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vérité ou de l’erreur, ni prononcer une sentence entre les parties adverses. Les écrits des Pères, avec la sainte Écriture, sont sans doute une règle de notre foi » niais une règle incomplètement efficace dans les cas obscurs ; cette règle doit diriger les juges vivants dans leurs travaux préparatoires à un jugement, mais ne suffit pas sans ce jugement à finir les controverses. Alors, ne pourrait-on pas recourir à un tribunal ecclésiastique qui jugerait, mais sans infaillibilité? C’est la solution proposée souvent autrefois par des protestants, malgré l’entorse qu’elle donne à leur principe du libre examen. Ainsi, au synode de Dordrecht(lC18), des calvinistes condamnèrent le système des arminiens, hostile à la prédestination et favorable au libre arbitre ; en 1640, les anglicans condamnèrent les sociniens, ancêtres du rationalisme, etc. L'Église anglicane, dans son art. 20, s’attribue « l’autorité dans les controverses de foi, » tandis qu'à l’art. 21 elle nie l’infaillibilité des conciles généraux eux-mêmes. Que dire de cette solution moyenne, qui admet l’autorité du juge vivant sans aller jusqu'à son infaillibilité? Elle est insuffisante et boiteuse ; aussi les protestants et l'Église anglicane elle-même ont fini par renoncer en pratique, dans leurs synodes, à l’exercice de toute autorité doctrinale, leurs fidèles n’y ont pas confiance. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1858. C’est qu’ici il ne suffit pas d’une autorité quelconque, il faut qu’elle soit infaillible. Dans l’ordre civil et politique un législateur, un juge n’est pas infaillible, c’est vrai : mais il décide des questions purement extérieures, il n’a pas à imposer des adhésions de l’intelligence, comme quand il s’agit de la foi ; il ne tranche pas des questions d’idées. Même dans l’ordre ecclésiastique et religieux, on conçoit encore un tribunal faillible, pourvu qu’il se contente de rappeler les vérités déjà définies ou professées par tous les chrétiens, d’en urger l’application par des mesures disciplinaires, des excommunications : mais qu’un tel tribunal prétende trancher définitivement et sans appel une controverse de foi, c’est-à-dire une question nouvelle et librement discutée, et veuille par sa décision obliger la foi chrétienne, la foi souverainement ferme et inébranlable, à aller dans un sens plutôt que dans l’autre, c’est le faillible usurpant ce qui ne convient qu'à l’infaillible, c’est une tyrannie des consciences. Si l'Église catholique, pour ne pas laisser les fidèles sans direction avant d’arriver à une définition qui ne paraît pas encore assez mûrie, se sert parfois d’une forme de jugement doctrinal comme en première instance, rendu soit par un synode particulier, soit par une Congrégation romaine, etc., c’est à la condition qu’elle ait dans son infaillibilité la possibilité d’aller plus loin et de porter enfin une définition. La sentence provisoire peut avoir de bons effets : mais elle ne peut remplacer absolument et toujours la sentence définitive, Concluons : à l’obscurcissement progressif des vérités révélées par les controverses qui s’additionnent et ordinairement ne finissent pas toutes seules, il ne reste qu’un remède vraiment efficace : c’est l’infaillibilité de l'Église portant sur les doctrines un jugement absolu et définitif. Nous n’avons point parlé de la solution illuministe qui étendrait l’infaillibilité à chaque fidèle, soit parce qu’elle est contraire à l’expérience (il n’y aurait pas alors de controverses, et l’EspritSaint produirait en tous la même lumière), soit parce que nous l’avons déjà rejetée à propos des révélations privées. Voir col. 147. Sur les trois étapes ou « stades » par lesquels passent les vérités finalement définies, voir Explicite et implicite, t. v, col. 1870. Le protestantisme qui ne veut plus admettre d’infaillibilité ecclésiastique, ni hors de lui ni chez lui, a fini par se convaincre, à force d’expérience, qu’il restait sans remède contre cette diminution progressive et

cette déperdition de nombreuses vérités tenues autrefois comme révélées, souvent même inscrites dans ses confessions de foi officielles. Alors, sur la question de l’objet de la foi, il a essayé deux nouvelles positions. La première en date est celle des « articles fondamentaux » préconisée par le ministre Jurieu, adversaire de Bossuet. Ce système, que les protestants conservateurs d’alors regardaient comme téméraire et ultralibéral, est accepté aujourd’hui par eux comme le dernier refuge, le suprême effort d’un orthodoxisme aux abois. Il répond à cette préoccupation : Faisons la part du feu ; à l’audace envahissante des négations, abandonnons, comme simple accessoire de la foi, comme objet niable, la grande masse des dogmes révérés de nos pères ; mais du moins sauvons-en trois ou quatre, comme la trinité, la divinité du Christ, le péché originel : ceux-là, nous y tiendrons comme à la vérité absolue, ils seront l’essence même du christianisme, et l’on ne sera plus chrétien, mais excommunié, si l’on se permet d’en nier un seul. Voir t. i, col. 2025 sq. Voilà un conservatisme bien mitigé, une vraie miniature d’orthodoxie : jamais les premiers chrétiens n’ont réduit la foi obligatoire à un tel minimum. Si saint Paul avait eu un tel système, il n’aurait pas traité des chrétiens de son temps comme « naufragés de la foi, gens livrés à Satan » pour avoir nié le dogme de la résurrection de la chair, que nos protestants orthodoxes ne placent nullement parmi les points fondamentaux. I Tim., i, 19 ; II Tim., ii, 17, 18. De plus, il faudrait un critère pour fixer ces articles fondamentaux, une ligne de démarcation bien nette entre les vérités essentielles au christianisme et celles qui ne le sont pas, entre celles qu’on ne peut pas nier et celles qu’on peut nier sans cesser d'être chrétien. Or, ce critère manque absolument, et jamais les protestants n’ont pu s’entendre là-dessus, bien qu’au dire de l’un d’eux, Mosheim, on puisse monter une bibliothèque des ouvrages qu’ils ont écrits à ce sujet. Sur ce défaut de critère, voir le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1910, t. i, col. 1274, 1275. Les protestants libéraux ont depuis longtemps fait ressortir ce défaut capital du système : « Toutes les fois qu’on voudra vous imposer l’unité orthodoxe, disait Athanase Coquercl fils, exigez avant tout que les orthodoxes s’accordent entre eux sur ce qu’ils veulent vous imposer. » La conscience et la foi, Paris, 1867, p. 157. « Nous avons assisté avec intérêt et même avec sympathie, mais sans aucune illusion, écrit Aug. Sabatier, aux tentatives que l’on a faites pour déterminer un certain nombre de dogmes immuables ou absolus dans l’une ou l’autre des Églises protestantes. Les théologiens les plus subtils s’y sont employés ; tous ont échoué. Cet échec a été aussi éclatant et inévitable dans l'Église anglicane et dans le luthéranisme allemand, très voisins du catholicisme, que dans les Églises réformées de France, de Suisse, d’Ecosse ou d’Amérique… Pour opérer ce travail d’exégèse et de construction dogmatique, il faudrait avoir recours à des hommes, à des savants qui, n'étant pas infaillibles, ne sauraient communiquer au résultat de leur œuvre un caractère qu’eux-mêmes n’ont pas. La même contradiction revient toujours. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 4e édit., 1897, p. 288. Le résultat final, c’est que la fraction conservatrice elle-même, dans chaque communauté protestante, cède, cède encore aux libéraux pour le bien de la paix, et descend vers la destruction de tout dogme. Voir Snell, op. cit. r p. 109 sq. Pour s’entendre entre conservateurs et libéraux par une formule de conciliation telle quelle, on en arrive à réduire l’objet de la foi, l’essence du christianisme, à une idée très vague. M. Harnack, par exemple, mettra cette essence dans la « foi au Père » . Quant à ce Père, chacun l’entendra comme il voudra, Dieu