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ses, opposées à du nouvelles erreurs. Si l’autorité doctrinale n'était pas infaillible, ne serait-il pas à craindre que ces précisions nouvelles, adoptées par elle avec la meilleure foi du monde, n’aboutissent parfois à faire dévier le dogme, à changer substantiellement la révélation ? La science humaine des juges ecclésiastiques ne suffirait pas à nous rassurer ; et l’on pourrait discuter, par exemple, celle des Pères de Nicée, quand ils ont jugé la controverse soulevée par les ariens, et imposé la nouvelle formule du « consubstantiel » . Seule, l’infaillibilité du concile œcuménique peut, dans des questions si subtiles et si délicates, nous rassurer pleinement ; et déjà au Ve siècle l’historien Socrate répondait à un hérétique que les Pères de ce concile, " malgré leur simplicité et leur peu de science, éclairés qu’ils étaient par la grâce de l’Esprit-Saint, n’ont pu en aucune façon dévier de la vérité. » H.E., 1. I, c. ix, P. G., t. lxvii, col. 87. « Si le Seigneur n’habitait pas l'Église d’aujourd’hui, dit saint Augustin, la spéculation la plus studieuse aboutirait à l’erreur. » Enarr. in ps. ix, n. 12, P. L., t. xxxvi, col. 122.

Cette considération avait frappé Brunetière. Il cite ce mot de Newman : « Si le christianisme est à la fois social et dogmatique, et qu’il soit destiné à tous les siècles, il doit, humainement parlant, avoir un organe infaillible, » et le commente en ces termes : « Si le dogme ne vivait pas d’une vie intérieure et intense, mais surtout ininterrompue ; si, de l'étude approfondie que les théologiens en font, il ne s’engendrait pas tous les jours, pour ainsi parler, des conséquences si nombreuses, et quelquefois si contradictoires, qu’aucune autorité particulière ou individuelle, ni même collective, n’en saurait absolument garantir l’orthodoxie ; si son immutabilité ne courait pas enfin le risque d'être mise en péril par la richesse de son développement, c’est alors, vous le voyez bien, que le christianisme n’aurait pas besoin d’un organe infaillible ! Mais, comme il faut qu’il soit toujours, à moins de cesser d'être lui, « contemporain à l’humanité, » et comme il ne peut l'être qu’en adaptant à des besoins nouveaux des vérités éternelles, il lui faut donc une autorité dont le rôle soit de démêler ou de décider, parmi les développements du dogme, lesquels sont légitimes et lesquels ne le sont pas ; lesquels étaient contenus implicitement dans sa formule, et lesquels ne l'étaient point ; lesquels enfin élargissent, sans le dénaturer, l’enseignement de l'Église, et lesquels, comme au xvie siècle, en prétendant l'épurer, le déforment. » Le progrès religieux dans le catholicisme, discours prononcé à Florence en 1902, dans le Correspondant du 10 novembre 1902, p. 403.

Voilà pourquoi les schismatiques orientaux, ne reconnaissant pas plus que les protestants une infaillibilité vivante à laquelle on puisse recourir, mais tenant plus qu’eux à la conservation du dogme, proclament que les premiers conciles œcuméniques, ceux qui ont précédé leur séparation, étaient infaillibles, en quoi ils n’ont pas tort, mais ajoutent qu’il faut s’en tenir exclusivement aux définitions de ces conciles : soit que, d’après eux, il ne puisse plus y avoir de nouvelles controverses à décider, soit que la simple répétition des antiques formules doive suffire à trancher toute nouvelle controverse. On' aurait donc pu se passer d’un organe vivant de l’infaillibilité, et de tout concile œcuménique nouveau, pendant près de mille ans jusqu'à nos jours, et l’on pourrait continuer à s’en passer encore. Déjà Joseph de Maistre, qui avait étudié de près l'Église russe, observait que dans la discussion ils en reviennent toujours là et qu’il leur a entendu dire mille fois qu' « il ne faut plus de concile, et que tout est décidé. » Du pape, 1. IV, c. vi, Œuvres, Lyon, 1884, t. ii, p. 478, 479. Il ne faut plus

de controverses ; le czar les étouffe et impose silence à tout le monde. De Maistre, Lettres et opuscules, t. ii, p. 407. Que dire de cette position, diamétralement opposée au développement du dogme ? Si respectueuse qu’elle puisse paraître de la tradition, elle contredit la tradition des Pères grecs, ceux-là précisément dont se réclament les grecs séparés : les Pères grecs étaient des penseurs, des chercheurs, préoccupés de développer les sciences théologiques, développement qui ne peut se faire sans essayer des explications nouvelles, sans les défendre contre les contradicteurs, en un mot sans le choc des opinions. Elle contredit la tradition de ces conciles qu’ils invoquent, par exemple, de celui de Chalcédoine, qui, dans son allocution à l’empereur Marcien, déclare nécessaire d’opposer aux nouvelles erreurs une nouvelle « découverte de vérité » et de les réfuter par de « salutaires additions » à la doctrine. Hardouin, Concil., t. ii, p. 646. Restreindre cette nécessité à une époque ancienne, comme s’il n’y avait plus désormais de nouvelles erreurs, c’est se moquer de la psychologie et de l’histoire. Restreindre les promesses divines d’infaillibilité à quelques siècles de la vie de l'Église au détriment des autres, c’est illogique, et sans fondement dans l'Écriture ni dans la tradition chrétienne ; le Christ n’a pas dit : « Je suis avec les sept premiers conciles, » mais : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » Matth., xxviii, 20. Prétendre qu’un formulaire mort peut suffire à juger toutes les controverses nouvelles, c’est ce que nous avons réfuté plus haut. Vouloir étouffer toute controverse, c’est la prudence de l’aveugle qui s’arrête immobile sur un chemin dangereux qu’il ne connaît pas ; c’est vouloir comprimer l’esprit humain, supprimer le développement du dogme et de la théologie, conserver verbalement des formules sans chercher à en comprendre le sens, réduire la foi à un pur psittacisme, remplacer la science par l’ignorance, la vie intellectuelle par la mort.

Ce n’est pas ainsi que l'Église catholique entend l’immutabilité des dogmes, et leur conservation. Elle tient sagement le milieu entre l’anarchie fiévreuse des sectes protestantes, et la torpeur léthargique des Églises orientales séparées ; entre la mobilité effrénée des unes et l’immobilité pétrifiée des autres. Elle conserve les dogmes anciens, mais comme Dieu veut qu’on les conserve, avec intelligence, avec développement et progrès, pour être une lumière à tous les siècles. C’est qu’elle seule revendique l’organe nécessaire à une semblable conservation, le magistère infaillible et vivant. Parce qu’ils ne comprennent pas cette via média, ses adversaires lui jettent deux accusations qui se contredisent entre elles, comme le remarque le P. Janvier : « On lui reproche tantôt de changer…, tantôt de rester figée dans des conceptions condamnées par le progrès ; on la somme ici de revenir à ses origines, de renoncer à tout le développement dont elle a été l’agent, là d’oublier le passé…, de s’adapter, par des transformations volontaires, par une évolution continue, aux besoins des esprits, aux aspirations des âmes, aux caprices des âges. » La foi, carême 1911, 2e édit., Ve conf., p. 175.

3° Conclusion. L'Église, règle de foi. — Comme le feu a pour matière les divers combustibles, ainsi la foi a pour objet, pour matière, toutes les vérités qu’il a plu à Dieu d’attester, de révéler autrefois, son motif spécifique étant le témoignage divin. Et comme, pour faire du feu, il faut d’abord se procurer des matériaux, ainsi, avant de croire, il faut savoir où se trouvent les vérités révélées, et comment on peut les discerner de celles qui ne le sont pas. On appelle « règle de foi » un moyen général et infaillible de trouver, de discerner les vérités révélées, du moins un bon nombre d’entre