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IMMACULEE CONCEPTION


et Raymundi super aliquibus dubiis quæstionibus Sententiarum Magislri Pétri Lombardi, q. xcvi : Ulrum beata Virgo conlraxerit peccatum originale. Opéra, t. iv, p. 83. Pour que le Fils de Dieu pût recevoir de Marie sa chair humaine, il fallait que la bienheureuse Vierge fût convenablement préparée, c’est-à-dire exempte de toute corruption et de tout péché, soit actuel, soit originel, scilicet quod non csset corrupta, nec in aliquo peccaio sive actuali siue originali, car Dieu et le péché ne peuvent se rencontrer dans le même sujet. Il fallait aussi que, dans cette œuvre de l’incarnation du Verbe, tout fût en harmonie, le principe, le milieu et la fin. Il fallait qu’entre la conception de la mère et celle du fils il y eût correspondance : ul sua conccptio et conceptio sui filii invicem relative sibi correspondcrent. Il fallait que Marie, prémices de la nouvelle création, ne fût pas inférieure au premier homme et à la première femme créés dans l’état d’innocence. Quelle conclusion Raymond Lull prétendait-il établir ainsi ? Que la bienheureuse Vierge n’a pas contracté le péché originel, et même qu’elle fut sanctifiée en sa conception première ou charnelle : ergo concluditur, quod beata Virgo non conlraxerit originale peccatum, imo fuerit sanctificata scisso seminc, de quo fuit, a suis parentibus. La chair qu’elle reçut de ses parents ne fut pas une chair de péché : Semen, de quo fuit beata Virgo, non assumpsit peccatum a suis parentibus.

Mais le genre humain tout entier n’a-t-il pas été corrompu par le péché originel, et, par conséquent, la bienheureuse Vierge issue de cette masse corrompue et non renouvelée encore n’a-t-elle pas dû contracter elle-même le péché originel ? Réponse : le Fils de Dieu, ayant en vue la nouvelle création avant qu’elle ne fût réalisée, a pu en préparer la matière dès le moment où Marie fut conçue par ses parents : concluditur quodFiliusDei potuerit prseparare materiam recreationis in principio conccptionis, quod beata Virgo habuit a suis parentibus. Mais comment resterait-il vrai que le genre humain tout entier ait absolument besoin d’être renouvelé, puisque, dans l’hypothèse, Notre-Dame échapperait à ce besoin ? Réponse : « D’après certains le Saint-Esprit sanctifia Marie et la purifia du péché originel dans le sein de sa mère ; de même, il a pu sanctifier et purifier du péché originel la matière dont la bienheureuse Vierge fut conçue, car sa puissance n’était pas moindre alors. » Ainsi ni le besoin ni le fait d’une action réparatrice ne sont niés, mais Lull anticipe pour la mère de Dieu l’action réparatrice, en la faisant porter sur la parcelle de chair communiquée par les parents dans l’acte générateur. Par là, son explication rentre dans l’un ou l’autre des systèmes de purification ou de préservation préventive que nous avons rencontrés dans les apologistes du xii^e siècle.

A ces écrits de Raymond Lull beaucoup ajoutent un traité spécialement consacré à la défense du glorieux privilège, sous forme de dialogue entre trois interlocuteurs, un jacobin, un canoniste et un séculier : De conceptu intemeratæ Virginis Marisa ab omni labe originali immuni, Séville, 1491 ; Valence, 1518, etc. ; trad. en catalan par Alonso de Cepeda, Bruxelles, 1664. Pierre de Alva l’a inséré dans ses Monumenta unliqua seraphica pro immaculata conceptione Virginis Mariæ, Louvain, 1665, sous ce titre : Raymundi Cintillis, alias Lullii, Liber de conceptu virginali, in quo ipsam Dci matrem purissiman sine aliqua originali peccati labe esse conceptam rationibus necessariis patet. Le texte latin et la ver. ion catalane ont été réédités à Barcelone, le premier en 1901, par J. Avinyô, l’autre en 190(), par le P. Rupert Maria de Manresa, capucin. La réédition du texte latin est enrichie d’une longue préface par le chanoine Salvador Bové. Cet éniinent

lulliste y défend de son mieux l’authenticité de l’écrit, mais les arguments qu’il apporte n’ont rien de décisif et ne résolvent pas suffisamment toutes les difficultés ; aussi le récent éditeur de la version catalane déclaret-il l’authenticité improbable dans V Advertencia ou remarque préliminaire et dans ses notes courantes, ]). 35, 59, etc. Jugement qui sera confirmé par ce que nous dirons plus tard de cet écrit.

Guillaume de Ware et Raymond Lull furent des précurseurs de Duns Scot, en ce sens large qu’ils enseignèrent et écrivirent avant lui. Furent-ils aussi ses précurseurs dans un sens sirict, en vertu d’une influence exercée sur le docteur subtil dans la doctrine de l’immaculée conception ? La chose ne paraît pas douteuse en ce qui concerne Guillaume de Ware, puisque, suivant la tradition franciscaine, il fut le maître de Scot. En va-t-il de même pour Lull ? Dom Salvador Bové l’affirme dans la préface citée et, parlant d’une façon plus générale, il y décerne au < docteur archangélique » le titre non moins glorieux de « docteur de l’immaculée conception, B en l’appuj’ant sur ces diverses raisons : le B. Raymond Lull est le premier docteur scolastique, le premier commentateur des Sentences, qui ait enseigné l’immaculée conception de Marie au premier instant de son existence ; il a défendu ce privilège dans un sens moins restreint que Duns Scot ; il l’a enseigné publiquement à l’université de Paris avant le docteur subtil : les arguments apportés depuis lors en faveur du glorieux privilège semblent tous, à commencer par ceux de Scot, tirés des œuvres du docteur archangélique. Le jugement à porter sur ces assertions peu communes est en grande partie dépendant de l’exposé qui sera fait plus loin de la doctrine de Scot sur la conception de la mère de Dieu. Contentons-nous ici de cette remarque : comme docteur scolastique enseignant formellement le privilège mariai et l’affirmant dans un commentaire sur les Sentences, Guillaume de Ware a incontestablement la priorité sur Raymond Lull, et, dans la mesure où le docteur subtil a subi l’influence du milieu et de ses devanciers, c’est d’abord du côté d’Oxford et de ses propres maîtres qu’il faut chercher.

1° La fêle de la Conception au Xiiie siècle. — Pendant les vives discussions que la pieuse croyance provoquait, que devenait la fête ? Elle continuait à gagner du terrain ; elle finit même par apparaître ou réapparaître dans des endroits où la croyance restait discutée. D’où la nécessité de distinguer, maintenant comme auparavant, entre le culte ou la dévotion et son objet.

1. Diffusion de la fête.

A en croire les adversaires, fort peu nombreux auraient été ceux qui, dans la seconde moitié du xm’e siècle, célébraient la conception de la mère de Dieu. Dans un ouvrage qu’il composa en Italie, avant son élévation au siège épiscopal de Mende (1286), Guillaume Durand emploie le tenue modeste de quelques-uns : Quidam ctiaiji fuciunt quintum festum, scilicet de Conceptione beatæ Mariai. Rationale divinorum offlciorum, t. VII, c. ^^l. S : iint Bonaventure use du même langage : suni tamen aliqui qui ex speciali devotione célébrant conceptionrm beatie Virginis. In IV Sent., t. III, dist. III, pari. I, a. 1, q. I, ad Iu"i. Le docteur angélique parle aussi de la tolérance de l’Église romaine à l’égard des quelques Églises où la coutume existe de célébrer cette fête : Tolérât consuetudinem aliquarum ecclesiarum illud festum celebrantium. Sum. theol., III », q. xxvii, a. 2, ad Sum ; cf. In IV Sent., l. III, dist. III, q. i, sol. 1°. Ailleurs, il met d’un côté la plupart des Eglises aec celle de Rome, ecclesia romana et plurimec oliæ, de l’autre quelques-unes seulement, atiquw. Quodi, VI, a. 7. Cette statistique n’a de valeur que dans un sens relatif : nu moment où Guillaume Durand,