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GALLICANISME


lorsqu’elle est troublée. — Que si la discipline est négligée, qu’ils en empêchent le relâchement, car comme dit notre canon : soit que la paix et la discipline soient augmentées soit qu’elles souffrent du relâchement, c’est au prince d’en rendre compte. »

Et Le Vayer de Boutigny résume toute sa doctrine dans la comparaison suivante qu’il emprunte à l’empereur Basile : « L’Église sans doute est un navire de voyageurs que Dieu, qui en est le souverain maître, a commis à la conduite d’un pilote et d’un capitaine, d’un pilote pour présider à la navigation et d’un capitaine pour veiller à la sûreté et à la défense du navire. Tandis qu’il n’est question que de combattre les vents et la mer, que les matelots obéissent à la voix et à la parole du pilote, tandis que le pilote fait bien son devoir lui-même, qu’il ne paraît point d’ennemis, au dehors et qu’il n’y a point de tumulte et de sédition à craindre au dedans, tandis que, s’il y a quelque dispute, elle ne concerne que le fait et la science du pilote et que sa parole et son autorité suffisent pour l’apaiser, alors le capitaine se doit contenter de veiller sur ses soldats et quant au reste il doit s’abandonner comme les autres à la conduite du pilote. Mais paraît-il quelque adversaire au dehors, y a-t-il quelque rumeur à craindre au dedans, les matelots ou le pilote lui-même prévariquent-ils ou se relâchent-ils de leur devoir, alors le capitaine a la terreur de la discipline en main pour remédier à tout. C’est à lui de défendre le vaisseau des ennemis du dehors, de faire au dedans qu’on obéisse au pilote, que la paix et la discipline soient conservées et d’empêcher enfin que ceux qui doivent agir et que le pilote lui-même ne se relâchent. »

En bref, la hiérarchie ecclésiastique ne peut exercer aucune coercition extérieure pour obtenir elle-même que ses fidèles observent ses lois, toute action de ce genre est du ressort de l’État ; elle est soumise elle-même à la correction par laquelle le magistrat politique l’obligera à faire son devoir.

Ainsi se justifient toutes les pratiques de l’ancienne monarchie ; la dernière partie du traité de Le Vayer de Boutigny les étudie les unes après les autres pour montrer qu’elles sont une conséquence nécessaire des principes établis ci-dessus : enseignement dans les chaires des églises, des universités, des collèges, publication de livres, lutte contre l’hérésie, convocation des conciles, homologation de leurs règlements, publication des décisions romaines, etc., application des peines, distribution et administration des biens d’Église, en un mot tout ce qui n’est pas strictement spirituel, tout ce qui n’est pas sans connexion avec quelque manifestation ou coercition extérieure ressortit au for civil.

Les politiques revendiquent donc pour l’État un pouvoir indirect sur toute la vie de l’Église ; c’est une conception différente de celle des théologiens.

3° Notes sur l’histoire du gallicanisme des politiques.

— Le gallicanisme des politiques est probablement beaucoup plus ancien en France que celui des théologiens : la conception du caractère sacré de la personne royale, qui justifie la tutelle exercée sur l’Église, date au moins du temps de Charlemagne : le principe de la compétence exclusive du pouvoir laïque en matière temporelle, non seulement est clairement formulé sous Philippe le Bel, mais il est déjà la maîtresse pièce de tout un système de droit ecclésiastique que nos souverains travailleront à réaliser d’abord par un instinct naturel de domination, puis en vertu d’une théorie politique lentement élaborée. La théorie sera presque entièrement faite à l’apogée des Valois, le règne de Louis XIV la consacrera.

1. L’étude des institutions mérovingiennes révèle sans doute une mainmise très étendue du souverain sur le recrutement du personnel sacré, le.gouvernement

de l’Église, la propriété ecclésiastique ; mais il semble bien qu’il n’y ait là qu’une situation de fait, qu’une série de contrats liant des personnes suivant des formes variables dont quelques-unes appartiennent au droit barbare, d’autres au droit romain, sans qu’on puisse démêler dans ce chaos une conception théorique cohérente des droits du roi sur l’Église de France. Il en va tout autrement avec Charlemagne et c’est à lui qu’il faut faire remonter l’origine du gallicanisme des politiques. M. H. —X. Arquillière, dans l’art. Gallicanisme du Dictionnaire apologétique, l’a parfaitement montré, col. 237-239 : « La personne et l’œuvre de Charlemagne ont engagé tout l’avenir. Sa politique eut pour résultat d’agrandir et de consolider la mission religieuse, partiellement exercée par les rois mérovingiens. L’empereur franc se croit le continuateur des Constantin et des Théodose. Il ne s’aperçoit pas qu’il est, en même temps, l’héritier de la conception païenne de la souveraineté. Il l’applique, d’ailleurs, avec un tact politique et religieux qui la fait accepter sans révolte. Mais, à regarder les choses de près, cette alliance avec l’Église, qui tend à concentrer les deux pouvoirs dans les mains de l’empereur, qui lui fait regarder son autorité comme divine et inviolable, n’est pas différente, au fond, de la prétention des Philippe le Bel et des Louis XIV au droit divin de leur couronne. « L’œuvre de Charlemagne avait été récemment préparée par son oncle Carloman et par son pure Pépin, qui, avec saint Boniface, en réorganisant l’Église franque, convoquaient des conciles, nommaient des évêques, instituaient des archevêques. Le couronnement de Pépin et de ses fils à Saint-Denis par le pape Etienne II, hardie réminiscence des traditions bibliques, acheva la consécration de cette race et sanctionna son rôle religieux. L’onction sainte, désormais facteur essentiel dans la transmission du pouvoir — sacramentum, dira-t-on parfois — fait du roi une personne sacrée, et lui confère des droits indéterminés sur l’Église. Ce fait, encore mal étudié, a eu une influence profonde sur l’institution royale. La papauté a voulu par là donner à l’Église romaine un défenseur attitré, dont l’action fût plus efficace que la protection théorique et lointaine de l’empereur byzantin. Elle n’a peut-être pas assez redouté de se donner un maître. D’autre part, cette consécration religieuse, qui était dans la logique des événements, pouvait rendre la royauté, en quelque sorte, justiciable de l’Église. Ces conséquences extrêmes et contradictoires sont, du reste, successivement venues au jour. »

Sous Charlemagne, la première seule apparaît. « … L’avènement de Léon III, la renommée grandissante de Charlemagne, le discrédit de la cour byzantine, la marche des événements et des idées amenèrent le roi des Francs à ceindre la couronne impériale. Sa mission religieuse s’en trouva élargie. L’empire romain finissant avait légué aux imaginations du moyen âge un souvenir profond, de plus en plus dégagé de ses limitations passées et idéalisé par la légende : l’idée de la monarchie universelle. Sàgmûller, Die Idée von der Kirche als imperium romanum in kanonischen Rccht, dans Theologische Quartalschrifl, t. lxxx, p. 50. Au temps de Charlemagne, on crut sincèrement assister à une rénovation de l’empire romain. La confusion des idées politiques et religieuses, le défaut de sens historique qui est resté une des caractéristiques du moyen âge, la fermentation des légendes impériales, firent attribuer au nouvel Auguste une puissance religieuse illimitée, assez voisine de celle des Césars païens. Cette conception était fortifiée par des traditions vénérables.