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battre encore pour la suprématie perdue, il est clair que la nature ne peut par elle-même changer de volonté, qu’elle est rivée à la concupiscence et au mal : donc le moi nouveau avec sa volonté nouvelle n’est pas un produit de la nature, un fruit de l'évolution ; il vient du dehors, par le fait du christianisme. Il y a toutefois dans la nature même un vague besoin de cette transformation, une aspiration à sortir du mal ; mais dans le christianisme seul on peut trouver une pleine satisfaction de ce besoin moral ; la conscience chrétienne saisit en même temps ce besoin et sa parfaite satisfaction. Et puisque cette transformation morale répond au vœu de la nature, le chrétien constate que ce n’est pas en lui un phénomène morbide, accidentel, mais normal, p. 122-127. L’expérience fondamentale étant ainsi posée et comprise, il va. suffire d’en développer le contenu, pour retrouver tous les objets de foi dont se compose le christianisme, immanents ou transcendants :

a) Objeis immanents de la foi. — L’expérience cidessus renferme une condamnation du moi naturel, p. 192, une connaissance de la mauvaise nature comme péché habituel, p. 194 ; la nature humaine n’a pu être ainsi à l’origine : donc elle a dû être faussée, voilà le dogme du péché originel, p. 196 sq. Le nouveau moi, qui suppose la délivrance de la servitude du péché, n’est pas le produit du moi naturel : on entrevoit donc le dogme de la grâce et de la justification, p. 203, 205, 210. A l’expérience de cette délivrance, de cette régénération, l’acte de foi, en tant que justifiant, ajoute une réaction de la personne qui l’accepte comme nouvel état, qui s’y abandonne avec confiance et y trouve l’absolue satisfaction jusqu’alors cherchée en vain : acte moral primordial, par lequel le moi spirituel atteint son empire : continué, cet a(te caractérise le chrétien, et fixe la régénération à l'état habituel : voilà le dogme de la justification par la foi, p. 212 sq. Frank ne veut fondçr ni la foi ni l’espérance sur une révélation extérieure à laquelle la critique demanderr.it ses titres, et dont il veut à tout prix éviter la difiiicle preuve : il va donc s’efforcer d'étendre l’expérience au delà des limites du présent, jusqu'à l’avenir que le chrétien doit espérer, p. 219, 220. Mais comment peut-on expérimenter l’avenir ? Voici. Le bienheureux achèvement du ciel est déjà en germe dans ce commencement de notre régénération : car elle nous apparaît non seulement comme quelque chose d’actuel, qui est, mais comme quelque chose de normal, qui doit cire ; et la satisfaction absolue que nous en éprouvons ne se conçoit pas sans la certitude d’avoir rencontré le but suprême de la vie, et de posséder dans ce commencement un gage certain d’achèvement, puisque, sans l’achèvement, le commencement serait inutile. Voilà donc le dogme de la vie future, p. 221 sq. Les révélations de l'Écriture viennent ensuite utilement confirmer, compléter cette expérience personnelle, mais elles ont besoin de s’y appuyer, et ne sont pas le dernier fondement de notre foi et de notre espérance, p. 229, 293.

b) Objets transcendants de la foi. — D’abord, l’existence et la personnalité de Dieu. Le chrétien expérimente que sa régénération n’est pas le fait d’une évolution interne et personnelle, mais d’un pouvoir extérieur. « Vous avez été plus fort que moi, et vous l’avez emporté, tel est l’aveu du converti, » p. 307. Quel est ce pouvoir extérieur ? Ce ne peut être ni la nature brute et sans raison, étrangère à l’ordre moral, ni la faible humanité, le monde qui nous tenait captif dans ses chaînes, qui ait pu nous délivrer, p. 309, 311. L’absolue satisfaction que nous trouvons dans la régénération fait voir que le pouvoir régénérateur est l’Absolu, c’est-à-dire Dieu ; au surplus, l’infini seul peut nous satisfaire. Nous avons d’ailleurs conscience d’une

obligation absolue (impératif catégorique de Kant), p. 314. Que cet Absolu soit une personne morale, cela ressort de ce qu’il produit en nous des effets moraux, de ce qu’il a une influence morale, p. 317. Le deuxième objet transcendant, c’est la Trinité. Frank fait de longs et pénibles efforts pour distinguer dans le fait de notre régénération trois éléments attribuables à trois différentes personnes, toujours cependant dans l’unité de l’Absolu, p. 324 sq. Il avoue du reste que notre expérience n’atteint pas tout le dogme ecclésiastique de la Trinité, p. 346. Le troisième objet est la rédemption par un Dieu fait homme. Le converti sent que Dieu lui pardonne, donc une expiation a eu heu ; et une longue série de raisonnements tâche de montrer que cette expiation ne peut venir que d’un Dieuhomme, qui a satisfait pour nous à la justice divine, p. 349 sq. Voilà donc les principaux dogmes sortis spontanément du germe de l’expérience morale du chrétien.

Critique du système. — Nous reconnaissons volontiers dans cet essai d’apologétique nouvelle de l’originalité et de la puissance constructive ; et quelquesuns des raisonnements sont justes. Mais l’auteur luimême a prévu que « beaucoup de personnes » lui diraient : « C’est là une dangereuse méthode subjective de se convaincre de la vérité chrétienne ; et si, partant de l’expérience, vous avez la chance de rencontrer la révélation objective telle que Dieu l’a donnée, c’est parce que, sans le dire, vous en gardez devant vos yeux les principaux articles, qui déterminent d’avance les résultats de votre expérience prétendue. La vraie méthode pour ces vérités transcendantes, c’est de les tirer seulement de la révélation divine, de la sainte Écriture, ou de la tradition de l'Église et de recevoir avec foi ce qui a été ainsi obtenu, » p. 297. L’objection a du bon, et Frank n’y donne qu’une réponse évasive. Les théologiens catholiques, que les protestants accusent souvent de partir d’idées préconçues, ne se laisseraient pas, certes, influencer par les dogmes de leur Église jusqu'à truquer l’expérience pour les rejoindre, ou jusqu'à accepter en faveur de leur thèse des apparences de preuve aussi faibles que les accepte ce célèbre professeur de théologie protestante dans une grande université d’Allemagne.

En prenant le système à sa base même, à ce qu’on appelle « l’expérience fondamentale » , un théologien catholique, de prime abord, se méfiera de cette condamnation si sommaire du moi naturel. Est-ce réellement l’expérience qui montre à Frank ce pauvre moi comme si foncièrement mauvais ? N’est-ce pas plutôt le système préconçu de Luther sur les suites du péché originel, sur la nature humaine absolument corrompue et dégradée ? Voir Péché originel. Après avoir ainsi malheureusement identifié notre nature avec la concupiscence, avec la tendance foncièrement mauvaise, n’y a-t-il pas ensuite contradiction à lui supposer une aspiration au bien, un besoin moral ? Que voulez-vous ? L’auteur a besoin de ce besoin pour que la régénération chrétienne, en le satisfaisant, soit reconnue comme un phénomène normal, parce qu’elle répond au vœu de la nature (mauvaise ou bonne ?). Le chrétien, ajoute-t-on, éprouve en soi une transformation morale. Oui ; mais, les grands saints mis à part, cette transformation sensible n’est-elle pas exagérée ici ? La vie de la grande multitude des chrétiens n’est-elle pas perçue par eux-mêmes comme très imparfaite ? Ils ont conscience, dites-vous, que le christianisme donne au besoin moral une satisfaction absolue. Pour constater cet absolu, ils devraient mesurer ce besoin moral, mesurer aussi la satisfaction, variable d’ailleurs, qu’ils éprouvent, et comparer. Le font-ils ? Le peuvent-ils ? Qu’en estimant tout cela par approximation, ils aient une preuve assez probable de la