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qu’il y a eu révélation ? Au reste, le prophétisme intérieur n’est pas la seule origine possible île la révélation divine. Les patriarches et les prophètes ont reçu la révélation très simplement par les sens extérieurs, quand elle leur venait par des anges prenant une forme visible, ou même sans forme visible, formant dans l’air les ondulations d’une vj : x miraculeuse. Les apôtres ont reçu la révélation chrétienne en majeure partie, des lèvres du Christ, qui leur parlait comme on parle d’homme à homme, et dont ils nous ont transmis les enseignements. Il nous a toujours semblé que l’on exagérait de nos jours la préoccupation du prophétisme intérieur quand il s’agit de révélation, et nous sommes heureux de retrouver la même pensée dans une note ajoutée par le P. Janvier à ses conférences sur la foi : « Le mode de la révélation peut se présenter sous différentes formes. Ce qui importe, c’est la communication et non le mode dont Dieu se sert pour nous l’assurer. La manifestation divine peut se faire par l’intermédiaire de signes extérieurs ou par une inspiration purement intérieure. Aujourd’hui, beaucoup ont une tendance à supprimer le premier mode pour s’en tenir uniquement au second. Il y a là une exagération certaine et une concession regrettable faite au subjectivisme. La connaissance de l’homme débute par les sens, et l’on serait bien embarrassé pour prouver qu’il est plus facile de l’instruire sans frapper ses sens extérieurs qu’en les frappant. » Conférences de Notre-Dame de de Paris, La foi, carême 1911, 2e édit., note 2 de la iie conférence, p. 383.

On dira peut-être que remonter des prophètes aux anges qui leur parlaient, ou des apôtres au Christ qui les instruisait, ce n’est que déplacer la difficulté : ne retrouvons-nous pas alors dans le Christ et dans les anges ces phénomènes intérieurs du prophétisme dont nous voulions éviter l’explication, en sorte que toute révélation en dépend nécessairement ? Je réponds que nous ne les y retrouvons pas, et que cette dépendance nécessaire n’existe pas. Comment, en effet, le Christ en tant qu’homme puisait-il la révélation aux sources de la divinité? Non point par les complications du prophétisme et sa demi-lumière condamnée à disparaître au ciel, I Cor., xiii, 8-11 ; mais par la vision intuitive île Dieu, dont son âme jouissait déjà dans sa vie mortelle, d’après le sentiment unanime des théologiens. Cf. S. Thomas, Sum. iheol., III » , q. ix, a. 2 ; q. x. De même pour les anges, qui ont la vision intuitive. Matth., xviii, 10. On voit qu’un des modes (et le principal) de la transmission du témoignage divin a consisté en ceci, que la vision intuitive, cette suréminente « révélation » possédée par le Christ et les anges, a déversé de sa plénitude sur des hommes qui n’en jouissaient pas encore pour leur faire partager quelque chose de son objet par la voie moins parfaite du témoignage, mais d’un témoignage divin, car Dieu témoignait avec son envoyé et parlait par sa bouche.

2° Exposé des systèmes qui ont donné pour base à la foi chrétienne la « révélation naturelle » sous diverses formes. — Dès le xviii siècle, des protestants gagnés au rationalisme, ennemis du miracle et du surnaturel, cherchèrent à rester malgré cela dans les Églises protestantes, et à garder à leur manière les concepts chrétiens de foi et de révélation, en honneur dans ces Églises, et chers aux protestants conservateurs avec lesquels ils voulaient rester en communion, à peu près comme les modernistes de nos jours ont cherché à rester dans l'Église, et en ont gardé le langage avec tin sens tout différent. Ces protestants donnaient pour toute base à la foi du chrétien ce qu’on peut appeler la « révélation naturelle » . Mais comme on peut entendre sous ce terme un peu vague divers phénomènes moraux ou religieux, les uns s’attachèrent à tel de ces

phénomènes, 1er autres à un autre. Lnumérons ces diverses formes de la révélation naturelle, avec les systèmes qui s’y sont rattachés.

1. L’idéal moral.

Kant, en ennemi déclaré du surnaturel, rejette a priori « une triple foi erronée » : la foi aux miracles, la foi aux mystères, la foi à l’efficacité surnaturelle des sacrements. Seule, la foi au Fils de Dieu comme idéal moral de l’humanité a une valeur religieuse : croire ainsi au Christ, c’est vouloir, à son exemple, réaliser en soi l’idéal moral : foi utile et pratique, parce qu’elle contient le principe d’une vie morale et heureuse. Kant, La religion dans les limites de la raison, trad. Lortet, 1842. Cf. Senger, Kanl’s Lehre vom Glauben, 1903, p. 87 sq. Ainsi le bonheur de l’homme est pris arbitrairement pour l’unique fin qui décide de ce qui a une valeur religieuse et de ce qui n’en a pas ; et la foi est confondue avec la volonté postérieure à la foi, avec la volonté d’observer toute la loi morale, de réaliser en soi l’idéal moral ; voir au début de cet article le sens du mot

a foi » .

Dans l’homme-Dieu, poursuit Kant, ce qu’atteint la foi, ce n’est pas le phénomène qui tombe sous l’expérience, c’est le prototype qui réside dans notre raison et qu’elle introduit sous ce phénomène ; l’objet de la révélation et de la foi qui sauve, c’est ce prototype, cet idéal. Ainsi le Christ historique, d’après Kant, n’est qu’une occasion pour notre raison d’atteindre son propre idéal, et pour notre volonté, de le vouloir ; la foi chrétienne ne porte que sur cet idéal rationnel, et le christianisme devient le rationalisme.

Dans le même ouvrage de Kant, un autre point fondamental est la distinction entre cette « foi de la raison » ou « foi morale » — c’est elle qui constitue la religion pure, c’est-à-dire débarrassée de tout élément historique et empirique, et elle est sa démonstration à elle-même parce qu’elle rend l’homme moral et heureux — et la « foi ecclésiastique » ou « historique » , qui est une foi réglementée, dirigée par une Église et fondée sur des Livres saints, donc foi de savants et d’exégètes, sans valeur morale par elle-même, plutôt déprimante et gênante, elle n’a qu’une valeur relative (voilà qui est bien arbitraire). Kant accorde pourtant que la « foi de la raison » pour se soutenir a besoin d'être reliée à une « foi historique » et aidée par une Église. Cf. Senger, op. cit., p. 100 sq.

De ce concept kantiste de la foi au Christ — non pas au Christ réel, mais à un idéal que nous concevons à propos du Christ — paraît dériver l’usage singulier qu’ont fait les modernistes du mot « foi « pour signifier l’idéalisation d’un fait historique, l’auto-suggestion d’une multitude enthousiaste créant peu à peu une légende autour d’un grand nom, et dénaturant par l’idéal le réel de l’histoire. C’est là ce qu’il faut comprendre sous ces expressions onctueuses que les modernistes répétèrent si souvent : « sentiment chrétien, conscience chrétienne, foi des premières générations chrétiennes, » etc. On a pu s’y méprendre pendant longtemps, mais à la fin on y a vu clair avec des explications comme celles-ci : « Tous les dogmes et enseignements de l'Église au sujet de la Vierge Marie procèdent du sentiment chrétien, non de témoignages historiques… Suggestions de la foi, qui tendent au développement d’un idéal religieux et moral. » A. Loisy, Quelques lettres, 1908, p. 77. « Je crois en particulier que les récits de la naissance miraculeuse, dans les Évangiles dits de Matthieu et de Luc, sont purement légendaires et que ceux de la résurrection prouvent seulement la foi de l'Église apostolique. » Op. cit., p. 252. « Tel est, selon les hétérodoxes, le développement de Vespril légendaire, ou, comme disent les mystiques, de la conscience chrétienne. » Houtin, La question biblique au A.e siècle, 1906, p. 258. Ainsi