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IMMACULÉE CONCEPTION


documents nouveaux ont été publiés, tandis que d’autres restent encore ensevelis dans les manuscrits des bibliottièqucs. Ces documents nouveaux sont malheureusement peu utilisés, et l’on continue à ne vivre que du passé.

Ce n’est pas ici le lieu "de traiter du péché originel dans l'Église grecque ; la question sera étudiée à l’art. PÉCHÉ ORIGINEL. Nous ne pouvons cependant nous dispenser d’en dire ce qui est absolumeiit indispensable pour l’intelligence des textes que nous apporterons tout ; l’heure pour établir la croyance des grecs à la conception immaculée de la mère de Dieu.

Faisons tout d’abord remarquer la tactique des adversaires de nos dogmes sur le terrain de l’histoire. Pour ruiner l’immutabilité de l’enseignement de l'Église et appuyer une théorie de l'évolution dogmatique qui l’ait disparaître la notion même du dogme, ces adversaires insidieux, qui veulent pourtant passer pour des historiens et des critiques impartiaux, prennent pour point de départ de leurs recherches l’expression la plus complète et la plus récente de la doctrine de l'Église, telle qu’elle a été élaborée après de longues controverses ou de longs siècles de méditation théologique. Ils s’attachent étroitement à cette ultime formule ; puis, ils abordent les monuments de l’antique tradition pour voir s’ils l’y rencontrent en propres termes. Esclaves volontaires et peu sincères d’un verbalisme étroit, et refusant de voir sous l'écorce des textes la substance de vérité qu’elle recouvre, ils concluent à la non-existence de la doctrine là où ils ne trouvent pas la formule actuelle. C’est avec ce procédé qu’on arrive à dire que saint Augustin a inventé le dogme du péché originel, ou que l'Église grecque ignorait ce dogme à l'époque de saint Jean Damascène. C’est par ce procédé encore qu’on n’apercevra la doctrine de l’immaculée conception que dans les textes qui diront en propres termes : " Marie a été exempte du péché originel dès le premier instant de sa conception. » On a vu certains théologiens catholiques sacrifier parfois à cette méthode pseudo-scientifique. N’est-ce pas, en effet, la première règle de toute exégèse d’interpréter les textes en fonction non seulement du contexte immédiat de l'écrit qu’on examine, mais encore de ce qu’on peut appeler le contexte de l’histoire, en tenant compte de l'époque et du milieu où l'écrivain a vécu, a écrit, a parlé? Il y a bien des manières d’exprimer une même vérité. A côté de l’expression adéquate, définitive, scolastique, que d’autres expressions moins parfaites dans la forme et cependant équivalentes pour le fond, surtout quand on songe à la multiplicité des points de vue sous lesquels peut être envisagée une même vérité révélée I

Prenons, par exemple, la doctrine de l’immaculée conception. A côté de la formule dogmatique employée par Pie IX dans la définition, il y a bien d’autres manières de rendre au moins l’idée principale qui fait l’objet direct de la définition. Dire que Marie a toujours été en grâce avec Dieu ; qu’elle a été créée semblable à Adam avant la chute ; qu’elle n’a jamais eu besoin d'être réconciliée avec Dieu ; qu’elle a été sanctifiée ou justifiée dès son apparition dans le sein maternel ; qu’elle a été toujours bénie et seule bénie, surtout si cette expression se rencontre sous la plume d'écrivains qui désignent le péché originel par le terme de « malédiction », àoâ ; qu’il est impossible de supposer en elle la moindre souillure de l'âme ou du corps, surtout si ceux qui parlent de la sorte ont l’habitude, dans leurs écrits, d’appeler le péché originel une souillure, pû-o ;  ; que Marie a été naturellement, ç-jiî :, exempte de la concupiscence, alors que la concupiscence apparaît à ceux qui s’expriment ainsi comme la grande manifestation et l'élément le plus

saillant du péché de nature ; que la mère de Dieu a été soustraite à la corruption du tombeau, parce que l’aiguillon de la mort, le péché, était mortifié en elle, et que, si elle est morte, c’est parce qu’elle devait être conforme à son divin Fils, surtout si ceux qui tiennent ce langage considèrent la corruption du tombeau comme un des principaux châtiments du péché d’origine et désignent même ce péché par le terme de « corruption », çOopa ; que Dieu est intervenu d’une manière toute spéciale pour sanctifier la conception de sa future mère, se préparer un palais digne de lui, de telle sorte qu’elle est véritablement la fille de Dieu, hiij-y. :  ;, Un paradis planté par Dieu lui-même, -ipàoîiaoç OcosÛTsuToç ; que même Dieu a poussé plus loin la délicatesse et la prévoyance et a purifié progressivement, dès l’origine, les ancêtres de la Vierge, afin que ses parents immédiats pussent lui communiquer une nature parfaitement immaculée ; toutes ces expressions, employées par des auteurs qui croyaient explicitement à l’existence d’une tare originelle, sans avoir jamais disserté ex projesso sur sa nature complexe, contiennoit d’une manière suffisamment explicite l’idée de la conception immaculée, telle que l’entend l'Église catholique.

Mais les grecs croyaient-ils réellement à l’existence d’une tare originelle de la nature humaine transmise par la génération à tous les descendants d’Adam à cause du péché personnel de celui-ci ? Je me demande comment on a pu jamais en douter, et où Herzog avait pris ses renseignements, quand il affirmait qu'à l'époque de saint Jean Damascène, l'Église grecque ignorait encore le dogme de la faute héréditaire. Non seulement les écrivains postérieurs au concile d'Éphèse. mais encore les Pères antérieurs, à l’exception de Théodore de Mopsueste et, peut-être, de Théodoret, ont affirmé souvent et d’une manière suffisamment claire, l'état de déchéance et d’opposition au plan divin primitif de la nature humaine transmise par Adam jiécheur à ses descendants. S’ils ont rarement usé du terme même de « péché » pour désigner ce que nous appelons proprement le péché originel, il n’y a là rien qui doive étonner. Le péché originel, considéré comme faute inhérente à chaque enfant d’Adam, unicuique proprium, comme s’exprime le concile de Trente, est un péché sui generis, un péché de nature, étranger à la volonté individuelle de chacun de nous. C’est là une notion subtile, qui va à rencontre de l’acception courante du mot péché et qui produit encore de nos jours sur les étudiants en théologie une certaine surprise. Les simples fidèles n’arrivent guère à la saisir, et l’on sait que beaucoup de ceux qui attaquent le dogme catholique ne la possèdent pas. Il ne faut point, dès lors, tenir rigueur aux Pères de l'Église en général et aux Pères grecs en particulier, obligés de combattre le dualisme manichéen et s’adressant la plupart du temps au peuple dans les écrits qu’ils nous ont laissés, de ce que, antérieurement à toute controverse, et même après, ils ont réservé le mot <> péché " pour désigner les fautes engageant la responsabilité personnelle.

Il est faux, d’ailleurs, que les Pères grecs du iv « et du ve siècle n’aient jamais employé notre terminologie actuelle pour parler du péché originel. Saint Athanase. Oratio contra arianos, i, 51, P. G., t. xxvi, col. 117 : saint Grégoire de Nazianze, Oral., xix, 13, P. G.. t. XXXV, col. 1060 ; saint Basile, Homilia dicta tempore famis, 7, P. G., t. xxxi, col. 324 ; Didyme l’Aveugle. De Trinitate, ii, 12, P. G., t. xxxix, col. 684, et Contra Alanichseos, viii, ibid., col. 1096, disent expressément qu’Adam nous a transmis son péché, iaapTi’a. D’autres, comme saint Isidore de Péluse, Èpist., t. III, epist. cxcv, P. G., t. lxxviii, col. 880, ont recours au terme de pj-o ;, souillure. Saint Jean Chrysostome