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FOI


il faut que la vérité de cet énoncé apparaisse connue reposant sur le témoignage divin. Sans cela, l'âme ne recevrait pas le témoignage de Dieu, et, tout en admettant le vrai, ne l’admettrait pas par un acte de foi ; Dieu lui ferait voir une chose, mais ne lui ferait pas voir sa pensée sur cette chose, et par conséquent ne lui parlerait même pas, puisque la parole consiste essentiellement à exprimer la pensée, comme dit saint Thomas : Nihil est aliud loqui ad allerum, quam conceptum mentis alteri manifestare. Snm. theol., I a, q. evu, a. 1. Et quand même la parole pourrait consister parfois à montrer des objets sans montrer sa pensée, en tout cas, le témoignage ne le pourrait certainement pas ; or, la révélation qui est à la base de la foi n’est pas seulement une parole, mais un témoignage. Mais si Dieu, par son opération surnaturelle dans l'âme, en lui faisant porter un jugement sur un objet, lui donne l’assurance que ce jugement représente la pensée de Dieu même sur cet objet, et, lui rappelant l’infaillibilité de la pensée divine, fait ainsi appel à sa foi, alors, bien que l’oreille du corps ne perçoive aucun son, la vérité reçue peut encore être dite accepta ex auditu, cf. S. Thomas, Sum. theol., II a II B, q. v, a. 1, ad 3um ; l'âme entend à sa manière Dieu parler, témoigner, et c’est grâce à la parole et au témoignage de Dieu qu’elle accepte cette conception des choses comme vraie, si elle l’accepte ; et ainsi peut se faire un acte de foi divine. — Sur ces conditions requises pour qu’une action surnaturelle de Dieu dans l'âme soit au sens propre une parole de Dieu, un témoignage de Dieu, voir Lugo, De fide, dist. I, n. 197, p. 101. Il y fait observer, par exemple, que la science infuse peut bien être regardée en quelque sorte comme une « révélation » , à cause du sens très ample de ce mot : Quæ cognoscerel per scientiam infusam, aliquo modo diceretur scire per revelationem ; mais ce n’est pas la révélation corrélative à la foi, suffisante à l’acte de foi ; et pourquoi ? parce que ce n’est pas une parole de Dieu. Pour qu’il y ait parole, il faut que l’on tende directement à manifester sa pensée ; or Dieu, en opérant surnaturellement dans l’intelligence d’Adam, par exemple, dès le premier instant de sa création, en lui donnant un ensemble de connaissances qui convenait à sa situation, en mettant dans son âme et dans son cerveau les modifications que, suivant les lois du développement psychologique ordinaire, il aurait mis bien du temps à acquérir, en lui donnant ainsi une science infuse, avait simplement l’intention de l’empêcher de traîner une misérable existence, contraire à son heureuse destinée, et non pas l’intention de lui manifester par ces connaissances sa propre pensée, l’intention de lui parler. Voir Adam, t. i, col. 370, 371. Dès lors que ce n'était pas là une parole de Dieu, la question de véracité divine ne se posait même pas, non est veracitas nisi in locutione, la véracité n’est-elle pas une conformité de la parole avec la pensée ? Ce n’est donc pas sur la véracité divine qu’Adam appuyait alors sa certitude ; il admettait simplement les objets de sa science infuse parce qu’il les voyait ainsi ; il n’y avait alors ni témoignage du côté de Dieu ni foi du côté de l’homme : ad objectum fidei requiritur locutio Dei, quia fundatur in veracilate Dei. Lugo, loc. cit. Qu’il y ait eu par ailleurs de véritables témoignages de Dieu donnés au premier homme, nous n’avons garde de le nier, mais c'était alors quelque chose de très différent de la science infuse.

Il ne suffit donc pas, pour expliquer la révélation corrélative à la foi, de décrire les opérations surnaturelles par lesquelles Dieu peut amener intérieurement un prophète à former un jugement, comme les a décrites, d’après saint Thomas, le P. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, leçon il, La révélation, n. 3, Paris, 1910, p. 57 sq. Il faut encore, si l’on veut que

Dieu parle à ce prophète, ou nous parle par son intermédiaire, et que ce prophète puisse affirmer comme dans l'Écriture : Hœc dicit Dominus, il faut que Dieu lui fasse connaître son intention de manifester sa pensée sur les choses, qu’il interpose son témoignage et sa véracité divine, qu’il fasse appel à la foi ou du prophète ou du moins de ceux à qui il l’envoie. Si saint Thomas lui-même ne met pas ce point délicat plus en relief dans ses questions sur la prophétie, c’est qu’alors il ne restreint pas son étude, comme nous, à cette révélation qui est à la base de l’acte de foi divine, et qu’il traite du charisme prophétique dans toute son ampleur. « La révélation prophétique, dit-il, s'étend soit aux futurs événements humains, soit aux choses divines ; et non seulement aux choses divines qui sont l’objet de notre foi, mais encore à d’autres mystères plus relevés communiqués aux parfaits » (dans les phénomènes de la mystique). Il ajoute que cette révélation dont il parle renferme le discernement des esprits, ce don surnaturel qui, dans les pensées se présentant aux âmes pieuses, leur fait distinguer (sinon avec certitude, du moins avec probabilité, et sans pouvoir faire là-dessus un acte de foi) ce qui est inspiration des bons anges et illusion du démon. Sum. theol., II a II æ, q. clxxi, préface avant l’art. 1. On voit que plusieurs des formes de la « révélation prophétique » dont parle saint Thomas sont, par défaut de certitude, insuffisantes à fonder un acte de foi divine. Lui-même le fait remarquer à propos de cette forme qu’il appelle 1' « instinct » prophétique. Avec ce don, le prophète « parfois ne peut pas pleinement discerner si sa pensée vient d’un instinct divin, ou de son esprit propre. » Au contraire, quand par le canal d’une révélation prophétique Dieu veut adresser la parole aux hommes et faire appel à leur foi, alors « le prophète a une très grande certitude qu’il se passe en lui une révélation divine…, autrement, s’il n’en avait pas lui-même la certitude, la foi (chrétienne), qui s’appuie sur les paroles des prophètes, ne serait pas certaine, » a. 5. Si elle n'était pas certaine, elle ne serait pas la foi ; Dieu se contredirait voulant la foi et n’en donnant pas les moyens. Du reste, Dieu, par ces révélations dont parle saint Thomas et qui sont de toute sorte, souvent ne se propose pas d’obtenir l’acte de foi, mais seulement d'édairer l'âme d’une demilumière, de la consoler ou de l'éprouver, comme il arrive dans les voies extraordinaires des mystiques. Et même quand la révélation prophétique est destinée à amener les autres à la fei, il n’est pas toujours nécessaire que le prophète paisse faire lui-même un acte de foi sur ce qu’il annonce ; peut-être la connaissance prophétique, intellectuellement plus parfaite, remplacerat-elle pour lui sur ce point la connaissance de foi. Nous voyons une chose semblable dans les anges, quand Dieu les envoie et par eux fait appel à la foi des hommes ; l’ange Gabriel fait appel à la foi de Marie, mais lui-même ne peut faire un acte de foi ; n’est-il pas dans l'état de béatitude où la foi n’existe plus, et ce qu’il annonce, ne le voit-il pas dans la suprême révélation de la vision intuitive de Dieu, et non dans l’obscurité d’un témoignage divin et d’un acte de foi ?

Cette supposition de Tyrrel n’est donc pas vraie dans sa généralité : o Je présume que ceux qui reçoivent les premiers une révélation divine sont capables de foi dans toute l’acception du mot, bien qu’ils aient pu acquérir la vérité sine prædicanie, par une vision intérieure. » Dans la Revue pratique d’apologétique, 15 juillet 1907, p. 501. Tyrrel ne dit cela que pour arriver à baser toujours la foi sur une vision intérieure, sur une expérience mystique, et finalement à la confondre avec cette expérience. Aussi ajoute-t-il (afin d'écarter toute révélation autre qu’une vision inté-