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HYPOSTASE


est impossible que cette existence n’appartienne pas à telle substance, terminée en elle-même par son mode substantiel. On a vu quels sont les principaux partisans de ce système ; ils appartiennent tous à l'école thomiste : Sylvestre de Ferrare, In Sum. contra gentes, t. IV, c. XLiii ; Banez, In Sum. theol. S. Thomæ, I », q. III, a. 5 ; Jean de Saint-Thomas, Cursus philosophicus, Paris, 1888, t. ii, q. vii, a. 1 ; Gonet, Clijpeus Iheologiæ Ihomisticse, III », tr. I, disp. VI, a. 3 ; Billuart. Cursus theologise, De incarnatione, diss. IV, a. 1 ; Goudin, Melaph., disp. VIII, q. i ; Javel, Metaph., t. VII, q. XVII ; Cabrera. In Sum. S. Thomæ, III », q. IV, a. 2, disp. III ; Sahnanticenses, Cursus théologiens, Paris, 1879, t. xiv, tr. XXI, disp. VIII, dub. i ; Sylvestre Maurus, Quest. philos., t. II, q. xiii ; cardinal Mercier, Ontologie, n. 151 ; Zigliara, Summa philosophica, Lyon, 1877, Ontologia, t. III, c. i, a. 4 : M. Chauvin, dans la Science catholique, 1908, p. 534. Voir d"autres références dans Urraburù, op. cit., p. 852853. Il faut également citer le cardinal de BéruUe, Discours de l’estat et des grandeurs de Jésus, second discours. L’opinion de Cajétan est enseignée, aujourd’hui encore, dans les écoles théologiques de la famille dominicaine.

Les raisons apportées en sa faveur sont de trois sortes : philosophiques, théologiques, raisons d’autorité. Au point de vue philosophique, Cajétan considère que la subsistence ne doit point consister dans une négation, mais bien dans une entité positive, car c’est là le seul moyen de différencier objectivement l’hypostase de la nature concrète. Or, cette entité ne peut être qa’un mode sub< : tantiel terminant la nature concrète, puisque c’est grâce à la personnalité, à la subsistence — qu’est ce mode — que la nature doit de pouvoir exister en soi, d'être constituée en sujet subsistant et distinct. Si saint Thomas n’a pas expressément enseigné l’existence d’un mode substantiel comme élément constitutif de la personne, cette thèse se déduit cependant logiquement des principes posés par le docteur angélique. Hugon, Le mystère de la très sainte Trinité, p. 235, 326. En effet, Sum. theol, III », q. XVII, a. 2, ad 1°"", saint Thomas dit evpressément : esse consequitur naturam non sicut habentem esse, sed sicut qua aliquid est ; personam autem, sive hypostasim consequitur, sicut habentem esse. De môme, q. xxxv, a. 5, il enseigne que la filiation du Christ par rapport à la Vierge-Mère est simplement une relation de raison, parce que le sujet de la relation réelle, la personne humaine, fait défaut. D’où il est aisé de conclure que la subsistence doit disposer la nature à posséder l’existence, ù acquérir des relations réelles, etc. : elle est donc bien réellement un mode substantiel tenninant la nature en elle-même. Cela ressort, avec plus d'évidence encore, de toute la doctrine catholique sur l’incarnation et c’est là, à proprement parler, l’argument théologique dont on s’occupera, 1 Hypostatique (Union), col. 529.

b) Critique. — Il suffit présentement de faire remarquer que, si CajéLan et les thomistes de son école ont cent fois raison de vouloir établir une distinction réelle objective entre la nature concrète et l’hypostase dans les créatures, leur théorie n’est pas nécessairement la seule et surtout la vraie solution du problème. Qu’elle ne soit pas la seule solution, la multiplicité des systèmes l’indique : qu’elle ne soit pas la vraie solution, d’excellents théologiens, thomistes eux aussi, entreprennent de le démontrer. Par le fait qu’elle est individuée, disent ces auteurs, une substance est complète. Quel serait le rôle d’un mode substantiel se superposant à la nature indlviduée et complète ? Il n’ajouterait rien à la singularité de cette nature, puiscpie cette singularité existe en vertu des principes individuels. Intcriendrail-ll comme dernier complément de la

DiCT. ni ; Tn(^ ; oi, . cathol.

nature ? Mais la nature est complète par l’union des éléments spécifiques : âme et corps, s’il s’agit de la nature humaine. Ce mode serait-il donc nécessaire pour disposer la nature concrète à recevoir en elle son existence propre ? Mais on affirme gratuitement cette nécessité : n’est-il pas de l’essence même d’une substance individuée et complète d’exister en soi et par soi ? D’ailleurs, qu’est-ce que ce terme pur de la substance-nature, qui n’est que terme et ne possède, au dire de Cajétan hii-même, ni causalité extrinsèque, ni causalité intrinsèque, puisqu’il n’est que terme et nullement cause matérielle ou formelle ? La comparaison qu’apporte Cajétan du point qui termine la ligne n’est pas heureuse, car ce point mathématique n’est pas quelque chose de positif qui s’additionne à la ligne pour la finir ; en réalité, il n’est que la cessation même de la ligne qui ne s'étend pas plus loin ; il n’y a pas une ligne plus un point qui la termine, il n’y a qu’une ligne qui n’est pas tracée plus avant. Le mode substantiel, terme pur, devrait-il donc être relégué au rang (les fictions, auxquelles l’imagination seule prête une réalité? Faut-il le concevoir comme à la fois ajoutant quelque chose et n’ajoutant rien : ajoutant quelque chose, parce que, par hypothèse, entité positive couronnant la nature ; n’ajoutant rien, parce que, en fait, terme pur ? Quant r. l’autorité de saint Thomas, elle semble bien sollicitée. Le véritable sens des textes se rétablit de lui-même en lisant le contexte. Le docteur angélique veut simplement expHqiier, q. xvii, a. 2, que l'être personnel est unique en JésusChrist ; il ajoute, pour résoudre une difficulté, ad 1°™, que cet être n’est pas possédé de la même façon par l’hypostase et par la nature humaine ; l’hypostase est ce qui (id quod) possède ; la nature est ce qui détermine le mode d'être : c’est ce selon quoi (id quoj l'être est possédé ; il n’est donc pas nécessaire de multiplier les êtres selon les natures ; une seule hjpostase peut posséder un être unique en plusieurs natures. Du second texte, q. xxxv, a. 5, on peut déduire que l’hypostase n’est pas la nature, que l’hypostase ajoute quelque chose à la nature ; que l’hypostase seule peut être le sujet de la relation réelle de filiation en JésusChrist. Tout cela est vrai et tous en conviennent. Mais déduire du texte de saint Thomas que le quelque chose, cette entité positive qu’ajoute l’hypostase à la nature, est nécessairement un mode substantiel qui dispose la nature concrète à devenir le sujet de la relation, c’est pratiquer l’exorcisme des textes. Cf. Billot, De Verbo incarnato, Rome, 1919, p. 81-83.

2. Système de Suarcz.

a) Exposé. — Le système dit de Suarez, mais qui, dans la forme où il est le plus ordinairement reçu, est bien plutôt le système de Vasquez et de De Lugo, a de commun avec celui de Cajétan la conception d’un mode substantiel terminant la nature et lui conférant la personnalité. Mais, sur la constitution métaphysique des êtres, Suarez et son école professent des doctrines tellement dlflérentes de celles de l'école thomiste que sa théorie de l’hypostase doit être nettement distinguée de celle de Cajétan. Ce sont deux théories presque étrangères l’une à l’autre. Tandis que Cajétan maintient dans les créatures une distinction réelle de puissance h acte entre l’essence réalisée et l’existence, Suarez ne reconnaît, entre l’une et l’autre, qu’une simple distinction de raison. Voir Fssence, t. v, col. 8 15. La conséquence logique de cette divergence, c’est que, si Cajétan peut concevoir la subsistence comme un mode disposant la nature concrète à recevoir son existence propre, Suarez ne peut admettre la subsistence que comme un mode achevant, dans l’ordre substantiel, /'psscnce déjà existante : logiquement, le mode substantiel vient ainsi après l’existence. Celle remarque faite, voici l’exposé du système. Après avoir rappelé, Metaph.,

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