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tomme une preuve de la divinité du christianisme, il observe que les savants du paganisme, eux aussi, quoique sans l’avouer, partent de la foi simple pour décider de toute leur philosophie : « S’ils s’attachent à telle ou telle doctrine philosophique, c’est qu’ils ont rencontré d’abord un maître qui leur a plu et auquel ils se fient… Ne vous imaginez pas qu’ils aient étudié à fond les doctrines de toutes les écoles, leurs preuves, leurs réponses aux objections, avant de se décider à être plutôt platonicien que péripatéticien, plutôt stoïcien qu'épicurien, » col. G73.

Au iiie siècle, outre Origène que nous venons d’entendre, saint Cypricn compare la foi chrétienne à celle que nous donnons aux promesses d’un homme grave et honnête. Voir plus haut, col. 90. Arnobe reproche aux savants du paganisme de bafouer l’acte de foi des chrétiens, tandis qu’eux-mêmes font des actes semblables, et bien moins fondes : « Qui de vous ne croit pas sur l’autorité de tel ou tel ? Ceux d’entre vous qui expliquent l’origine du monde par le feu ou par l’eau n’en croient-ils pas Thaïes ou Heraclite ? » Et après de nombreux exemples : « Vous croyez sur la parole de Platon, de Cronius, de Numénius, ou de tout autre : nous croyons, nous, sur la parole du Christ… Et s’il faut établir un parallèle, il nous est plus facile de montrer ce qui nous a décidé à croire sur parole le Christ, qu'à vous de montrer ce qui vous a portés à croire ainsi tel philosophe. Ce qui nous a frappé en lui, ce sont ces œuvres magnifiques, ces énergies puissantes, qu’il a montrées par divers miracles bien capables d’amener tout homme à se sentir obligé à croire, en reconnaissant queces œuvres ne viennent pas de l’homme, mais d’une puissance mystérieuse et divine… Mais qui de vos philosophes a jamais pu, d’un seul mot, guérir un furoncle, ou tirer une épine d’un pied ? » Adversus génies, 1. II, n. 9-11, P. L., t. v, col. 824 sq.

Au ive siècle, c'étaient les manichéens qui, à leur tour, attaquaient la foi et vantaient la science, même en matière religieuse. Augustin, entraîné par leurs fallacieuses promesses de science, avait d’abord méprisé l’acte de foi ; il en revint, nous dit-il dans ses Confessions, lorsqu’il se mit à réfléchir au grand rôle que joue dans le monde la croyance au témoignage cl’autrui, histoire, géographie, etc. Conf., 1. VI, c. v. P. L., t. xxxii, col. 722. Saint Augustin conçoit doncla foi chrétienne comme une croyance au témoignage ; de même que le public à peine initié à l’immensité des sciences naturelles s’en rapporte aux affirmations de quelques savants, de même, dépaysés que nous sommes tous en face de l’au-delà et de tant d’autres mystères, nous nous en rapportons à l’affirmation de Dieu qui est là dans son propre élément. « Le Seigneur, dit-il, voit d’avance (le jugement dernier), et vous ne le voyez pas… Mais celui qui en a la science ne vous l’a pas caché. C’est avoir part à la science, que d’approcher celui qui sait. Dieu a les yeux de la science : ayez ceux de la croyance. Ce qu’il voit, croyez-le. » Enarr., ii, in ps. xxxvi, n. 2, P. L., t. xxxvi, col. 364. Saint Hilaire avait déjà dit : « Quand il s’agit des choses de Dieu, accordons à Dieu de se connaître lui-même, et soumettons notre esprit à ses paroles avec une pieuse vénération ; il est un témoin compétent sur soi, celui qui ne peut nous être connu autrement que par soi. » De Trinitate, 1. I, n. 18, P. L., t. x, col. 38. Le rapprochement entre la foi divine et la foi humaine passe jusque dans les catéchèses, jusqu'à l’explication du mot credo dans le symbole ; ainsi S. Cyrille de Jérusalem, Cal., v, P. G., t. xxxiii, col. 508 ; Rufin, Comment, in symbol. apost., n. 3, P. L., t. xxi, col. 340.

2. Le motif de la foi chrétienne ressort encore de l’opposition, fréquente chez les Pères, entre la foi et la raison. Sans doute, il ne faut pas exagérer cette opposition. Les Pères, comme nous l’avons déjà vu

chez Clément d’Alexandrie, Origène, Arnobe, et comme nous le verrons chez d’autres, n’entendent pas exclure la preuve de ce fait, que Dieu a parte ; au contraire, ils allèguent pour cela les miracles du Christ, la transformation de, mœurs produite par le christianisme, et tout ce qui, derrière le Christ, montre Dieu qui l’envoie : ce qu’ils éliminent du motif de la foi, sous le nom de « raison » , ce ne sont pas ces raisons de croire, c’est seulement la démonstration intrinsèque du dogme ; ce qu’ils attaquent, c’est une critique, qui ne se contenterait pas de l’affirmation de Dieu, même reconnue comme telle, et qui mettrait l’envoyé divin en demeure de démontrer ce qu’il affirme, comme on le demande à un professeur de mathématiques ou de philosophie. Mais enfin les Pères veulent une certaine opposition entre la foi et la raison, et en cela ils contredisent nos présents adversaires, qui, au moins pour la plupart, n’en peuvent admettre aucune : car si la foi était une simple expérience psychologique, ou un ra-'sonnement philosophique, ainsi que l’ont pensé les protestants rationalistes et les semi-rationalistes comme Gùnther et Hermès, où trouver en elle une opposition quelconque avec la raison, avec les procédés rationnels ? Donnons quelques exemples de cette opposition, où les Pères expliquent d’ailleurs le motif de la foi.

Saint Ambroise se demande pourquoi la foi d’Abraham a servi à sa justification et à son salut. C’est, répond-il, « parce qu’il n’a point demandé de raison, mais a cru d’une foi très prompte. Il est bon que la foi prévienne la raison : n’ayons pas l’air d’exiger de Dieu des raisons, comme nous le ferions pour un homme. Quelle indignité, de croire les témoignages humains sur d’autres hommes, et de ne pas croire les oracles de Dieu sur lui-même ! » De Abraham, 1. I. n. 21, P. L., t. xiv, col. 428. Cf. De excessu Satyri, 1. II, n. 89, P. L., t. xvi, col. 1340. « C’est supprimer les disputes, dit saint Éphrem, que d’interposer l’autorité de Dieu. Entre l’homme et Dieu, ce n’est pas la spéculation rationnelle, c’est la foi qui est exigée. Tu honores Dieu, si tu crois à son témoignage, tu l’offenses, si tu discutes separoles ; quand tu veux traiter avec Dieu, à toi s’offre la simple foi, pour croire s, parole véridique, et puis l’humble prière, pour te rendre propice sa divinité. » Adversus scrutalores sermones très, serm. i, Opéra, Rome, 1743, t. m (sijriace et lat.), p. 179.

La foi est affaire d’autorité, d’après saint Augustin : Quod intellic/imus, debemus ralioni : quod credimus, auctoritati. De ulilitate credendi, c. xi, P. L., t. xlii, col. 83. Parmi les moyens de preuve, on distingue parfois les autorités et les raisons : c’est la même distinction qui règne ici. Ratio, quand ce mot est opposé à auctorilas, signifie une raison intrinsèque et philosophique ; et intelligere, quand il s’oppose à credere, signifie approfondir philosophiquement une question, ne pas seulement admettre l’existence d’une chose, mais en scruter l’essence et le mode intime ; bien que ces mots, dans un sens plus large mais fréquent, puissent s'étendre jusqu'à la foi, à cause de sa certitude et de son caractère intellectuel et raisonnable. Cf. S. Augustin, Retract., 1. I, c. xiv, P. L., t. xxxii, col. 607. Du reste, Augustin s’explique ici lui-même, quand il oppose la méthode catholique à celles des manichéens : « Ils disaient que, sans effrayer les esprits par une religion d’autorité, ils conduiraient à Dieu leurs auditeurs par la simple raison, et les délivreraient de toute erreur. Qu’est-ce qui m’a poussé à mépriser, âgé de neuf ans, la religion que mes parents m’avaient donnée, pour suivre ces hommes en disciple attentif ? C’est qu’ils disaient qu’on nous effrayait par la superstition, qu’on nous commandait la foi avant la raison, tandis qu’ils ne forçaient, eux, personne à croire