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IMMACULEE CONCEPTION


de Marie. Manière de voir dont il faudra désormais tenir compte, car elle se rencontrera parmi les théologiens qui regarderont la Vierge comme sanctifiée avant sa naissance sans admettre qu’elle fut sainte en sa conception.

4<’État du problème à la fin du Xlie siècle. — Eadmer et les autres champions de la Vierge immaculée n’avaient pas seulement affirmé la pieuse croj’ance ; ils l’avaient présentée sous une forme propre à lui concilier beaucoup de sympatliies, surtout parmi ceux qui aimaient à envisager la question sous un aspect moins spéculatif que pratique, en faisant large part aux intuitions de la piété. Ils avaient ébauché des preuves dont quelques-unes devaient rester, particulièrement la preuve de convenance, fondée sur les intimes relations qui ont existé, et telles qu’elles ont existé dans l’ordre actuel, entre le Sauveur et sa mère, entre le nouvel Adam et la nouvelle Eve. Mais tout, chez eux, ne fut pas d’égale valeur. Dans ce premier stade de la grande controverse, il était arrivé ce qui arrive presque toujours quand un problème complexe, resté longtemps dans l’ombre, devient l’objet d’une discussion publique : la lutte s’engage sur un terrain plus ou moins vague, et les obstacles surgissent. Dans le cas présent, la difficulté venait du problème pris en lui-même, problème insuffisamment étudié jusqu’alors ; elle vint aussi, accidentellement, de la façon dont le problème fut posé et résolu par les premiers apôtres du privilège mariai.

Un théologien contemporain a dit, en parlant de l’immaculée conception, qu’au début de la théologie scolastique, l’état de la question ne fut pas clairement établi, non juil clarc delcrminaliia. Christ. Pesch Præ-Iccliones dogmalicæ, t. in. De Deo créante et élevante, n. 323, 2e édit., Friljourg-en-Brisgau, 1899. La remarque est d’une incontestable justesse. Ces formules : Marie conçue sans pécha, Marie exemple du pèche originel, ont pour nous un sens simple et précis, maintenant que la valeur des termes a été fixée par l’usage commun ou par les déterminations du magistère ecclésiastique. Qu’il en allât autrement au xite siècle, ce qui précède l’a montré surabondamment. Des obscurités résultaient alors, et résultent encore maintenant ])<iur nous, des acceptions multiples où l’on prenait les tenues de conception et de péché ; acceptions souvent dépendantes, soit de fausses idées sur la nature de la concupiscence et du péché originel, s<iit de théories purement philosophiques sur la généliition, en particulier sur le développement progressif de l’embryon humain et sur l’époque où se réalise l’union de l’âme et du corps. Les défenseurs de la Mte prétendaient la justifier en soutenant que la conception de la bienheureuse Vierge fut sainte, mais de quelle conceplion parlaient-ils, et de quelle sainteté ? Car la sainteté qui convient à la chair, terme immédiat de la conception initiale, n’est pas la sainteté qui peut convenir à l’âme, unie au corps au moment de la conception consommée. C’est seulement à la (In du siècle, dans VEpislola du pseudo-Anselme cl dans le commentaire d’Alexandre Ncckam, que nous avons rencontré une distinction entre la conception charnelle et la concejition spiritucllr, avec cette particularité que le second semble ramener la conception spirituelle à une simple sanctification de Marie dans le sein de sa mère, elqiic le premier retombe dans les mêmes équivoques que ses devanciers en appelant saintes deux conceptions diverses, dont l’une concerne la seule chair, tandis que l’autre suppose l’âme créée par Dieu, ornée de la grâce sanctifiante et unie au corps.

Posée sans précision suffisante, la question ne pouvait être parfaitement résolue. Influencés à la fois par les idées qui prévalaient de leur temps et par

l’insistance avec laquelle leurs adversaires répétaient cette objection : œuvre de parents soumis à la loi de la concupiscence, la conception de Marie ne saurait être sainte, les défenseurs de la fête et de la croyance se préoccupèrent surtout de soustraire la chair de Notre-Dame, soit à une souillure provenant de la concupiscence actuelle des parents, soit à une empreinte morbide contractée dans Adam. De là vinrent les hypothèses que nous avons rencontrées : celle d’une conception active sans délectation sensuelle de la part de saint Joachim et de sainte Anne, et celle d’une préservation initiale de la parcelle de chair qui devait former le corps de la bienheureuse Vierge et celui de son divin fils. Arbitraires ou bizarres, ces hypothèses étaient, en outre, absolument insuffisantes pour expliquer une conception sainte, dans le sens théologique du mot, et positivement opposée au péché originel proprement dit ; car cette sainteté-là ne va pas, dans l’ordre actuel, sans la grâce sanctifiante, et celle-ci ne peut être que dans l’âme.

Ces singularités ne se rencontrent pas chez tous ; Eadmer, en particulier, s’était abstenu de toute explication positive et s’en était remis simplement à la sagesse et à la puissance divines. Mais sa doctrine n’échappait pas à un autre inconvénient, celui de laisser dans l’ombre un aspect important du problème. En aHlrmant que la mère de Dieu avait été purifiée par une application anticipée des mérites de son fils, l’unique rédempteur, saint Anselme l’avait implicitement comprise parmi les rachetés. Il fallait tenir compte de cette donnée et montrer qu’elle était conciliable avec l’exemption du péché originel, si l’on voulait rendre le privilège de l’immaculée conception théologiquement acceptable. En d’autres termes, deux vérités devaient s’harmoniser : d’un côté, Marie sainte ou exempte du péché dans sa conception ; de l’autre, Marie rachetée par Jésus-Christ. Si les docteurs immaculistes du xiie siècle se préoccupèrent de sauvegarder la première de ces vérités, ils négligèrent l’autre à telpoint qu’ils semblent n’y avoir pas songé ; ce qui, au siècle suivant, donnera prise à la critique des grands maîtres. l’ne nouvelle période de discussion était donc nécessaire, pour que le sens exact du privilège fût fixé et que, dégagée des idées fausses ou accessoires et en menie temps complétée, la vraie doctrine pût être établie et justifiée.

Mgr Matou, op. cit., t. t, c. iv, a. 3 ; Kellncr, Hcortologie, p. 190 sq. ; E. Vacandard, Les origines de la fcte de la Conception dans le diocèse de Rouen et en Angleterre, dans la Revue des questions historiques, 1897, t. lxi, p. 1 70 sq. ; Les origines de la fête et du dogme de l’immaculée conception. II. dans la Reuue du clergé français, lîllO, t. lxii, p. 257 sq. ; A. Noyon, Les origines de la tête de l’immaculée conception en Occident, extrait des Études du 20 seplembrc 1904 ; Noirs bibliographiques sur l’/'iiv/oirc de la théologie de l’immaculée conception, dans le Bulletin de littérature ecclésia.’ttique, Toulouse, mai 1914, p. 213-221 : IV. Les cominontaires d’.Mexandre Ncckam ; juillet-octobre 1920, p. 293308.VI. (La doctrine det’immaculèc conception au xir siècle) ; du même, dossier ms. comprenant des extraits d’auteurs et les n^sultafs d’une enquête sur la fête de la Conception on France, cf. Bulletin, juillet-octobre 1920, p. 300 ; II. Lesctre, L’immaculée conception et l’Église de l’aris, Paris, 1904 ; Edm. Speelman, Belgium Marianum. Histoire du culte de Marie en Belgique, Tournai, 1859 ; A. Déport, Le culte de l’immaculé’c conception en Gascogne, dans la Revue de Gascogne, nouv. série, Aucli, 1901. t. iv, p. 529-.162.

/II. XIII".SIÈCLE : l’opposition des grands scolastiqucs. — Nous arrivons au point critique dans le développement de la controverse, à l’époque visée par le patriarche Antliime de Constanlinople, dans la Lettre encyclique patriarcale et st/nodale du très saintsiège apostolique et patriarcal, Constanlinople, 1895 : I L’Église papale a encore innové, il y a quarante ans