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IMMACULEE CONCEPTION

sine peccalo confileri necesse esse pietati». L'évêque d’Hippone rejette absolument l’assertion en ce qui concerne les personnages allégués, « exception faite pour la sainte Vierge Marie, dont je ne veux pas qu’il soit aucunement question quand il s’agit de péchés, et cela pour l’honneur du Seigneur : qu’elle ait, en effet, reçu une grâce surabondante pour remporter une victoire absolue sur le péché, nous le savons de ce qu’elle a mérité de concevoir et d’enfanter celui qui fut incontestablement sans péché. » Beaucoup de théologiens n’ont voulu ou ne veulent voir dans ce passage que l’exemption des fautes actuelles ou personnelles : quelques-uns ont même prétendu ou prétendent en limiter la portée à la période de l’existence de Marie qui suivit l’incarnation. Le témoignage est cependant utilisé dans la bulle Ineflabilis ; en quel sens, le Silloge degli argomenti nous l’apprend. Saint Augustin parle en cet endroit des péchés actuels, il est vrai, mais, à ce propos, il n’en affirme pas moins d’une façon générale que la bienheureuse Vierge est complètement exempte du péché ; l’honneur du Christ, qu’il met en avant, n’est pas moins incompatible avec l’hypothèse du péché originel qu’avec celle du péché actuel ; il l’est même davantage, étant donnée la légèreté des péchés actuels que le saint docteur énumère, peu après, § 45, col. 269, à titre d’exemples. Sardi, op. cit., t. ii, p. 49. Là est la force réelle de ce témoignage, il exclut de Marie directement tout péché indirectement ou implicitement le péché originel.

Une autre considération augmentera la valeur de l’argument. Si Pelage attribuait aux hommes, tels qu’ils sont actuellement, des forces suffisantes pour éviter tout péché, c’est qu’il n’admettait pas la déchéance originelle ; au contraire, si l'évêque d’Hippone tenait la contre-partie, c’est qu’il croyait à cette déchéance. De là, en 421, cette assertion. Contra Julianum, t. V, c. xv, n. 57, P. L., t. xliv, col. 815 : « A l’exception du Sauveur, nul homme en grandissant ne reste sans péché, parce qu’il n’est personne, en dehors de lui, qui n’ait été, au début de son existence, soumis au péché. » Si donc, six ans auparavant, le saint docteur a déclaré la mère de Dieu complètement exempte de péchés, à tout le moins actuels, il faut, d’après ses principes, conclure qu’elle n’a pas été sujette à la déchéance originelle. Aussi, après avoir exposé les textes augustiniens qu’il juge défavorables à l’immaculée conception et que nous examinerons bientôt, Petau ajoute-t-il, De incarnaiione Verbi, t. XIV, c. ii, n. 4 : Al non adeo constanter et præfracte originali infeciam macula fuisse sanctissimam Dei matrem defendit Augustinus, ut non aliqua interim adspergat, ex quibus contrarium ratiocinando colligi possit. Reste à se demander s’il y a là seulement une conclusion possible, mais que le grand docteur n’aurait personnellement ni tirée ni même soupçonnée.

Le second texte est emprunté à un ouvrage entrepris par l'évêque d’Hippone sur la fin de sa vie, en 428-430, et qu’il n’eut pas le temps d’achever. Opus imperfectum contra Julianum, t. IV, c. xxii, P. L., t. xlv, col. 1417 sq. Pour attaquer dans ses conséquences la doctrine du péché originel, Julien d'Éclane, disciple de Pelage, avait eu l’idée d'établir entre son adversaire, Augustin, et l’hérésiarque Jovinien un parallèle, qu’il présentait tout à l’avantage de ce dernier. Entre autres choses, il disait : Ille virginitatem Mariæ partus conditione dissolvit ; tu ipsam Mariam diabolo nascendi conditione transcribis. Malgré la concision de la phrase, le sens est clair. En supposant Marie soumise à la loi commune ou à la condition naturelle de l’enfantement humain, Jovinien avait sacrifié la virginité perpétuelle de la mère de Dieu ; en affirmant la loi du péché originel qui atteint, au moment même de sa conception ou première naissance, tout homme issu d’Adam et le rend esclave du diable, en soutenant que telle est la condition actuelle de toute génération humaine, Augustin assujétissait au diable la personne même de Marie. L’attaque mettait l'évêque d’Hippone en face du problème de la conception ou première naissance de la mère de Dieu. Que répond-il ? Non transcribimus diabolo Mariam conditione nascendi, sed ideo (Deo, d’après M. Saltet, Bulletin de littérature ecclésiastique, Toulouse, 1910, p. 165) quia ipsa condilio solvitur gratia renascendi. « Nous ne vouons pas Marie au diable par la condition de la naissance, (mais à Dieu), parce que cette condition est abrogée par la grâce de la renaissance. » Ainsi traduite littéralement, la phrase présente un sens vague, qui a donné lieu à deux interprétations opposées : « Nous ne vouons pas Marie au diable par la condition de la naissance (humaine) :

a) parce que la grâce de la renaissance abroge (ultérieurement) cette condition (en la faisant disparaître) ;

b) parce que la grâce de la renaissance abroge (simplement) cette condition, (en empêchant qu’elle se réalise en Marie). »

Dans la seconde interprétation, la conception sans tache est affirmée ; dans la première, elle est niée, il n’y a plus lieu qu'à une sanctification ultérieure, dont l'époque reste indéterminée. Nous voyons par les Actes de la Commission préparatoire que certains consulteurs soutinrent la première interprétation et nièrent en conséquence la valeur du témoignage. Sardi, op. cit., t. i, p. 863 ; t. ii, p. 58. Tel fut avant la définition et tel est encore depuis, le sentiment de beaucoup de théologiens : ils invoquent, en général, la doctrine si ferme de saint Augustin sur l’universalité du péché originel, en particulier l’expression gratta renascendi, une renaissance spirituelle ne se comprenant pas sans une mort spirituelle qui précède. D’autres, sans porter de jugement absolu, accordent que, ni de ce texte ni d’aucun autre, on ne peut rien tirer de certain en faveur du privilège marial. Voir notamment Ph. Friedrich, Die Mariologie des hl. Augustins, p. 200 sq. (état de la controverse), p. 218 sq. (discussion) ; compte rendu de cet ouvrage par A. Alvéry, dans la Revue augustinienne, Paris, 1907, t. xi, p. '705.

Cette interprétation est loin de s’imposer. A une objection grave, qui concerne spécialement la mère de Dieu et qui, pour n'être pas futile, devait s’appuyer sur une croyance commune en la parfaite sainteté de Marie, saint Augustin ferait une réponse qui, sur le point débattu, exclurait tout privilège et assimilerait la Vierge à ceux que la grâce de la régénération spirituelle délivre de l’esclavage du démon. En outre, ce qui, dans cette hypothèse, serait abrogé par la grâce de la renaissance, ce ne serait pas la condition même ou la loi de la naissance humaine, en tant qu’appliquée à la mère de Dieu, mais seulement l’état de péché, conséquence normale de la condition inhérente à la naissance de tout fils d’Adam ; or le texte porte : conditio ipsa solvitur, et les deux choses ne doivent pas se confondre, suivant la remarque faite dans les déclarations complémentaires du Silloge degli argomenti. Sardi, t. ii, p. 58. Enfin cette interprétation introduit dans la réponse d’Augustin quelque chose d’incohérent. Au pélagien qui l’accuse de vouer la personne même de Marie au diable par la condition ou loi de naissance humaine qu’il suppose en affirmant le péché originel, le saint docteur commencerait par répondre : « Nullement, non transcribimus Mariam diabolo conditione nascendi », puis, motivant sa négation, il dirait implicitement le contraire. Incohérence dont on n’arrive à délivrer l’adversaire de Julien qu’en supposant de sa part, pour parler avec A. Alvéry, une « échappatoire », un « subterfuge », une « habile manœuvre pour esquiver une étreinte dangereuse », un « adroit demi-tour ». Suffit-il de dire avec M. Saltet,