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GÉORGIE


taille colossale. Il faut probablement les assimiler aux Titans de la mythologie grecque. Outre le Dragon et les daivis, Arimani, le dieu mauvais, avait encore à son service les cadjis et les tchincas. Les cadjis jouaient le rôle le plus important après la défaite des daivis. Ils mènent une vie à part, régis par des lois particulières qui en font une société tout à fait spéciale. Il serait trop long de descendre dans les détails en ce qui les concerne. On les trouvera merveilleusement décrits dans l’immortel poème de Chota Roustavéli, La peau de léopard, édit. Achas Borin, Paris, 1885. Les tchincas sont des espèces de sirènes terrestres qui attirent les hommes par leurs artifices afin de les perdre.

En dehors des deux principes du bien et du mal, les premiers Géorgiens avaient encore d’autres divinités, qu’il n’est pas facile de concilier avec le dualisme des principes. Le dieu de la guerre était Soutékhi et sa femme, la déesse Antta ou Analta (= elle a illuminé) ou encore Anouka, qui parcourt les cieux sur un char triomphal. La lune s’appelait Touth. Dans le dialecte mingrélien, le mot toutha signifie encore lune. Le dieu du disque solaire s’appelait Khoud ou Khout, d’où le mot géorgien Ghouta, qui signifie divinité. Bcsse, ou Basse, ou Pacht, ou Bast était l'épouse du dieu trine Phta, divinité assez mystérieuse, qui personnifiait les forces créatrices. Dans le dialecte de la Svanétie, le mot Phous ou Phoust signifie Seigneur. Il y avait aussi un autre dieu qui portait le nom de Botchi.

D’où venaient ces diverses divinités ? Il est bien difficile de le dire. Quelques-unes semblent le développement du culte du soleil, comme Touth, Khoud et peut-être Antta. Il en est aussi qui rappellent la mythologie égyptienne, comme Phta, que l’on retrouve à Memphis avec les mêmes attributs. Chose curieuse, on a fait de nombreux rapprochements entre les croyances de l’Egypte et celles de la Géorgie. Il serait trop long de les énumérer ici. Contentons-nous de dire que le culte du chat existait au Caucase, aussi bien que sur les bords du Nil. Aujourd’hui encore, les Pchav-Khevsours, tribu montagnarde à moitié païenne, font serment en tenant un chat entre leurs mains. Il existe aussi un dicton fort répandu en Géorgie : « Celui qui tue un chat doit bâtir sept églises pour avoir la vie éternelle. » Ces rapprochements, qui ne sont probablement pas fortuits, seraient une preuve à l’appui des historiens qui veulent voir dans les Géorgiens et dans les Hycsos d’Egypte deux fractions de la famille des Héthéens ou Hittites.

Les fins dernières.

Les premiers Géorgiens

admettaient l’immortalité de l'âme, son jugement après la mort, le ciel et l’enfer. Nous résumons les croyances d’après l’Histoire de la Géorgie de G. Djanachvili, Tiflis, 1906, p. 30-32 (en géorgien). Après la mort, l'âme s’envole dans l’autre monde « comme un papillon léger. » Elle rencontre d’abord des « champs ensemencés » , expression qu’on n’a pas encore pu expliquer d’une manière satisfaisante ; il semble que l'âme y passe quelque temps avant de subir l'épreuve du jugement. Elle doit pour cela franchir un lac de bitume au moyen d’un fil tendu. Le chat et le chien viennent alors à sa rencontre. Le premier enduit de graisse le fil pour précipiter l'âme dans le bitume, tandis que le second lèche la graisse et l’enlève. (Le chien est considéré comme l’ami de l’homme ; c’est lui seul qui prend la défense d’Amirani.) Pendant cette épreuve, l'âme se trouve en présence des juges qui pèsent ses œuvres. Si les bonnes actions sont les plus lourdes, elle va alors directement dans le paradis, situé au delà du lac, et où elle entre par la « porte de félicité » . Ce paradis semble avoir pour cadre les riches vallées de la Géorgie et sa conception matérialiste du bonheur correspond au tempérament joyeux des habitants. Les justes y jouissent, en effet, d’un bonheur

sans fin dans un lieu bien éclairé et verdoyant. Ils ont la table servie éternellement ; ils se réjouissent, ils chantent et se divertissent de mille manières (chez les Géorgiens il n’y a pas un repas solennel sans chants). Si, au contraire, les mauvaises actions ont fait pencher la balance, l'âme est immédiatement précipitée dans l’enfer, lieu de pleurs et de tourments qui n’est autre que le lac où bouillonne le bitume. L’abondance de cette matière en Géorgie explique une pareille conception. L’enfer et le paradis sont donc proprement géorgiens.

Lorsque le trépassé manque de nourriture pendant son stage dans les « champs ensemencés » , il vagabonde la nuit de village en village et mange ce qu’il peut trouver. La pauvreté et le dénuement dans lesquels il tombe parfois font naître en lui une haine terrible contre ses parents vivants. Aussi cherche-t-il à leur causer toutes sortes de maux, jusqu'à ce qu’il ait obtenu de quoi subsister.C’est là une croyance que l’on retrouve chez beaucoup de peuples, particulièrement chez les Romains.

i IV. Conversion de la Géorgie. — Comme la plupart des Églises orientales et beaucoup d'Églises occidentales, celle de Géorgie a cherché à faire remonter ses origines jusqu’aux apôtres. Bien plus, elle prétend avoir possédé aussitôt après la Passion la sainte tunique de Notre-Seigneur. Voici ce que racontent à ce sujet les Annales géorgiennes, vaste compilation faite au commencement du xviiie siècle sur des documents très anciens. Après la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor, bon nombre de Juifs s'étaient établis en Géorgie, principalement à Mtzkhéta, la capitale. Le grand-prêtre Anne envoya à ses coreligionnaires du Caucase un émissaire pour leur demander de venir dans la Ville sainte et de se prononcer au sujet de Jésus, qui se prétendait le Messie. Les juifs de Géorgie députèrent deux des leurs, Élioz de Mtzkhéta et Longinoz de Carsan. Ces délégués n’arrivèrent à Jérusalem qu’après la condamnation du Sauveur, juste à temps pour assister à son crucifiement. « Lorsque le sort fut jeté, par les juifs impies qui assistaient à son supplice, sur la robe de Notre-Seigneur, la providence la fit échoir aux députés de Mtzkhéta. » Élioz et Longinoz l’emportèrent dans leur pays où elle aurait été conservée depuis lors jusqu'à l’invasion arabe, vers le milieu du viie siècle. Brosset, op. cit., t. i, p. 53. Outre certains détails manifestement inventés pour embellir le récit, il est bien difficile d’admettre la convocation par Anne de ses confrères du Caucase, l’histoire n’en dit pas un mot ; d’ailleurs les juifs de Jérusalem suffisaient pour condamner le Sauveur. Quant au récit du partage des vêtements, il est certainement faux, puisqu’il est en tous points contraire au texte des Évangiles. Ce ne sont pas les juifs, mais les soldats romains qui ont fait ce partage. Certains historiens, dans le but évident de concilier à tout prix la tradition populaire avec l’histoire, prétendent que le soldat favorisé du sort était géorgien. C’est là une assertion purement gratuite. Malgré l’invraisemblance de cette légende, il paraît certain cependant qu’elle a été universellement admise en Géorgie depuis une très haute antiquité. La relique y aurait toujours été en grand honneur. On lui consacra même une fête qui est devenue en quelque sorte la fête nationale, et qui se célèbre le 1 er octobre. Les Pères de l'Église géorgienne racontent de nombreux miracles opérés par la sainte tunique. Elle a même pris place dans les armes de la famille royale.

En dehors de l’influence exercée en Géorgie par la présence de la sainte tunique, la tradition populaire veut que l’apôtre saint André ait eu une part très grande dans la conversion de ce pays. Les Annales