère. Celle-ci est exempte de la tache héréditaire en fuit seulement et par grâce, en vertu d’une application spéciale des mérites de l’unique rédempteur. Jésus-Christ, lui, est exempt de toute tache en droit et de par sa conception virginale, en sorte qu’il ne peut être ici question ni de rachat, ni de préservation, ni de purification quelconque. Là est le privilège personnel, exclusivement personnel du fils.

Dans tout ce qui précède le docteur subtil soutient plutôt la possibilité du glorieux privilège qu’il n’en établit la réalité ; tout au plus telle ou telle raison qu’il énonce, en particulier l’argument du parfait médiateur, contient-elle un titre de convenance en faveur de l’immaculée conception. Il va plus loin quand il répond à la question posée au début. Ad quæslionem dico, n. 9-10 : « Dieu a pu faire que Marie ne fût jamais soumise au péché originel ; il a pu faire qu’elle y fût soumise pendant un seul instant : il a pu faire aussi qu’elle y fût soumise pendant un certain temps et purifiée ensuite…. Laquelle de ces trois hypothèses s’est réalisée. Dieu le sait ; mais si l’autorité de la sainte Écriture et celle de l’Église ne font pas obstacle, il semble raisonnable d’attribuer à Marie ce qu’il y a de plus excellent, videtur probabile niiod excellentius est atlribuere Maria. » L’adhésion à la pieuse croyance est manifeste, bien que formulée en termes modestes. Elle réapparaît d’ailleurs, d’une façon plus positive et plus ferme, dans le même livre, dist. XVIII, q. I, n. 3, t. xiv, p. 684 ; il y parle de la bienheureuse Vierge « comme n’ayant jamais encouru de fait l’inimitié divine par le péché soit actuel, soit originel : quee nunquam fuit inimica actualiter ralionc peccati aciualis, ncc ratione originalis ; fuisset lamen, nisi fuisset prasservata.

Tel fut l’enseignement de Duns Scot à Oxford, alors qu’il n’était pas encore sorti d’Angleterre et n’avait pas pu rencontrer Raymond Lull ni, semble-t-il, prendre connaissance du Disputatio Eremitip et Raijmund /, composé à Paris en 1298. Voir col. 1062. L’enseignement du docteur subtil est, pour le fond, en rapport de dépendance étroite avec celui de son maître, Guillaume de Ware. La chose est manifeste en ce qui concerne la solution de la difficulté tirée de l’universalité de la rédemption opérée par Jésus-Christ ; le maître avait posé, au sujet du péché originel, la distinction fondamentale : contractum et cuntrahendum, col. 1062. Sans se servir des termes eux-mêmes, le maître et le disciple avaient énoncé les deux modes de rachat qu’on appellera plus tard rédemption libératrice et rédemption préserratrice, consistant l’une à payer la rançon de quelqu’un quand il est déjà dans les fers, et l’autre à la payer avant que le droit de servitude ne s’exerce, bien qu’il soit acquis. Mais sur d’autres points, le disciple dépasse et surpasse le maître. Guillaume de Ware était resté attaché à l’ancienne théorie physique de la concupiscence infectant la chair et transmettant le péché originel par son entremise : en conséquence, pour expliquer la possibilité d’une conception immaculée, il avait eu recours à l’hypothèse d’une purification préalable de la chair ou du corps dc’la bienheureuse Vierge. Abandonnant sur ce point l’ancienne école franciscaine, et se ralliant avec saint Thomas à la doctrine d’Anselme, Scot pouvait donner une réponse moins systématique et plus large, tout en maintenant la possibilité du glo rieux privilège même dans l’hypothèse d’une chair infectée par la concupiscence ou d’une autre façon.

Le docteur subtil fut amené à traiter le sujet une seconde fois. En 1304, le général des frères mineurs sollicita et obtint pour lui la Ucence d’enseigner à l’université de Paris. Son cours dura quatre ans ; c’est le Scriptum parisiense ou Reportala parisiensia, reprise et parfois retouche du commentaire d’Oxford. La question de la conception revint à la fin de 1307 ou au début de 1308, quand il expliqua le III « livre des Sentences. Reportata, t. III, dist. III, q. i, édit. Vives, t. XXIII, p. 261. La doctrine est la même qu’auparavant, mais deux particularités sont à noter. Scot commence par signaler et réfuter une singulière opinion, à savoir que le péché et la grâce se seraient trouvés en Marie dans un seul et même instant rôel : dicii unus doctor quod in eodem instanti fuit in peccnto et in gratia, n. 2-3. Détail plus important, sa conclusion personnelle est formulée d’une façon moin.s expresse que dans le commentaire d’Oxford ; il se contente d’affinner, sans rien de plus, la possibilité du privilège : potuit esse quod nunquam fuit in peccalo originali. En outre, dist. XVIII, q. i, ibid., p. 386, après avoir dit de la Vierge, comme jadis, qu’elle n’encourut jamais de fait l’inimitié divine par le péché actuel, quæ nunquam fuit inimica actualiter ratione peccati actualis, il continue en atténuant sensiblement l’ancien texte par une particule dubitative : et forte nec pro peccato originali, quia fuit præservata, ut supra diclum est. Une fois pourtant, au 1. IV (enseigné avant le 111% en 1306), dist. XVI, q. ii, n. 26, on rencontre. Incidemment inoncée, l’affirmation absolue d’une sanctification indépendante de toute idée de purification : absolute potest esse infusio gratiæ sine expulsione alicujus culpæ præcedenlis, sicut fuit in beata Virgine.

La différence de mode et de ton dans l’affirmation accuserait-elle un fléchissement dans la croyance au privilège ? Rien ne le prouve ; tout s’explique suffisamment par la réserve prudente qui s’imposait au jeune professeur dans ce milieu parisien où les grands maîtres venaient de soutenir Topinion contraire et où celle-ci comptait encore, parmi leurs disciples immédiats, de si chauds partisans. Les historiens des frères mineurs, en particulier Wadding, Annales minorum, an. 1304, n. 34, ont parle d’une grande joute théologique au cours de laquelle, mis en face de deux cents arguments contre la pieuse croyance, Scot les aurait réfutés d’une façon si péremptoire que la plupart des docteurs de Paris se seraient ralliés à sa thèse, et que l’université aurait dès lors imposé à ses membres le serment de défendre la pieuse croyance. Pris tel quel, le récit est inadmissible. Voir Denifle, Cliarlularium, t. ii, part. I, p. 118 ; franciscains de Quaracchi, Quæstiones dispulatæ, p. xvi. Sous les enjolivures il faut pourtant reconnaître un fond de vérité. Voir t. IV, col. 1866 et le P. Déodat-Marie, Un tournoi ttiéologique, série d’articles dans La bonne parole, et tiré à part. Le Havre, 1907. Notable est le témoignage d’un frère mineur contemporain, Ludolphe Caracciolo, qui fut, dit-on, élève de Scot, et devint évêque de Stable en 1326. puis archevêque d’Amalli de 1331 à 1351. Dans un passage utilisé par Antoine Cucaro, Elucidarius Virginis, Naples, 1507, (Pierre de Alva, Monumenta antiqua seraphica, p. 831), Ludolphe parle d’une dispute publique qui eut lieu à Paris, par ordre apostolique, et d’où Scot sortit vain queur, ayant fait approuver son opinion : Qui quidem Scotus confutalis rationibus et argumentis adversariorum, ita conceptionis Virginis innocentiam defensauit, quod adversarii omnes defecere in disputando. Quapropter opinio minorum a Parisiensi studio illico approbatur. Scotus vero, doctor subtilis propter lioc