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IIYPOSTASE


nette en ce sens, puisque saint Jean Damascène et Ttiéorianos l’emploient pour désigner les êtres vivants. On voit par là combien peu fondés sont les reproches faits par certains philosophes contemporains à la théologie catholique, relativement à de prétendues contradictions et indéterminations qu’établiraient dans la doctrine religieuse les concepts conciliaires et scolastiques de l’hjpostase et de la personne. Cf. Renouvier, Les dilemmes de la métaphysique pure, Paris, 1901, Introduction, xiv, p. 32, et c. v, p. 203 sq. L’exposé qu’on vient de faire de la doctrine des Pères, qui reflètent la pensée de l’Église, condamne à lui seul l’étrange proposition de M. Renouvier : « Le sens particulier que la théologie aurait à donner au terme de personne pour éviter la contradiction n’a jamais été défini. Les termes de nature et de substance emploj es dans renonciation des dogmes ne l’ont pas été davantage. La doctrine orthodoxe est une sorte de philosophie dont la terminologie est fixée sans que la signification des termes soit éclaircie. » Histoire et solution des problèmes métaphysiques, Paris, 1901, p. 155.


II. Chez les théologiens. —

I. considérations GÉNÉRALES. —

La pensée latine.


La pensée grecque et la pensée latine, dans l’analyse du concept d’hypostase, partent de deux points de vue opposés. Dans les questions trinitaires, la théologie grecque se préoccupe d’abord de sauvegarder la distinction des hypostases : l’attention des Pères tombe directement et du premier coup sur l’hypostase et ne considère qu’en second lieu la substance, qu’elle soit sv’jTîdaTaTci ; ou’jr.oa-ziivLov. On peut donc dire avec de Régnon, np. cil., p. 278, que « les grecs entrent dans l’arbre de Porphyre par en bas, par l’individu concret et subsistant, tel qu’il est dans la réalité, avec tout l’ensemble de ses proijriétés essentielles ou accidentelles. Cet objet de la première pensée est l’hypostase. jMais l’intelligence exerçant son analjse sur cette réalité et la pensée procédant per ascensum, on voit apparaître, Gefoosïtai, d’une part, les différences spécifiques et génériques, d’autre part, tout l’amas des accidents. Or, par là même que ces distinctions et ces séparations sont opérées par l’intelligence, on a conscience que les réalités qui correspondent à ces divers concepts formels ne se soutiennent pas d’elles-mêmes, mais ne trouvent leur appui que dans l’individu concret et subsistant. » Cf. Tixeront, op. cit., t. ii, p. 82-83. Si, au contraire, on entre dans l’arbre de Porphyre par en haut, on se trouve en face des termes les plus universels et les plus indéterminés, c’est-à-dire les plus éloignés de l’existence. La substance se réalise par le genre ; le genre, par l’espèce ; l’espèce, par l’individu. Chaque détermination apparaît comme un complément de l’être et l’esprit cherche naturellement la raison formelle de cette détermination, raison générique et spécifique, principe d’individuation. Quand il arrive au suppôt (c’est le terme par lequel les scolastiques désignent communément l’hypostase), c’est-à-dire à l’être finalement et complètement déterminé, subsistant en lui-même, ayant son existence propre et distincte, l’esprit envisage naturellement cette détermination ultime, ce complément dernier, cette existence distincte et séparée, cette subsistence (au sens abstrait du mot), comme la raison formelle de la supposante ou personnalité. Tel est le processus de la pensée latine. Cette mélhode per desccnsum fait envisager aux théologiens de l’Occident, d’abord la substance ou la nature, ensuite l’hypostase, c’est-à-dire la suljstance ou la nature existant en soi. Telle a été, en efi’et. l’attitude des Pères dans la discussion des problèmes trinitaires voir Trinité ; c’est aussi celle des scolastiques dans la question de l’union hypostatique. Cette discussion portera donc surtout sur la raison formelle de la personnalité, c’est-à-dire sur le principe de l’existence en soi, incommunicable et distincte, propre à l’individu de nature raisonnable. C’est l’aspect du problème hypostatique que les grecs n’avaient pas envisagé, que leur métaphysique ne leur permettait pas d’envisager. Ce problème, clos pour saint Jean Damascène et pour les grecs, ne l’est pas pour les latins.

On exposera les différentes phases de la pensée théologique latine, en négligeant les conceptions hétérodoxes que supposent implicitement les hérésies et les erreurs issues de l’adoplianisme et qui se trouvent à la base des doctrines hérétiques enseignées par les théologiens de l’école d’Abélard, de Roscelin et de (iilbert de la Porée, dont s’occupe saint Thomas, Sum. theol., ma, q. II, a. 3-6, et dont avait fait mémoire, avant saint Thomas, le maître des Sentences. Sent., t. III, dist. VI, P. L., t. cxcix, col. 1043 ; cf. col. 1129 sq. Ces conceptions, tout comme la thèse de Berruyer, opposant le quasi-suppôt à la personne, cf. Scheeben, De incarnatione, t. V, n. 236 ; Legrand, De incarnatione, disp. XI, dans Migne, Cursus Iheologiæ completus, t. ix, col. 1027 sq., seront étudiées à Hypostatique (Union). De plus, comme il s’agit ici de formules et de concepts philosophiques, ordonnés néanmoins à la théologie de l’incarnation, on s’efforcera d’être aussi bref que possible dans l’exposé et la critique des différents systèmes, réservant les discussions proprement théologiques pour l’article suivant. 2° Terminologie.

Termes sj’iionymes d’hypostase :

1. Substantia.

Bien que le mot substance soit employé ordinairement comme synonyme d’essence concrète, il faut cependant signaler sa sjmonj’mie avec hypostase, à cause de l’emploi que les Pères latins en ont fait en ce sens, voir col. 378, et qu’ils ont continué à en faire, même après l’invention du mot subsistence, voir col. 392 Cf. S. Isidore, Etym., t. VII, c. IV, n. 11, 12, P. L., t. Lxxxii, col. 271, 272. D’ailleurs, toute hypostase est une substance. — 2. Subsistentia.

— Quoi qu’en pensent nombre de théologiens, le terme subsistence (mieux que subsistance) semble être, voir col. 391, la traduction grammaticale d’i’duTauiç. C’est, dit saint Thomas d’Aquin, Sum. theol., III*, q. ii, a. 3, « la même réalité que la chose subsistante, c’est-à-dire l’hypostase ». Cf. ibid., q. xxix, a. 2 ; De potentia, q. tx, a. 1. C’est donc primitivement un nom concret, désignant l’être subsistant, la substance existant en soi, et non pas un nom abstrait désignant la forme métaphysique en vertu de laquelle l’être est conçu comme subsistant. Néanmoins, on trouve plus fréquemment, pour exprimer ce sens concret, les termes : ens subsistens, ou esse subsistens. Déjà pourtant, au xin<e siècle, le mot subsistence prend un sens abstrait, celui de la formalité conçue comme principe de l’existence en soi, propre et distincte. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Illa, q. vi, a. 3. Ce sens abstrait deviendra peu à peu le sens presque universellement admis par les théologiens : c’est dans ce sens que l’emploient Suarez, De Lugo, Vasquez, etc.

— 3. Suppositum. — L’hypostase est appelée suppôt, quasi sub positum, parce que, logiquement, elle est conçue comme la réalité à laquelle est attribué par l’esprit tout ce qui peut être dit de l’individu, nature, subsistence, principes individuels, être, accidents, etc. C’est donc un terme correspondant à une opération de l’intelligence, nomen intentionis, et non pas désignant immédiatement la réalité objective, comme le ferait le terme personne, lequel est en conséquence nomen rei. Cf. S. Thomas, Sum. theol., III^, q. ii, a. 3 : 1°, q. XXIX, a. 3, ad 2°™. — 4. Res naturie. — On trouve ce terme, inusité chez les Pères, sauf chez saint Hilaire, De Trinitate, t. VIII, n. 22 ; t. IX, n. 3, P. L., t. x, col. 252, 283, employé couramment par les théologiens du moyen âge. S. Thomas, Sum. theol., D, q. xxix, a. 2 ;