Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.1.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
28
HOLBACH

donc ; pas d’autres vertus que les vertus sociales : justice, bienfaisance, philanthropie, et pas de sacrifices même. Cette solidarité est également la source des devoirs. « De la nécessité des rapports subsistants entre des êtres sensibles et réunis en société dans la vue de travailler par des efforts communs à leur félicité réciproque, naît la nécessité de leurs devoirs. » Conclusion. Elle est également la source du progrès social, c. xvi. Comment dès lors amener les hommes à cette vertu qui ne coûte aucun sacrifice ? En les y déterminant par un bon système d’éducation — comme tout son siècle d’Holbach croit à la puissance morale de l’instruction : l’homme éclairé est nécessairement bon — par un bon système de récompenses et de peines, par de bonnes lois, par le désir de l’immortalité développé dans les âmes et la crainte de la mort bannie des cœurs qustification du suicide). Vue originale : d’Holbach voudrait que la morale et la politique s’appuient sur la physiologie. « Aidés de l’expérience, si nous connaissions les éléments qui font la base du tempérament d’un homme ou du plus grand nombre des inividus dont un peuple est composé, nous saurions… les lois qui leur sont nécessaires, les institutions qui leur sont utiles. En un mot, la morale et la politique pourraient retirer du matérialisme des avantages que le dogme de la spiritualité ne leur fournira jamais », c. viii.

Dans le monde ainsi conçu Dieu est inutile, « une machine à compliquer les choses » — comme l’on disait à Grandval — et la religion, une source d’erreurs et de maux. Mais d’Holbach consacre encore à la question religieuse toute la seconde partie du Système de la nature. Il l’intitule : De la divinité ; des preuves de son existence, de ses attributs ; de la manière dont elle influe sur le bonheur des hommes. C’est « l’ignorance de la nature qui donna naissance aux dieux ». c. ii. C’est elle qui explique la mythologie et les idées confuses et contradictoires de la théologie, c. ii, iii. Mais il veut dissiper ce vain fantôme de Dieu, car « celui qui parviendrait à détruire cette notion fatale ou du moins à diminuer ses terribles influences serait à coup sûr l’ami du genre humain », c. iii. Il examine d’abord, après Hume, les preuves théologiques de l’existence de Dieu données par Clarke, c. iv, par Descartes, par Malebranche et par Newton, c. v, et il conclut : « L’univers est de lui-même ce qu’il est ; il existe nécessairement et de toute éternité. Quelque cachées que soient les voies de la nature, son existence est indubitable et sa façon d’agir nous est au moins bien plus connue que celle de l’être inconcevable… qu’on a distingué d’elle-même, que l’on a supposé nécessaire et existant par lui-même, tandis que jusqu’ici on n’a pu démontrer son existence, ni le définir, ni en dire rien de raisonnable. » Mais il ne s’en tient pas là et il s’attaque au panthéisme (de Spinoza), au déisme (de Voltaire) et au théisme (de Rousseau), c. vi, vii. Et il n’y a pas à déplorer le fantôme dissipé : « Les idées sur la divinité ne sont pas plus propres à procurer le bien-être, le contentement et la paix aux individus qu’aux sociétés », c. ix. Et plus loin : « La théologie et ses notions… sont les vraies sources des maux qui affligent la terre, des erreurs qui l’aveuglent… des vices qui la tourmentent, des gouvernements qui l’oppriment », c. x. Les chapitres les plus neufs de cette seconde partie sont ceux où d’Holbach démontre qu’il y a des athées, contre les théologiens « qui semblent souvent avoir douté… s’il y avait des gens qui pussent nier de bonne foi l’existence d’un Dieu », c. xi ; que l’athéisme peut se concilier avec la morale, c. xii, et enfin où il se pose la question : Tout un peuple peut-il être athée ? c. xiii. À son avis, « une société d’athées privée de toute religion, formée par une bonne éducation, invitée à la vertu par des récompenses…, dégagée d’illusions, de mensonges et de chimères, serait infiniment plus honnête et plus vertueuse que ces sociétés religieuses où tout conspire… à corrompre le cœur. » Il lui paraît impossible cependant « de jamais parvenir à faire oublier à tout un peuple ses opinions religieuses ». L’athéisme est une doctrine aristocratique, qu’il ne faut pas craindre toutefois de répandre : « la vérité ne nuit jamais qu’à ceux qui trompent les hommes ». C’est sans doute pourquoi il fit du Système de la nature l’abrégé populaire : Le bon sens, qui mettait l’athéisme « à la portée des femmes de chambre et des coiffeurs » (Grimm). Le chapitre final, intitulé : Abrégé du code de la nature, attribué par les uns à Diderot, par d’autres à Morelli, renferme d’abord un appel ardent de la Nature à l’homme, à qui elle parle comme une divinité protectrice ; puis une invocation non moins ardente à la Nature « souveraine de tous les êtres », et a à ses filles adorables, la « Vertu, la Raison, la » Vérité. » C’est une vraie religion que l’auteur semble appeler en l’honneur de ces divinités, avec son clergé : « l’apôtre de la nature ne prêtera point son organe à des chimères trompeuses… » et ses fidèles : « l’adorateur de la vérité ne composera point avec le mensonge… » Mais ce culte ne peut s’élever que sur les ruines totales de l’ancien : « Ce n’est qu’en extirpant jusqu’aux racines l’arbre empoisonné qui depuis tant de siècles obombre l’univers que les yeux… apercevant la lumière propre à les éclairer… » Comparer le projet d’un temple à la Nature, dans l’article de Diderot, Cabinet d’histoire naturelle, de l’Encyclopédie.

Ce livre était « un vrai code de l’athéisme ». Il produisit un scandale énorme en France et à l’étranger. Galiani, Correspondance, t. i, p. 142, comparaît l’auteur à Terray, qui venait de faire banqueroute. « Il est, disait-il, un vrai abbé Terray de la métaphysique. » Goethe, alors étudiant à Strasbourg, raconte, dans Wahreit und Dichtung, quelle répulsion éprouva son milieu. Le 18 août 1770, le Parlement de Paris, sur réquisitoire de l’avocat général Séguier, condamnait au feu le Système de la nature et six autres ouvrages dont la Contagion sacrée et le Christianisme dévoilé. Séguier, dont le réquisitoire se trouve à la fin du t. ii du Système de la nature, édit de 1771, insiste surtout sur cet ouvrage. Diderot, soupçonné plus que tout autre de l’avoir écrit, jugea bon de quitter Paris un moment. Les philosophes eux-mêmes furent choqués de ces négations radicales. J.-J. Rousseau prêtait à son Wolmar, dans la Nouvelle Héloïse, les idées du Système de la nature et s’élevait contre elles ; Voltaire, qui tenait à son déisme et à sa théorie de l’ordre dans le monde, consacre la section iv de son art. Dieu, dieux, dans le Dictionnaire philosophique, à réfuter le Système de la nature ; il y revient encore à l’art. Style et plusieurs fois dans sa Correspondance. Tout occupé qu’il fût de la Pologne, Frédéric II crut devoir intervenir et composa un Examen critique du Système de la nature, Œuvres complètes, 1805, t. ix, et il s’en souvient dans son épître bien connue à d’Alembert, 1773. A ces réfutations, il faut ajouter : Lettres philosophiques contre le Système de la nature, dans le Portefeuille hebdomadaire de Bruxelles, 1770, par l’abbé J.-F. Rive ; Examen du matérialisme ou réfutation du Système de la nature, par Bergier, 2 in-12, Paris, 1771 ; Pensées diverses contre le système du matérialisme à l’occasion du Système de la nature, par Dubois de Rochefort, in-12, Paris, 1771 ; Principes contre l’incrédulité à l’occasion du Système de la nature, par Camuset, 1771 ; Lettres aux auteurs du Militaire philosophe et du Système de la nature, par l’abbé Max-Antoine Regnaud, curé de Vaux, diocèse d’Auxerre, 2 in-12, 1769-1772 ;