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sive) ; et cela implique que le premier objet exerce sur nous la fonction de cause, en d’autres termes, nous meut, movet, à donner notre assentiment au second (la causalité pouvant être représentée par la communication du mouvement). » Wilmers, De fide divina, Ratisbonne, 1902, p. 337, 338. Le premier objet connu, qui nous meut ainsi par rapport au second, est par suite appelé « motif » (de moveo, molum). Dans la connaissance médiate, le motif est un objet différent de celui auquel nous donnons finalement notre adhésion ; dans la connaissance immédiate, il n’y a qu’un seul objet, qui est à lui-même son propre motif, qui nous meut par lui-même à l’affirmer en vertu de sa propre évidence.

Quand on brise, par l’analyse, le fruit de la foi, et qu’après lui avoir arraché ses enveloppes naturelles on arrive à un noyau central, auquel on réserve plus strictement le nom d’« acte de foi » , on peut discuter si cet acte de foi est discursif en lui-même, et plusieurs théologiens le nient, comme nous le verrons plus loin. Mais tous reconnaissent que cet acte de foi dépend d’un raisonnement qui le prépare et le rend raisonnable, comme l’intérieur du fruit dépend de son enveloppe ; aussi est-ce l’avis unanime que la foi n’est pas la connaissance immédiate, celle qui ne présuppose aucun raisonnement, qu’elle n’est pas la « vision » , expression symbolique pour désigner la connaissance immédiate, illa videri dicuntur, quse per seipsa movent inielleclum noslrum vel sensum ad sui cognilionem, S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ , q. i, a. 4 ; principia per se nota, et per consequens visa, a. 5. On rencontrera sans doute le mot videre, dans un sens large, appliqué à la foi, I Cor., xiii, 12, parce qu’elle est une sorte de connaissance et que dans toute sorte de connaissance nous disons vulgairement : Je vois. Mais dans l’exactitude d’une définition, la foi est présentée comme « une conviction des choses qui ne sont pas vues. » Heb., xi, 1. Que la foi ne soit pas une connaissance immédiate, une vision, saint Thomas en trouve un signe psychologique dans le besoin qu’a la foi d’une bonne volonté qui l’aide, tandis que la vision se passe de toute assistance de la volonté, a. 4. Dès le début de son étude sur la foi, il en avait donné une raison plus fondamentale : « Dans une connaissance quelconque, dit-il, il y a deux éléments : ce qui est matériellement connu (sa matière, son contenu), c’est comme l’objet matériel ; et ce par quoi l’on connaît, c’est l’objet formel (le motif). Ainsi en géométrie, la matière connue, ce sont les conclusions (les énoncés des théorèmes) ; l’objet formel, ce sont les moyens de démonstration, en vertu desquels ces conclusions sont connues. Et de même dans la foi… Car la foi dont nous parlons (la foi chrétienne) n’adhère jamais à une vérité que parce que Dieu l’a révélée. La foi s’appuie donc sur la vérité divine comme sur son moyen, tanquam medio, » a. l.Or, si la foi, pour croire chacune des choses qu’elle croit, doit passer par un medium toujours le même, qui est la vérité ou véracité divine, comme l’affirme saint Thomas et comme nous allons le prouver, il est clair que la foi est une connaissance médiate.

Mais la connaissance médiate se subdivise suivant la nature de son medium. Si cet intermédiaire logique est fourni par une substitution d’équivalents abstraits, comme dans les démonstrations de la géométrie ou de l’algèbre, ou par une analyse de la réalité concrète que l’on veut’connaître, par l’observation de sa genèse et de son développement, par la connaissance de ses causes et de ses effets, qui sont comme quelque chose d’elle-même, la connaissance par tels intermédiaires est dite « intrinsèque » , venant du dedans. Si l’intermédiaire n’est autre qu’un témoignage et sa véracité, la connaissance médiate est dites « extrinsèque » , venant du dehors. Ces dénominations se retrouvent chez un assez grand nombre de philosophes catholiques et autres ; nous nous en servirons pour plus de brièveté et de clarté. Voir Évidence, t. v, col. 1727, 1728. La connaissance par ouï-dire, ainsi dénommée « extrinsèque » , a été appelée « foi » par tous les scolastiques et d’autres philosophes. Voir, par exemple, Bossuet, cité à l’art. Croyance, t. iii, col. 2366. Bien que cet usage du mot « foi » soit tout en faveur de notre doctrine catholique sur le motif de la foi religieuse, nous ne nous en servirons pas pour le prouver, soit parce que cette façon de parler n’est pas générale parmi les philosophes, soit parce qu’on doit beaucoup moins consulter l’usage des philosophes que celui de l’Écriture et de la tradition chrétienne, quand on veut savoir la nature de la foi chrétienne, la seule dont nous nous occupions ici.

Le sens des mots étant ainsi déterminé, nous prouverons que la foi chrétienne, en tant que connaissance, est une connaissance non seulement médiate, mais extrinsèque, fondée sur le témoignage de Dieu comme sur son motif propre et spécifique. Ce caractère extrinsèque de la foi, nous ne prétendons nullement le déduire d’une théorie philosophique et générale, qui ferait de l’intelligence un principe purement passif et recevant tout du dehors ; nous la déduisons seulement de la nature spéciale du témoignage, et de ce que la révélation nous définit la foi chrétienne comme un assentiment au témoignage de Dieu.

2o Divers systèmes hétérodoxes.

Sur ce point du motif intellectuel de la foi chrétienne, la plupart des anciens protestants, et beaucoup de protestants contemporains de nuance conservatrice, sont avec nous. Turretin, par exemple, disait : Fides notai assensum certum quidem sed inevidentem, qui non arlione sed testimonio divino nilitur. Inslilulio, I. XV, c. ix, n. 3, Edimbourg, 1847, t. ii, p. 497. Voir d’autres citations du même genre dans une théologie protestante qui suit la même doctrine, Hodge, Systematic theology, Londres, 1874, t. iii, p. 61, 62.

Mais de nombreux protestants modernes, tout en admettant que la foi est une connaissance, ou du moins renferme un élément intellectuel, ont voulu enlever à cette connaissance son caractère extrinsèque, ou, plus radicalement, son caractère médiat. Les premiers en ont fait une science ; les seconds, allant plus loin, en ont fait une intuition, ou une expérience, c’est-à-dire une connaissance immédiate.

1. Parmi les protestants qui ont essayé de concilier le christianisme avec le rationalisme, dès la fin du XVIIIe siècle, et dans la première moitié du XIXe, plusieurs ont conçu la foi comme une espèce de science ou de philosophie. Ainsi Strauss ramenait la foi à la science. Die christliche Glaubenslehre, Tubingue, 1840, § 21. A leur suite, Günther et d’autres catholiques allemands, qui ont reçu parmi nous le nom de « semirationalistes » , confondirent également la théodicée et la philosophie morale avec la foi : pour eux, la foi chrétienne est une ferme conviction des choses invisibles, que cette persuasion soit obtenue par la voie extrinsèque d’autorité ou par la voie intrinsèque de démonstration philosophique, à laquelle ils donnent d’ailleurs la préférence, allant jusqu'à l’appliquer à la preuve de nos mystères, qui n’en sont pas susceptibles. Voir des citations de ces auteurs dans les notes des théologiens du Vatican, Acta et décréta conciliorum recentiorum, Colleclio lacensis, Fribourg-en-Brisgau, 1890, t. vii, col. 527. Sur Giinther, voir un bref de Pie IX à l’archevêque de Cologne, en 1857, Denzinger, n. 1655 sq. Cf. Goyau, L’Allemagne religieuse, Le catholicisme, Paris, 1905, t. ii, p. 43 sq., surtout 48-50 ; t. iv, p. 203-210, 216-224. Contre cette école semirationaliste le concile du Vatican a établi, comme nous