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vérité du christianisme, soit : est-ce la « certitude » dont on nous parle ? Pour renforcer cette transformation, on imagine la production d’un « nouveau moi » qui, à vrai dire, n’est pas une donnée d’expérience » mais une phrase de rhétorique. Ce moi se compose, en fait, de quelques sentiments moraux ; si vifs soient-ils, ils passent, et n’empêchent pas même le retour de sentiments contraires ; il n’y a là que de l’accidentel, et non pas une nouvelle personnalité. Vous personnifiez un sentiment passager, comme le poète personnifie l’Amour ou l’Envie ; et ensuite, prenant la prosopopée au sérieux, vous prêtez à cette prétendue personne une conscience propre. Ce n’est pas le moi ancien, dites-vous, qui expérimente en lui une modification : c’est le moi « n’existant pas auparavant, qui est conscient et certain de lui-même, de sa production, » p. 138. Ailleurs vous avouez pourtant qu’il y a dans cette dualité, Duplicilùl, une grave difficulté non encore résolue, d’autant plus que ces deux moi ont des actes communs de connaissance et de volonté, p. 276. Ces deux moi prétendus ne démontrent donc sérieusement ni une chute originelle, ni une régénération surnaturelle ; même dans « l'état de nature pure » comme disent les théologiens catholiques, dans un ordre de choses où il n’y aurait eu ni péché originel ni régénération par la grâce, la nature si complexe de l’homme offrirait encore des luttes de sentiments, des batailles de passions, des conflits entre les tendances animales et la volonté raisonnable, et l’on pourrait encore dire avec le poète : « Je sens deux hommes en moi. »

Quant aux objets transcendants de la foi, si nous admettons volontiers que l’Infini seul peut rassasier pleinement le cœur humain, nous observons que cette « pleine et absolue satisfaction » est réservée à la vie future parce qu’elle implique la vision béatiflque, loin de pouvoir se confondre avec la joie d’un converti quelconque. Et si nous concédons une certaine valeur à la preuve de l’existence et de la personnalité de Dieu tirée de notre conscience morale, nous ne pouvons que nous étonner des extraordinaires déductions par lesquelles l’ingénieux docteur veut aboutir aux dogmes de la trinité, de l’incarnation et de la rédemption. Les scolastiqucs, accusés d’abuser de la déduction, sont ici grandement dépassés. « Le converti a l’expérience certaine du pardon divin. Donc il y a eu expiation offerte à Dieu par quelqu’un. » Le fait dont on part est contestable ; mais même en l’admettant, la conclusion qu’on en tire n’est pas solide : Dieu, s’il le voulait, pourrait pardonner sans expiation aucune, on ne prouvera jamais le contraire. Mais c’est surtout la prétendue « expérience de la vie future » qui est étonnante ! L’auteur confond constamment l’expérience avec ce que l’on peut en tirer par voie de déduction. Au reste, la déduction elle-même n’est pas juste : le commencement de la vie morale et chrétienne, si excellent soit-il, ne garantit pas l’achèvement, qui peut être arrêté et supprimé par la faute de l’homme ; ainsi en est-il de ceux « qui reçoivent avec joie la parole de Dieu…, et croient pendant quelque temps, puis succombent à l’heure de la tentation. « Luc, viii, 13.

Concluons : on n’atteindra jamais les dogmes chrétiens par une voie raisonnable et sérieuse, tant qu’on n’aura pas recours à la révélation extérieure, t.uil qu’enfermé en soi-même par un Individualisme féroce on s’acharnera à vouloir tirer ces dogmes d’une expérience psychologique ou d’une v (l u n c Immanente en éral, comme l’araignée tire d’elle-même son fil. lutin tout le système de ce protestant conservateur, en ramenant la foi chrétienne ; i une expérience, d< trait sa vraie nature, comme nous allons le voir.

I.' profe l.mts libéraux font : uisi <]e la foi une

expérience, et, dans son élément Intellectuel, une

Connaissance Immédiate : mais ils n’entendent pas,

comme Frank, que’cette expérience leur fournisse des dogmes, dont ils ne reconnaissent pas la valeur absolue et divine, et dont ils cherchent à se passer. Sur l'évolution du concept de la foi chez les protestants libéraux et sur l’histoire des systèmes contemporains qui sont appelés par eux « fidéisme, symbolisme, symbolo-fidéisme, » voir l’ouvrage très documenté de M. l’abbé Snell, Essai sur la foi dans le catholicisme et le protestantisme, Paris, 1911.

Parmi les modernistes, d’aucuns expliquent leur foi comme sortant d’une faculté intuitive, distincte de la raison, mais d’ailleurs ne dépassant nullement dans ses effets les phénomènes moraux ordinaires : « Les modernistes, disait M. Loisy, n’entendent point par sentiment l'émotion, ni par action un mouvement quelconque. Quand ils parlent du subconscient' et quand ils parlent de sentiment, ils entendent cette espèce de réserve où sont accumulées, au fond de notre être, des notions vagues et implicites qui sont comme en attendant l’occasion de se déterminer et de s’affirmer ; des aspirations indécises, qui sont comme prêtes à se dessiner et à s'élancer sur leur objet dès qu’il sera présenté ; tout un trésor secret d’activité, qui s'épanchera plus ou moins selon les occasions et le développement de l’initiative personnelle ; je ne sais quel sens qui n’est pas une puissance de raisonnement ni d’induction, mais une sorte de jugement intuitif sur la valeur des choses, faculté que secondera et guidera la raison, mais que la raison ne crée pas, car elle ne procède pas de la raison et sort comme elle du fond de notre nature. C’est ce sentiment-là, non l'émotion dont les théologiens de Sa Sainteté marquent à bon droit les insuffisances, qui est en jeu dans l’expérience morale, soutenant l’intelligence dans ses jugements, et la volonté dans ses opérations, jugements et opérations qui explicitent, pour ainsi parler, ce qui est, dans le sentiment, intelligence et volonté implicites… Cette expérience n’est pas autre chose que la vie morale. » Simples réflexions… sur l’encyclique, 1908, p. 245, 246. D’autres modernistes, au contraire, font de la révélation et de la foi une émotion avant tout, et une émotion extraordinaire, qu’ensuite l’intelligence humaine traduit à sa façon par des affirmations sans valeur objective ; ainsi G. Tyrrel. Voir Éludes du 20 avril 1908, p. 166 sq. En somme, avec les mêmes mots d' « expérience religieuse » et même de « sentiment » , il y a un modernisme froid et critique, et un modernisme échauffé et mystique.

Sous le nom d' « expérience religieuse » , d’autres auteurs contemporains, catholiques ou protestants, ont entendu cette expérience qui naît de la pratique quotidienne de la religion pendant un temps assez long : c’est de cette expérience-là qu’ils attendent la « foi » . C’est prendre l’augmentation de la foi, la vie de foi, les effets de la foi, pour la foi elle-même, qui a dû précéder. D’après eux, quand on n’a pas encore pratiqué sa religion, on n’aurait pas encore la « foi » : et pourtant nous voyons dans l'Écriture un homme qui. non seulement n’avait pas pratiqué la religion chrétienne mais l’ignorait, un prosélyte, après un catéchisme qu’on lui fait pendant une course en voiture, « croire. faire dans toute la force du terme un « acte de foi » , condition nécessaire du baptême qu’il reçoit aussitôt. Act., viii, 27 sq. Et la « foi » nous est présentée dans l'Écriture, les Pères et les conciles, non pas comme l’aboutissant de la pratique religieuse, mais comme l’introduction A cette ; pratique, et la première base des autres vertus et de toute l.i vie chrétienne. Voir col. 84-85. (.'est à ces documents de la révélation, ce n’est pas à notre fantaisie de déterminer ce que cet que la fol. et et que Dieu a voulu mettre au début de notre religion. I.< bon sens lui-même, du reste.

voit assez clalrement que, si l’on n’a pas tout d’abord