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GALLICANISME


leur demandera raison qui a confié l’Église à leur puissance. Ceux’qui donnent le moins d’étendue à ce célèbre décret du VIe concile de Paris qui porte que « le Fils de Dieu a divisé la conduite de son Eglise entre les prêtres et les rois et que c’est la doctrine que nous avons reçue par la tradition des saints Pères ; ceux-là, dis-je, sont obligés de convenir que le roi, ou, ce qui est la même chose, le magistrat politique a la puissance souveraine dans l’Église, quand il s’agit de conserver et de faire exécuter sa discipline. »

Sous la plume de Portails, pareille conception était un anachronisme : le gallicanisme politique aurait dû mourir le jour où l’Assemblée constituante opposa à dom Gerle, demandant que la religion catholique fût proclamée religion d’État, un refus sur lequel la constitution impériale n’était pas revenue. Le gallicanisme politique, en eiïet, n’est pas concevable dans un pays qui ne se considère plus comme une portion de chrétienté politiquement organisée, comme une Église nationale ou une nation chrétienne, ce qui aux yeux de nos pères était exactement synonyme : le ministre impérial répétait des formules anciennes que la Révolution avait vidées de réalité, mais il les répétait avec une netteté qui permet de trouver dans sa parole une des meilleures définitions du gallicanisme politique.

C’est le système qui dans l’Église nationale de France remet au magistrat civil le gouvernement de tout ce qui n’est pas strictement spirituel et la surveillance de toutes les manifestations extérieures de la vie spirituelle.

2. Le système de Vayer de Boutigny.

Portalis empruntait du reste et les théories qu’il développait devant Caprara, et les termes mêmes dont il se servait, à l’œuvre d’un des plus pénétrants conseillers du roi Louis XIV, à Roland Le Vayer de Boutigny (16271 685), et c’est à cet auteur qu’il faut avoir recours pour connaître au juste le détail d’un système que Portalis ne pouvait qu’esquisser.

A l’époque où l’Assemblée du clergé formulait la doctrine gallicane dans le document demeuré célèbre sous le nom de Déclaration de 1682, le roi demandait à ce maître des requêtes de lui faire « connaître avec précision toute l’étendue des prérogatives de sa couronne et de (lui) apprendre principalement sur quoi elles pouvaient être appuyées en ce qui concerne l’administration de l’Église gallicane. »

La haute valeur du conseiller s’était affirmée dans la rédaction de l’ordonnance de la marine, et son « orthodoxie gallicane » dans la composition d’un petit traité sur la législation relative aux vœux de religion : Le Vayer de Boutigny ne déçut point l’attente d’un souverain dont on a pu dire qu’il était le gallicanisme vivant, agissant, militant, triomphant… Le manuscrit des Dissertations sur l’autorité du roi en matière de régale fut copié à maintes reprises, puis publié à Cologne ( ?) en 1682 sans nom d’auteur.

Le Vayer corrigeait de sa main cette édition subrepticc quand il mourut en 1685 ; son œuvre reparut sous différents titres et avec divers noms d’auteurs, au cours du xviiie siècle, enfin en 1753 on en fit paraître à Londres ( ?) une édition, qui portait son nom et qui était conforme au manuscrit original : Traité de l’autorité des rois louchant l’administration de l’Église. C’est la synthèse la plus achevée du système gallican et c’est bien celle que devaient consulter ceux qui, après la Révolution, voulaient renouer, autant qu’on le pouvait, la tradition de notre ancienne doctrine politique.

a) L’Église, établit l’Avant-propos de ce traité magistral, « se peut considérer en deux manières, ou comme un corps politique, ou comme un corps mystique. On la considère comme un corps politique par relation à l’État dont elle est un membre, on la considère comme un corps mystique par relation au Fils de

Dieu, dont elle est l’épouse, selon le langage des Pères. Comme corps politique, c’est une assemblée de peuples unis par les mêmes lois et sous un même chef temporel pour contribuer ensemble à la conservation de l’État et de la tranquillité publique. Comme corps mystique, c’est une assemblée de fidèles unis par une même foi et sous un même chef spirituel pour travailler ensemble à la gloire de Dieu et cliacun à son salut particulier. Considérant l’Église comme un corps politique, son chef est le magistrat politique, c’est-à-dire cette puissance temporelle en qui réside la souveraineté d’un État et que nous appelons roi dans la plupart des monarchies. Considérant l’Église comme un corps mystique, son chef est le pape, c’est-à-dire cette puissance spirituelle à qui le Fils de Dieu, qui en est le véritable chef, en a commis le vicariat. Ainsi deux puissances souveraines se trouvent associées au gouvernement de l’Église : la temporelle est la première dans l’ordre naturel, car, comme a dit un fameux évêque du ive siècle (saint Optât de Milève), c’est l’Église qui est dans l’État et non pas l’État qui est dans l’Église. Mais, dans l’ordre surnaturel, la spirituelle est la plus considérable sans doute en excellence et en dignité. »

On le voit, la doctrine gallicane regarde notre Église nationale, ou notre nation chrétienne, comme une société unique sous deux gouvernements.

b) Comment déterminer les relations des deux chefs ? Avant le temps de Louis XIV, je l’ai dit, les gallicans s’en étaient surtout remis à la coutume.

Avec l’ouvrage de Le Vayer de Boutigny, le fondement du système gallican change, ou, pour mieux dire, il se découvre aux yeux : sans doute le maître des requêtes, dans la première partie de son traité, accumule les « exemples » du passé pour montrer le rôle des rois dans les affaires ecclésiastiques, mais il alfirme solennellement que le fait ne crée pas le droit et que, pour connaître au vrai les relations légitimes des deux pouvoirs, il faut partir de principes sur lesquels conviennent et l’État et l’Église.

Or ces principes sont contenus dans le canon du concile de Paris que Gratien a inséré dans le Décret et que Portalis invoquait auprès du cardinal légat.

Toute la seconde partie du « traité » de Le Vayer de Boutigny est le commentaire de ce canon : elle vaut la peine d’être analysée.

Sur l’Église et son administration le roi a des droits : a. comme chef du corps politique ; b. comme gardien et protecteur du corps mystique.

a. Seul responsable devant Dieu des intérêts temporels du corps politique qu’est l’Église gallicane, le roi y pourvoit seul, comme le pape pourvoit seul (en concurrence pourtant avec les évêques, leur nom n’est pas prononcé, mais il est sous-entendu) aux intérêts purement spirituels de la société chrétienne.

Il arrive fort souvent que les intérêts de l’Église ne sont ni purement spirituels, ni purement temporels, mais mixtes, et c’est en ces occurrences qu’il est délicat de déterminer les relations des deux pouvoirs. « Pour régler… ces différends, dit cet auteur, il faut seulement considérer que ces intérêts ou tendent à la même fin ou tendent à des fins diverses et opposées. Si leurs intérêts tendent à même fin, les lois des deux puissances doivent s’accorder parfaitement. .. Si leurs intérêts sont opposés, l’accommodement en est moins facile…, ou il s’agit d’une chose de nécessité à salut ou il s’agit d’une chose qui n’est point de nécessité à salut ; j’appelle de nécessité à salut tout ce qui est de commandement et de foi ; tout ce qui n’est pas de commandement divin, ni de foi, mais qui tend seulement à une perfection plus grande, jele considère comme n’étant point denéccssilc à salut. S’il s’agit d’une chose de nécessité au salut