Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/79

Cette page n’a pas encore été corrigée

m

FOI

144

lité ne changera pas le motif spécifique de la foi ni par conséquent son essence.

Dès le commencement du protestantisme, il n’a pas manqué de sectes illuminées pour faire de chacun des fidèles autant de prophètes. On y exigeait pour la foi chrétienne cette révélation immédiate : soit qu’on finît par la substituer entièrement à la révélation médiate, ainsi les anabaptistes, du temps même de Luther, en étaient venus à se moquer de la Bible, Bibcl, Babel, voir Vigouroux, Les Livres saints et la critique rationaliste, 2e édit., Paris, 1886, t. i, p. 446 ; soit qu’on l’adjoignît plutôt à la Bible, ainsi les quakers enseignèrent qu’il y a deux révélations nécessaires, l’une complétant l’autre, 1' « extérieure » et 1' « intérieure » . Voir Mœlher, La symbolique, trad. Lachat, 2e édit., Paris, 1852, t. ii, p. 228 sq. Plus tard, quand naquit chez les protestants le « rationalisme chrétien » , on eut une autre espèce de révélation immédiate et intérieure, où le fait miraculeux était remplacé par un phénomène absolument ordinaire et normal : idéal conçu par notre raison, voix de la conscience, etc. Voir col. 136 sq. De tels phénomènes se passent aujourd’hui même, et sont évidemment personnels à chacun de nous. Ceux-là seuls, parmi les rationalistes, qui parlent de « révélation par les grands hommes, » conçoivent encore la révélation comme un fait ancien dont bénéficient, à leur manière, les âges suivants, comme un fait particulier à quelques-uns et dont profitent tous les autres. D’autres exigent qu'à ce fait ancien vienne se joindre un fait nouveau du même ordre : « Ne crois pas, ô mon frère, s'écrie Aug. Sabatier, que les prophètes et les initiateurs t’aient transmis leurs expériences pour te dispenser de faire les tiennes… Les révélations du passé ne se démontrent efficaces et réelles que si elles te rendent capable de recevoir la révélation personnelle que Dieu te réserve… Ainsi la révélation divine qui ne se réalise pas en nous et n’y devient pas immédiate, n’existe point pour nous. » Esquisse, p. 58, 59. Ce mot de < révélation » et le terme encore plus vague d' « expérience religieuse » servent par leur ambiguïté aux protestants modernes, pour établir, dans une même secte, une sorte d’unité apparente. Qu’il s’agisse de « révélation » faite immédiatement au Christ ou aux prophètes ou à nous-mêmes, les uns, surnaturalistes et conservateurs, entendent par là un phénomène vraiment miraculeux, inexplicable par les causes naturelles ; les autres, naturalistes et libéraux, entendent sous le même mot un phénomène franchement naturel et ordinaire à tous les hommes, comme la voix de la conscience ; d’autres enfin, un fait indécis, situé sur les confins du surnaturel, un phénomène psychique et anormal, comme ces faits de commotion et de conversion subite chers à beaucoup de protestants et racontés par W. James, qui les explique naturellement, sans décourager pourtant les bonnes âmes préférant y voir du surnaturel. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1803, 1804.

La question de la révélation immédiate et personnelle, dans ses rapports avec la foi, vaut donc qu’on s’y arrête. Distinguons d’abord entre connaissance immédiate et révélation immédiate. La foi, puisqu’elle n’affirme une vérité qu’en passant par l’intermédiaire du témoignage divin, ne peut être une connaissance immédiate. Voir col. 107 sq. Mais elle peut s’appuyer sur une révélation immédiate et personnelle ; elle se prête également aux diverses présentations du témoignage divin. Abraham n’est-il pas donné par l’apôtre comme le prototype de la foi qui sert à la justification et au salut, Rom., iv, 4, sq.? Or l’acte de foi loué ici par l’apôtre portait sur une révélation faite immédiatement et personnellement à Abraham, 18-22. Cf. Gen., xv, 4-6. Une telle révélation, avec les condi tions voulues, peut donc suffire à l’acte de foi divine et salutaire. D’autre part, la révélation médiate suffit aussi à la foi : Jésus renvoyait déjà les Juifs à une révélation fort ancienne, confiée à l'écriture. Joa., v, 46, 47. Est encore médiate la révélation qui se propage par la prédication : or celle-là non seulement suffit, mais elle est pour nous l’ordinaire, dont nous devons nous contenter ; témoin saint Paul, qui fait de la prédication une condition normale de notre foi. Rom., x, 14Et l’on ne peut entendre l’apôtre en ce sens, que la prédication soit nécessaire pour exciter en chaque fidèle une révélation personnelle : une telle nécessité ne peut exister, car on pourrait trouver bien d’autres causes excitatrices, en dehors de la prédication ; du reste, si la révélation immédiate, comme le disent certains protestants, était une condition essentielle de l’acte de foi, saint Paul, énumérant ces conditions pourrait-il passer celle-là sous silence ? Et puis nous demanderons à chacun d’eux ce qu’il entend par ces termes de révélation immédiate ou personnelle. Si c’est la révélation naturelle de la raison, de la conscience, nous avons déjà montré qu’elle ne peut suffire à la foi chrétienne. Si c’est une extraordinaire commotion (psychique ou miraculeuse) sans aucune affirmation divine, et que l’homme interprète à sa façon par des affirmations sans valeur objective (Tyrrel), nous avons déjà répondu en prouvant que le motif de la foi chrétienne est le témoignage de Dieu, l’affirmation de Dieu, et que la « révélation » qui s’adresse à notre foi n’est autre chose que cette affirmation et ce témoignage. Si c’est une affirmation de Dieu lui-même, communiquée surnaturellement et directement au fidèle, comme l’entendent les sectes illuminées du protestantisme, nous ferons remarquer combien dangereux serait un état de choses où tous les chrétiens, à toute époque de l’histoire, même les plus grossiers et les plus ignorants, auraient le droit de se considérer comme des prophètes infaillibles et inspirés : de là ces horreurs du fanatisme, que nous Usons dans l’histoire des sectes. Il y aurait aussi là une excessive et inutile multiplication de miracles intérieurs ; l’humanité peut avoir la révélation surnaturelle à meilleur compte, en la recevant simplement par intermédiaires. D’autant plus qu’il faudrait encore des miracles extérieurs, pour prouver ce charisme intérieur à ceux qui, au nom de la raison, refuseraient de l’admettre ; Luther lui-même, et à juste titre, demandait aux anabaptistes des miracles, pour prouver la mission qu’ils s’arrogeaient en vertu de prétendues révélations personnelles : et cela se retournait contre lui. Voir Dcnifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, 1912, t. iii, p. 257-261. Non, la sagesse divine n’a pu établir une espèce de christianisme aussi funeste : des révélations que chacun ait le droit de supposer en soi sans en fournir aux autres la preuve ; des états anormaux devenant la foi normale ; l’exaltation et le trouble jetés dans une foule d'âmes faibles et maladives ; tant de portes ouvertes sur la folie et sur le crime I Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1831. Enfin de quelque façon naturelle ou surnaturelle que l’on conçoive cette révélation immédiatement donnée à chacun, elle aurait peine à coexister en pratique avec une société religieuse, une autorité, une hiérarchie, des institutions liturgiques. Voir ibid., col. 1830. Or, ces institutions, ces liens sociaux sont nécessaires à l’homme et voulus de Dieu ; leur nécessité est reconnue même par des penseurs étrangers au catholicisme. « Les choses communes, actes, croyances, symboles, institutions, sont une partie essentielle de la religion, même sous sa forme personnelle… Si le sentiment est l'âme de la religion, les croyances et les institutions en sont le corps ; et il n’y a de vie en ce monde que pour des âmes unies à des corps. » E. Boutroux, dans la Revue