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et profonde ; et nous donner une telle religion convenait à la bonté de Dieu.

A ces convenances bien remarquables nous pourrons en ajouter d’un autre ordre, si nous partons, non plus seulement des expériences et des principes de la raison naturelle, mais encore du donné révélé. Ce seront alors des « raisons théologiques » en faveur de la foi au témoignage divin ; et l’avantage de ces raisons-là est de montrer l’harmonie de nos dogmes. Ainsi, partant du dogme de la vision béatifique, à laquelle Dieu a bien voulu nous élever dans l’ordre de choses actuel, saint Thomas nous dit : « La béatitude finale consiste dans une vision surnaturelle de Dieu ; l’homme ne peut y parvenir qu’en se mettant à l'école de Dieu, Joa., vi, 45 ; et cet enseignement, pour s’adapter à la nature humaine, ne doit pas se faire tout d’un coup, mais par degrés. Or, tous ceux qui suivent cet enseignement graduel doivent commencer par croire le maître, pour arriver ensuite à la science parfaite. Aristote, De sophisticis elenchis, c. ii. Donc, pour parvenir un jour à la parfaite vision de la béatitude, il nous faut d’abord croire sur la parole de Dieu, comme un disciple croit sur la parole de celui qui l’enseigne. » Sum. theol., IIa-IIæ, q. ii, a. 3. Pour mieux comprendre ce raisonnement de saint Thomas, observons que, dans tout enseignement, on peut concevoir deux procédés très différents :

a) Le maître peut donner à ses disciples la conclusion d’un raisonnement sans le raisonnement lui-même, interposant alors son autorité en guise de preuve, ou l’autorité des savants dont il se fait l’interprète. Il donnera, par exemple, la distance du soleil à la terre, sans les calculs qui ont servi à la déterminer ; une loi physique ou biologique, sans les nombreuses et délicates expériences qui ont fondé une induction valable ; le dessin schématique d’une machine, sans la faire fonctionner sous leurs yeux. Le temps limité dont il dispose, une démonstration qui dépasserait la portée des commençants qu’il instruit, d’autres raisons encore justifient ce procédé sommaire, sans lequel les sciences ne pourraient être vulgarisées. L’exagération des disciples de Pythagore était seulement de trop généraliser ce procédé, même lorsque la démonstration eût été relativement facile et qu’ils n'étaient plus des débutants, et de trop accorder à la simple affirmation d’un maître faillible. Il n’y a qu’un maître infaillible dont l’affirmation suffise toujours, en attendant qu’il nous fasse pénétrer, au ciel, les vérités mystérieuses à l'égard desquelles nous ne sommes jamais ici-bas que de simples commençants.

b) Le maître peut procéder autrement, et faire passer les disciples, déjà exercés et habiles, par tous les raisonnements, par tous les calculs, par toutes les expériences qui amènent à la conclusion : alors le disciple n’aura pas besoin de s’appuyer sur la véracité du maître ; sur le point en question, il en saura autant que lui, et son intelligence personnelle, excitée et dirigée par lui, aura vraiment fait elle-même la démonstration ; il aura acquis une connaissance non pas seulement extrinsèque, mais intrinsèque, et intellectuellement bien plus parfaite. Mais ce n’est pas le cas qui nous intéresse directement, quand il s’agit de la foi.

Ainsi la vision intuitive étant l’achèvement en pleine lumière d’un enseignement ébauché ici-bas pour des commençants, il convenait que dans ce premier enseignement Dieu interposât l’autorité de son témoignage, comme le savant qui fait de la vulgarisation. On peut même dire qu’une fois supposé l’élévation de l’homme à la vision de Dieu dans la vie future, élévation que notre nature ne peut ni réaliser par ses forces ou ses exigences, ni constater par ses facultés de connaître, il y avait plus qu’une raison de convenance, il y avait une absolue nécessité que Dieu nous donnât par son témoignage le seul moyen de connaître cette surnaturelle destinée. Car la nature raisonnable doit pouvoir librement diriger ses actes vers sa fin, vers sa réelle destinée, elle doit donc la connaître. Aussi le concile du Vatican reconnaît-il comme « absolument nécessaire » la révélation ou témoignage de Dieu dans l’ordre actuel « parce que Dieu, dans son infinie bonté, a ordonné l’homme à la fin surnaturelle, c’est-à-dire à la participation de biens tout divins, qui dépassent totalement l’intelligence humaine. » Sess. III, c. ii, Denzinger, n. 1786 (1635).

Objection. — Le témoignage divin, comme tout témoignage que nous recevons, vient du dehors, ab extrinseco. Objectera-t-on les inconvénients de « l’extrinsécisme » , une certaine manière de concevoir « l’autonomie, l’immanence » ?

Réponse. — a. Il y a avantage et non inconvénient à enrichir nos connaissances par le témoignage des autres ; ce n’est pas là un asservissement, mais une conquête ; le développement de notre vie mentale et sociale est à ce prix. Il en sera donc de même du témoignage de Dieu, qui n’est pas plus extrinsèque que celui des hommes.

b. Tout ce que l’on peut raisonnablement demander ici, en fait d’immanence et d’autonomie (au sens large du mot), c’est d’abord :
α. qu'à l'égard de l’enseignement de l’homme par la divinité, il y ait dans la nature humaine une aspiration, un désir conditionnel : si Dieu veut bien le lui donner. Or, cette aspiration ne manque pas. Puisque la raison naturelle, ainsi que nous l’avons montré, voit elle-même la convenance et l’utilité d’un témoignage divin, et d’une religion plus parfaite fondée sur ce témoignage, il est naturel à la volonté de le désirer du moins conditionnellement ; tout objet qui apparaît à l’homme comme convenable ou utile est de nature à exciter son désir. Bien que surnaturel, le témoignage divin ne peut donc se comparer à une pierre qui tomberait dans l’organisme vivant comme quelque chose d’indésirable et d’absolument étranger.

Ce que l’on peut encore raisonnablement demander, c’est
β. que toute vérité, pour devenir notre vérité, soit vérifiée et contrôlée par notre raison individuelle. Mais c’est précisément ce qui se passe avant la foi chrétienne ; car nous n’admettons pas les vérités de foi sans aucune garantie, comme, le voulait Guillaume de Paris, et simplement parce que le plus puissant des rois nous les impose, mais nous les admettons sur la garantie intellectuelle de sa science et de sa véracité, et après avoir constaté par des preuves suffisantes qu’il a parlé, que telle doctrine transmise par un intermédiaire humain est bien sa doctrine, sa pensée, son témoignage. Voir plus loin, VI. Dans ces conditions, personne ne peut se plaindre qu’il y ait en nous une importation » du dehors, comme dit M. Wehrlé, lequel ajoute fort bien : De donner à entendre que cette nouveauté ne nous apporte rien de nouveau… ou que, n'étant pas de nous, elle ne peut être pour nous et réclamer droit de cité chez nous, c’est ce qu’on ne pourra jamais laisser dire sans protester, C’est ce dépasserait certainement la limite que la raison et la foi interdisent également de franchir. » Revue biblique, juillet 1905, p. 332. Voir Immanence.

IV. Quelle révélation la foi suppose.

Le concept de la révélation est tellement lié à celui de la foi que le second ne peut être expliqué sans le premier, et d’autre pari Vient restreindre et limiter le premier. Dans une question aussi difficile et aussi embrouillée de systèmes hétérodoxes, nous suivrons l’ordre qui nous paraît le plus méthodique :
1° concept chrétien de cette révélation qui est à la base de l’acte de foi ;
2° exposé des systèmes qui ont donné pour base a la foi chrétienne la révélation naturelle.