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IMMACULEE CONCEPTION


le jugement porté par un auteur de nos jours sur la mariologic, telle qu’elle se présente à la veille du concile de Nicée : « Les principes sont posés, et déjà on a commencé à s’engager dans la voie des conclusions. » E. Neuberl, Marie dans l'Église aniénicéenne, p. 276.

Dès cette époquc, en elïet, la mère de Jésus est appelée la sainte Vierge ; appellation renfermant une idée de sainteté qui ne date pas seulement du jour de l’annonciation et qui dépasse manifestement la simple virginité ou intégrité physique. Dans une homélie tenue pour authentique par de bons juges, saint Grégoire le Thaumaturge rapproche, comme ses devanciers, les deux Èves en insistant sur le caractère virginal de Marie et de son enfantement, mais il parle aussi, auparavant, du Verbe divin qui, « trouvant la Vierge sainte d'âme et de corps, prend d’elle le corps vivant qui convenait à la réalisation de ses desseins miséricordieux, inveniensque DirginemSPiRiTV corporeque sanctam, ex ea animalum corpus suis congruum consiliis assumpsit. » Sermo in nalivitate Christi, 10, 23, édit. Pitra, Analecta sacra, t. iv, p. 390, 394 ; Neubert, op. cit., p. 185 sq., 226.

Nous avons vu saint Justin établir entre Eve et Marie une comparaison qui est tout à l’avantage de celle-ci. Dans cette comparaison, le premier terme, c’est Eve, non seulement vierge encore, mais exempte aussi de toute corruption, uapOévo ; -/àp o-jira Ei’a /od à'çOopoç ; le parallélisme ne demande-t-il pas que, dans le second terme, on comprenne les mêmes qualificatifs, bien que le saint docteur se soit contenté d’exprimer le premier, Wapia v, uapOévoç ? A la première Eve, pleinement intègre, correspondrait donc la seconde, douée d’une prérogative semblable. Conséquence d’autant plus notable, qu'à cette époque les Pères grecs concevaient volontiers la tache originelle comme une corruption affectant les fils d’Adam, et la rédemption commeun retour à l’incorruptibilité primitive. S. Ircnée, ui, 19, 1, P. G., t. vii, col. 938 sq. Conséquence nullement étonnante d’ailleurs, car elle se retrouve en substance dans un fragment de saint Hippolyte († 235) sur le psaume xxii^, P. G., t. x, col. 610. Comparant le Sauveur à l’arche d’alliance, il explique d’abord comment l’incorruptibilité du bois dont l’arche était faite, signifiait l’incorruptibilité de la sainte humanité ; puis, passant à l’application : « Le Seigneur, dit-il, est sans péché, étant, selon son humanité, de bois incorruptible, à savoir, de ta Vierge et de i Esprit-Saint. » Suivant la juste remarque de Neubert, op. cit., p. 218, « le but direct d’Hippolyte était de démontrer l’impeccabilité de Jésus, mais son raisonnement suppose qu'à ses yeux, la Vierge, bois incorruptible dont est faite l’humanité du Sauveur, est elle-même toute pure ».

Si ces considérations prouvent suffisamment que, pour les Pères anténicéens, l’idée de pureté et de sainteté s’attachait à la personne de Marie, elles ne permettent pas de leur attribuer une croyance formelle en son immaculée conception. Y a-t-il ailleurs des traces de cette croyance ? La question se pose à propos d’un apocryphe, le Protévangile de Jacques, composé en grec dans la seconde moitié ou vers le milieu du iie siècle, au moins pour la première partie, relative à la vie de la Vierge avant la naissance de Jésus. E. Hennecke, Neutestamentliche Apokryphen, Tubingue, 1904, p. 48 ; E. Amann, Le Protévangile de Jacques, p. 99 sq. L'écrit mérite de fixer l’attention à cause de l’influence considérable qu’il a exercée, surtout en Orient. On y raconte que saint Joachim et sainte Anne, étant sans enfants, souffraient de cette épreuve et suppliaient instamment Dieu de les en délivrer. Il arriva que, Joachim s'étant retiré au désert, un ange lui apparut et lui dit, iv, 2 : « Joachim, Joa chim, le Seigneur Dieu a exaucé ta prière ; descends d’ici, car voici que ta femme Anne concevra en son sein, £v -faCTTpi Lr, 'liza :. » Anne, favorisée d’un message semblable, se rend au-devant de son mari, qu’elle rencontre à la Porte dorée de Jérusalem ; elle exprime sa joie en ces termes, iv, 4 : « Voici que la veuve n’est plus veuve, et que moi qui étais sans enfant je concevrai dans mon sein, à-/ "X'7-ç : 'Lr, 'l’ji.'ji :.it Amann, op. cit., p. 193-195.

Rien dans tout ceci qui dépasse l’annonce d’une conception miraculeuse, en tant qu’accordée aux prières des deux époux après une longue période de stérilité. Mais, dans un manuscrit très ancien, le passé est substitué au futur : » Voici que ta femme a conçu, £t').riŒ ; voici que j’ai conçu, sT/r, sa. Leçon confirmée aux v « et VIe siècles par diverses versions et, particulièrement au iv<= par saint Épiphane, Hser., Lxxix, 5, P. G., t. XLU, col. 748, où il mentionne l’histoire de Marie et les traditions n portant « qu’il a été dit à son père Joachim dans le désert : Ta femme a conçu ». Il suffit de prendre cette expression à la lettre en y joignant cette circonstance, que Joachim était alors loin de son épouse, pour comprendre comment et dans quel sens le problème qui nous occupe peut apparaître : « Si l’auteur du Protévangile a cru à la conception virginale de sainte Anne, si en la rapportant il s’est fait sur ce point l'écho de la tradition et de la piété populaire, il faut le ranger parmi les tout premiers défenseurs de l’immaculée conception, il faut reconnaître de plus que cette idée a dans la tradition catholique des raisons beaucoup plus profondes qu’on ne le suppose ordinairement. » Amann, op. cit., p. 17. Ajoutons que, compris de la sorte, le privilège mariai dépasserait la notion du dogme défini par Pic IX, car l’hypothèse dont il s’agit conduirait à une conception pure au sens actif ou dans son principe, non moins qu’au sens passif ou dans son ternie, comme celle de Notre-Seigneur.

L’auteur du 1 rotcvangile a-t-il réellement cru à la conception virginale de l'épouse de Joachim ? L’emploi du passé, au lieu du futur, ne le prouve pas efficacement, car, suivant la remarque de saint Épiphane, l’ange a pu parler ainsi à la manière des prophètes, pour mieux exprimer la certitude de l'événement annoncé ; la présence du futur dans presque tous les manuscrits favorise évidemment cette interprétation. Des chrétiens ont, il est vrai, pris à la lettre le terme el'/r|Ç.ar, et conclu à une conception virginale ; en les réfutant, saint Épiphane témoigne de la réalité de leur sentiment, qui reparaîtra dans la période postéphésienne ; mais désavouée par les pasteurs et limitée à un petit nombre de partisans, cette manière de voir ne représente ni la pensée de l'Église, ni même une croyance populaire commune.

Le Protévangile de Jacques n’en a pas moins ses enseignements. Le fait que la conception de Marie y est présentée au moins comme aussi miraculeuse que celle de saint Jean-Baptiste, explique cette observation de M. Amann, op. cit., p. 15 : " Dans les milieux chrétiens où fut composé le Protévangile, instinctivement la piété populaire faisait le raisonnemqnt qui revient à chaque page des traités modernes de mariologie : il faut admettre que la vierge Marie non seulement a reçu les mêmes faveurs que les saints les plus éminents, mais. qu’elle les a eues d’une manière plus éminente. » En outre, dans le cantique d’action de grâces mis sur les lèvres d’Anne, on lit ce verset, vi, 3 : Kaî Ëûwxév |xoi /jpio ; vtapTtbv 5rLaioo-jvi, ç (avxoC). liovoojcriov KoX’JTiXàaioM èvtÔTrtov otÙTOvJ. c Et le Seigneur m’a donné un fruit de (sa) justice, fruit simple, (mais) de multiple aspect devant lui. » Amann, op. cit., p. 203. Phrase au sens discuté, mais qui paraît exactement commentée par le P. Jugie, Le Protévangile de