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mail, q. ii, « n’avoir jamais entendu de ses oreilles soutenir que la Vierge Marie ait été indemne du péché oripinei, » il était sincère ; mais il parlail évidemment du milieu où il vécut, et dans ce milieu deux choses n’étaient pas sans exercer quelque influence : l’enseignement du Maître des Sentences dont ils expliquaient le texte et l’attitude prise au siècle précédent par les docteurs de Paris, quand l’évêque Maurice de Sully avait supprimé la fête de la Conception.

Heslreinte dans son étendue, l’opposition de ces théi lof^iens le fut aussi dans son objet. Ils se « ardèrent bien de méconnaître les données de la tradition qu’ils connaissaient, en particulier celle qui attriljuait à Marie une dignité et une sainteté proportionnées à sa qualité de mère de Dieu. Tous proclament son rôle de nouvelle Eve et de médiatrice ; ils reconnaissent la plénitude de grâces dont Dieu l’a comblée ; ils admettent volontiers, bien qu’à leur manière, le principe de saint Augustin : quand il s’agit de péchés, qu’il ne soit point question de Marie ; et celui de saint Anselme : il convenait que la Vierge Mère brillât d’une pureté sans égale au-dessous de Dieu. De « celle qui a enfanté le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité, » l’Ange de l’École dit : « Il est raisonnable de croire qu’en ce qui concerne les dons de la grâce, elle l’a emporté sur tous les autres., » Sum. iheol., III », q. xxvii, a. 1. A cette affirmation, mise en avant par les défenseurs de la pieuse croyance : « Tout ce que Marie a pu recevoir de perfection, elle l’a reçu, » Alexandre de Halès et les autres acquiescent, sous la seule réserve qu’il s’agisse d’une perfection convenable à la bienheureuse Vierge dans l’ordre actuel. De ces principes ils concluent à sa sanctification dans le sein de sa mère ; sanctification non pas quelconque, mais privilégiée, supérieure à celle des autres et par la perfection de la grâce reçue, et par cette circonstance que le fomes peccati ou le principe de la concupiscence, sans être encore éteint en Marie, avait pourtant été assoupi ou hé dans son exercice, d’où l’absence de toute faute actuelle et même de tout mouvement déréglé. C’était un progrès sur la doctrine marialogique de Pierre Lombard, et ce progrès préparait à sa manière le triomphe futur de la pieuse croyance.

Les grands théologiens du xiii'e siècle firent davantage ; ils déblayèrent le terrain, d’abord en laissant délibérément de côté des éléments parasites, comme les légendes orientales sur la conception et la naissance de Marie, puis et surtout en renversant ces théories caduques que les premiers défenseurs du privilège rencontraient constamment sur leur route et dont ils n’avaient pas réussi à se dégager : empreinte morbide, rattachée à une prétendue corruption de tous les germes physiquement contenus en Adam ; souillure physique, s’ajoutant à cette empreinte morbide en vertu de la concupiscence désordonnée, inséparable de l’acte conjugal dans l’ordre actuel ; caractère vicieux, à tout le moins matériellement, de la concupiscence et par suite de l’acte conjugal ; contamination de l’âme au moment de son union avec la chair corrompue. La réaction se fit, non pas brusquement, mais lentement et progressivement. Elle fut incomplète chez ceux qui restèrent inféodés à la théorie, dite augustinienne, de la transmission physique du péché héréditaire par la concupiscence actuelle ; mais le docteur angélique donna un fort coup de barre dans la bonne direction, en adoptant résolument et en perfectionnant même les vues de saint Anselme, col. 1052. Le péché originel proprement dit ne consiste pas dans la concupiscence, mais dans la privation de la justice originelle, considérée dans l’élément qui donnait à notre volonté d’être soumise à Dieu d’une façon permanente, c’est-à-dire la grâce habituelle

ou sanctifiante. Sum. Iheol., I » 11^, q. lxxxii, a. ; i ; De mulo, q. iv, a. 2, ad lum. La concupiscence n’est, en son principe, ni une empreinte ni une qualité morbide ; c’est une propension ou aptitude aux appétits déréglés, venant d’un défaut d’équilibre entre les facultés supérieures et les inférieures. De mulo, q. iv, a. 2, ad 4°™. Le saint docteur alla même jusqu’à considérer la transmission de la faute héréditaire comme n’étant pas nécessairement liée à la concupiscence actuelle, libido aclualis. Ibid., a. 5, ad 16uni. C’était jlorter le coup de grâce à la théorie de la transmission du péché originel par la concupiscence actuelle ou libido parentum, déclarée cause positive et physique de souillure, directement dans la chair et indirectement dans l’âme de l’enfant conçu. Une seule objection restait delxiut, celle que suscitait la rédemption de la Vierge par son fils ; ce fut la pierre d’achoppement. Mais d’avoir formulé l’objection capitale dans toute sa force et d’avoir obligé les autres à envisager et à discuter le problème en son point vital, ne fut-ce pas encore contribuer, bien cque d’une manière indirecte, à la solution définitive ?

3. Préludes de la réaction : les précurseurs de Duns Scot. — Malgré l’opposition, la pieuse croyance ne manqua pas de partisans dans la seconde moitié du xiiiîe siècle. Elle en eut, évidemment, parmi ceux qui célébraient alors la fête de la Conception de Marie dans le sens immaculiste. Elle en eut dans les monastères ; en Autriche et en Allemagne, Engelbert, abbé bénédictin d’Admont (1270), et Conrad de Brundelsheim, abbé cistercien d’ileilsbrorm (1299), sont cités en faveur du privilège par Augustin de Roskovàny, Beata Virgo Maria in suo conceptu immaculata. t. VIII, p. 2, d’après Pastoralblatl des Bistimms Eiclisiâtts, 1855, p. 36. En P’spagne, saint Pierre Paschaisc († 1300) parle très nettement dans un passage cité par Mgr Malou, t. ii, p. 136 : fuit per Deum ab omni macula tam orif/inuli quam morlali et veniali prasscrvata ; mais l’authenticité de l’écrit a été contestée. Elle en eut même parmi ceux qui, sur la fin du siècle, enseignèrent à Paris ; tels, notamment, Guillaume de Ware, en Angleterre, et Rajinond Lull, en Espagne.

Guillaume dé Ware, en latin Guarra, mort dans les premières années du xiv » siècle, naquit probablement à Ware, dans le comté de Hertford. Son nom se présente chez les auteurs avec beaucoup de variantes ou même de déformations : Varro, de Varra, de Waria, Verus, de Osna, etc. Franciscain d’Oxford, il conquit ses grades académiques à l’université de Paris. Hurler, Nomenclator, Inspruck, 1903 sq., t. ii, col. 330, dit qu’il brilla vers 1267 ; ce qui est certain, c’est que la carrière professorale de Guillaume de Ware, à Oxford et : i Paris, appartient surtout au dernier quart du xiii= siècle. Son commentaire sur les Sentences, resté manuscrit, se trouve en divers endroits, en particulier à Oxford, Merton Collège. Il y traite directement du privilège mariai, I. III, dist. III : Quæritur, utrum beata Virgo concepta fuerit in originali peccato. Cette question, jointe à celles de Duns Scot et de Pierre Auriol sur le même sujet, a été publiée en 1904 par les Pères franciscains de Quaracchi. Elle emprunte un intérêt spécial à cette circonstance, que, suivant la tradition de son ordre, Guillaume de Ware fut le maître du docteur subtil. Après avoir rapporté quelques arguments courants pour et contre, le professeur d’Oxford distingue trois manières de voir parmi les théologiens de son temps : les uns disent que la bienheureuse Vierge a été conçue dans le péché, mais qu’elle en a été purifiée immédiatement dans un seul et même instant réel, in alio iamen et alio signu cjusdem instantis ; d’autres affirment également que la Vierge fut conçue dans le péché, mais n’admettent