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HOBBES

et les articles controversés. Un seul article est fondamental, à son sens, et partant nécessaire : la foi en Christ. C’est le seul pour lequel il faudrait, non pas résister au pouvoir souverain, mais aller au martyre. Les articles controversés « regardent l’ambition de dominer, ou l’avarice ou gain, ou la gloire de l’esprit » ; en effet, « les controverses touchant le purgatoire ou les indulgences sont pour le gain ; celles du franc-arbitre, de la justification, de la manière de recevoir Christ dans le sacrement de l’eucharistie sont des questions de philosophie », etc. Pour entrer dans le royaume des cieux, il n’y a qu’à accepter extérieurement les solutions du pouvoir souverain sur ces questions. Hobbes reconnaît ainsi au magistrat le pouvoir non seulement de gouverner l’Église, mais de lui imposer une interprétation officielle de l’Écriture et de fixer par conséquent les croyances — extérieures — de ses sujets. De corpore politico, part. II, c. vii, viii ; De cive, Religio, c. xvii ; Leviathan, De civitate christiana. Il est impossible de résumer ici toutes les vues religieuses de Hobbes. Il faut signaler cependant ses vues sur l’inspiration et sur le miracle : elles font prévoir les théories les plus avancées du xviiie siècle. Il parle des Écritures comme de livres inspirés et il écrit néanmoins : « Dire que Dieu a parlé en rêve à un homme, c’est dire simplement que cet homme a rêvé que Dieu lui parlait… : dire qu’il a eu une vision ou entendu une voix, c’est dire qu’il a eu un rêve qui tenait du sommeil et de la veille… ; dire qu’il parle par une inspiration surnaturelle, c’est dire qu’il trouve en lui-même un ardent désir de parler. » Leviathan, De civitate catholica, c. xxxii. Il estime que le miracle est une des raisons de notre foi et l’une des preuves des missions divines et il consacre tout le c. xxxiii du Leviathan à chercher, semble-t-il, quelle raison peut le mieux nous empêcher d’y croire : facilité des masses à croire au merveilleux ; ignorance des forces de la nature et de leurs effets ; supercherie chez les uns, illusion chez les autres ; impossibilité de distinguer entre les actes de Dieu et les actes des puissances occultes ; égalité des effets de la magie et de la puissance divine confiée aux hommes ; il évoque tout cela. Sur les idées religieuses de Hobbes, voir De cive, Religio ; De corpore politico, part. II, c. i-viii ; Human nature, c. xi ; Leviathan, De civitate ecclesiastica et De regno tenebrarum ; enfin Objectiones tertiæ in Cartesii de prima philosophia meditationes.

Hobbes rencontra de fervents admirateurs, tels Gassendi et Mersenne, qui ne partagent pas cependant toutes ses idées, mais il rencontra de nombreux adversaires. L’opposition data du De cive. Dans la préface de la 2e édition, Hobbes dit qu’il fut attaqué : par des gens d’Église : ils lui reprochaient d’avoir donné au magistrat toute puissance sur les consciences ; par des sectaires, il désigne de ce nom les dissidents anglais, qui lui reprochaient d’avoir nié la liberté de conscience ; par des magistrats, pour avoir mis le souverain au-dessus des lois. Après le Leviathan, l’opposition grandit contre le « hobbisme » ; elle se manifeste librement après la Restauration. Un étudiant de Cambridge ayant soutenu des thèses qui semblaient inspirées de Hobbes, ce fut le signal d’une levée de boucliers. En 1666, le Parlement, dans la discussion d’un bill contre le libertinage et l’athéisme, condamna le Leviathan ; en 1683, un ministre anglican, John Dowel, justifiera cette condamnation dans un petit ouvrage, The Leviathan heretical, in-12, Oxford. Hobbes eut contre lui les universités de Cambridge et d’Oxford. Parmi les théologiens de Cambridge qui le poursuivirent de leurs critiques, il faut citer : Tenison, qui devait mourir archevêque de Cantorbéry, dans le The creed of Mr. Hobbes examined, in-8°, Londres, 1670 ; More, dans son Immortality of the soul, 1659 ; Cudworth, dans son Intellectual system, 1678, et dans son Treatise concerning eternal and immutable morality, 1731 ; Cumberland, dans son De legibus naturæ, 1672 ; Clarke, dans sa Demonstration of the being and attributes of God, 1705. En 1683, l’université d’Oxford condamna le De cive et ordonna que le Leviathan fût brûlé publiquement. D’un autre côté, Clarendon exilé se décidait à publier en 1676 une réfutation du Leviathan qu’il avait commencée dès la première lecture du livre, mais qu’il n’avait pas poursuivie, la jugeant inutile sous Cromwell et peu généreuse au début de la Restauration : Brief view and syrvey of the errors… in the… Leviathan, in-4°, Oxford, On dénonce dans les chaires l’impiété de ses théories et sur le théâtre même : en 1699, Farguhar, dans Constant couple, fera du père débauché un lecteur de Hobbes. On le réfutera au dehors : en 1680, Kortholt publiait son De tribus impostoribus magnis… Cherbury, Hobbes et… Spinosæ…, in-8°, Kiel ; en 1797, Feuerbach publiera un Anti-Hobbes oder über die Grenzen der höchsten Gewalt, et en 1807, Buckholtz un Anti-Leviathan. Ce n’est pas par sa thèse politique que Hobbes exerça grande influence : en Angleterre, la révolution de 1688 mettait fin à tout absolutisme ; en France, le xviiie siècle allait restaurer l’idée du droit individuel ; toutefois, entre les vues de Hobbes et de Rousseau, il y a plus d’une similitude. Sa philosophie n’a rien d’original ; Hobbes contribua cependant au progrès du mouvement rationaliste inauguré par Baron et surtout par Descartes, et au développement de la philosophie empirique et sensualiste. Mais par ses vues religieuses, morales et sociales, Hobbes eut grande influence : les philosophes français du xviiie siècle lui durent beaucoup et les utilitaires anglais saluèrent en lui un de leurs précurseurs. Sur l’influence de Hobbes en Allemagne, voir G. Zart, Einfluss der englischen Philosophie auf die deutsche Philosophie des 18 en Jahrhunderts, Berlin, 1881.

Les trois autobiographies de Hobbes réunies par R[ichard] B[lackburne] en un seul volume, dédié à William, comte de Devonshire, et imprimé à « Carolopoli apud Eleutherium Anglicum sub signo veritatis, MDCLXXXI », dans l’ordre suivant : 1° Vita Thomæ Hobbesii, la dernière en date, écrite par lui ou dictée par lui à Eymer ; 2° Vitæ Hobbianæ auctarium, œuvre de Blackburne, qui a introduit dans l’autobiographie de Hobbes des notes rédigées par un ami de l’auteur, John Aubry, et qui a ajouté la liste des œuvres, des amis et des adversaires de Hobbes ; 3° Vita T. H. carmine expressa, la première en date, 1674. Ces trois Vies se retrouvent en tête de l’édition Molesworth ; Wood, Athenæ Oxonienses, Londres, 1692, t. ii ; on trouve également une notice sur Hobbes dans les Letters and lives… d’Aubreg, 1813, t. ii, et en tête des éditions de Campbell, 1750, et de Mallet, 1812.

Les travaux les plus complets sur Hobbes sont : G. Croom Roberston, Hobbes, Édimbourg, Londres, 1886 ; l’auteur a consulté les manuscrits de Hobbes et ses papiers conservés parmi les archives des Cavendish ; G. Lyon, La philosophie de Hobbes, in-12, Paris, 1893 ; F. Tönnies, Hobbes Leben und Lehre, dans la collection Fromann’s Klassiker der Philosophie, Stuttgart, 1896 ; Leslie Stephen, Hobbes, in-12, Londres, 1904. Voir aussi l’art. Hobbes, de Bayle, dans le Dictionnaire, et de L. Stephen, dans le Dictionary of national biography ; Sorbière, Voyage en Angleterre, Paris, 1664 ; White Kennet, Lives of Cavendishes, 1708, p. 108-116 ; d’Israële, Quarrels of authors, 1814 ; L. Welthysen, De principiis juris ac decori dissertatio epistolica continens apologiam pro tractatu clarissimi Hobbesii, De cive, in-12, Amsterdam, 1851 ; Masson, Life of Milton, 1860 ; Kuno Fischer, Bacon und seine Nachfolger, 2e édit., 1875, t. ii : A. Chevrillon, Quæ fuerint sæculo XVII imprimis apud Hobbesium Anglicæ solutæ orationis progressus, in-8°, 1893 ; et en général les historiens de l’Angleterre, Macaulay, History of England, t. i, trad. E. Montégut, 1854 ; Buckle, History of civilisation in England, trad. Lacroix, 1865. t. i ; de la littérature anglaise et de la philosophie : entre autres, en France : Jouffroy, Cours de droit naturel, l. ii, leçons