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IIYPOSTASE


contemporaines. Modernistes et gûnthériens s’entendent pour trouver une opposition réelle entre les concepts traditionnels de l’école et la pensée moderne. C’est cette barrière qu’il faut, dans l’intérêt même de la religion, renverser. Mais, aux prétentions de Giinther, les modernistes ajoutent un élément nouveau, qui leur appartient en propre : « les formules religieuses doivent être vivantes et de la vie même du sentiment religieux. » Encyclique Pascendi, Denzinger-Bannwart, n. 2080. Ce qui compte dans la religion, ce qui doit fixer l’attention des hommes de foi, c’est le sentiment religieux, essentiellement progressif et changeant. D’où il faut conclure au rajeunissement nécessaire des formules anciennes. C’est ainsi que la formule traditionnelle du mystère de l’incarnation n’est plus en rapport avec l’aspect que ce mystère prend devant nos contemporains. « On ne doit pas oublier que cette formule est savante de sa nature et il n’est pas trop surprenant que, conçue en vue de la science antique, elle ne soit pas adaptée à l’état de la science moderne. » A. Lois}’, Autour d’un petit livre, Paris, 190.3, p. 151. Et pour adapter les formules de la croyance à l’état de la science moderne, il ne faut pas hésiter à dissocier l’idée de la personnalité de Dieu et celle de la personnalité humaine. « Si l’on maintient, et je crois qu’il faut maintenir, la personnalité de Dieu comme symbole de son absolue perfection et de la distinction essentielle qui existe entre Dieu réel et le monde réel, n’est-il pas évident que cette personnalité divine est d’un autre ordre que la personnalité de l’homme, et que la présence du Dieu personnel, à un moment donné de l’histoire, sous la forme d’un être humain, est un concept qui associe, dans une apparente unité, deux idées qui n’ont pas de commune mesure, celle de la personnalité en Dieu et celle de la personnalité dans l’homme ? Est-ce que Dieu est personnel i la façon de l’homme et le Christ historique a-t-il témoigné d’être personnel à la façon de Dieu ? I^e mj’stère de la personnalité divine s’est-il manifesté par lui autrement que sous l’extérieur d’une personne humaine, et en tant qu’humainement déterminé, humainement réalisé ? n Ibid., p. 152. De plus, il faut revenir au concept moderne de la personnalité, définie en fonction, non de la métaphysique, mais de la psychologie : N’est-il pas vrai aussi que la notion théologique de la personne est métaphysique et abstraite, tandis que cette notion est devenue, dans la philosophie contemporaine, réelle et psychologique ? Ce qu’on a dit d’après la définition de l’ancienne philosophie n’a-t-il pas besoin d’être expliqué par rapport à la philosophie d’aujourd’hui ? » Ibid.. p. 152. La conclusion qui s’impose est que la transcendance divine ne suffit plus, au regard du sens religieux contemporain, à expliquer la personnalité de Dieu : il faut en venir à la notion du Dieu « vivant ». Le concept de la personnalité humaine demande également une " traduction » Cette traduction ne peut être faite qu’en prenant le concept moderne, psychologique et moral, de la conscience de soi. Telle semble être du moins la conclusion que comportent les formules interrogatives de M. Loisy.

Critique.

Nous maintiendrons ici strictement

le point de vue philosophique en signalant la fausseté de ces doctrines. Au point de vue théologique, on se contentera d’inditiuer succinctement le danger qu’elles renferment relativement à la croyance catholique en la trinité ou l’incarnation.

1. S’il est vrai que la personnalité ne peut exister que dans les natures Intellectuelles et, par conséquent, douées de la conscience de soi, il est faux d’affirmer que la conscience de soi constitue la personnalité. C’est confondre le mol avec la perception du moi. C’est ce que Rosmini est obligé d’avouer implicitement, Anlropologia, I. IV, c. iv : expliquant la ginfrntion

du moi, il ne fait qu’expliquer la marche suivie par l’esprit pour arriver à la conscience de soi-même. C’est la même erreur dans laquelle tombe Locke lorsqu’il assigne, pour condition à l’identité personnelle, la mémoire, alors que c’est au contraire l’identité personnelle qui est la condition de la mémoire : « Quand le sujet humain, dit Rosmini, moyennant diverses opérations intérieures de ses facultés, parvient à acquérir la conscience de lui-même, alors ce sujet devient moi. » Non, il ne devient pas, il se connaît comme tel. Et la question qui doit occuper le théologien catholique cherchant en quoi consiste la personnalité, n’est pas de savoir comment le moi se connaît, mais en quoi consiste le moi : « La connaissance suppose l’être, puisqu’on ne peut connaître ce qui n’est acte de la conscience, cependant il ne peut être constitué par cet acte. Dans sa réalité, le moi précède la conscience que nous en avons, et il ne peut se confondre avec elle sans confondre l’objet connu avec la connaissance. Si la conscience perçoit et affirme le moi, le moi doit exister avant cette perception et cette affirmation ; autrement la connaissance créerait son objet, conformément aux rêveries de l’idéalisme transcendantal. La réalité d’une chose est toujours présupposée à l’acte de la puissance par laquelle elle est perçue… Supposez que la conscience soit la raison formelle du moi, il faudra croire que le moi n’existe pas ou cesse d’exister, quand le sujet n’a pas actuellement la conscience de lui-même. Ainsi, un petit enfant qui n’a pas l’âge de la réflexion ne sera pas une personne et l’adulte perdra sa personnalité lorsqu’il dormira ou sera enseveli dans la léthargie. De même, dans l’homme qui est sain et qui veille, le moi variera toujours puisqu’on lui varie incessamment l’acte de la conscience. J’ai maintenant la conscience que j’écris ou que je lis ; une autre fois, je sens en moi l’impression de la tristesse ou de la joie. Ces actes de conscience sont divers, parce que divers en sont les objets. Divers aussi sera donc le moi, puisque « le sujet par la conscience devient un moi ». Liberatore, Du composé humain, trad. franc., Lvon, 1865, p. 9-10.

2. De plus, considérée en elle-même, qu’est-ce que la conscience ? Acte ou faculté ? Qu’elle soit l’un ou l’autre, ou tous les deux, à coup sûr elle ne serait pas quelque chose de substantiel, comme il le faudrait cependant pour constituer l’élément formel de la personnalité. Billot, De Verbo incarnalo, q. ii, § 3, p. 90. Comme le dit fort bien M. Rabier, en guise de conclusion au c. xxxiii de sa Psychologie, Paris, 1893, « la question psychologique de l’identité personnelle étant résolue, la question métaphysique de l’identité de l’être demeure entière ». Il serait plus exact peut-être de compléter cette assertion en disant que le point de vue psychologique est contradictoire si on ne présuppose pas un point de vue métaphysique. Sluart Mil ! lui-même, après avoir repris la théorie phénoméniste de David Hume, dans sa Philosophie de Hamillon, trad. franc., p. 228-229, se fait à lui-même une objection qu’il reconnaît décisive : " Si nous regardons l’esprit comme une série de sentiments, nous sommes obligés de compléter la proposition, en l’appelant une série de sentiments qui se connaît elle-même comme passée et à venir ; et nous sommes réduits à l’alternative de croire que l’esprit ou moi n’est autre chose que les séries de sentiments ou de possibilités de sentiments, ou bien d’admettre le paradoxe que quelque chose qui, ex hypothesi. n’est qu’une série de sentiments, peut^e connaître soi-même en tant que série." /frirf., p. 235. Pour arriver à la vraie solution du problème de la personnalité, il faut donc dépasser l’ordre psychologique de la conscience et de la liberté. La conscience de soi est un effet et un indice de la personnalité elle n’est pas la personnalité.