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FOI

incomplètement traité les états d’esprit ou les espèces d’assentiment, en ne parlant que de la science et de l’opinion. Il vaudrait mieux avouer qu’Aristote, dans sa psychologie et sa critériologie, a des lacunes évidentes, et que saint Thomas l’a ici heureusement complété.

Voici le raisonnement de Soto. Croire qu’il existe en Italie une ville nommée Rome, c’est un acte de foi humaine, mais ce n’est qu’un assentiment contingent, qui de sa nature peut être faux, donc une opinion. Or « je crois à l’existence de Rome sans le moindre doute, formido. » Donc a. « la foi ne diffère pas spécifiquement de l’opinion, » p. 416, 417. Donc b. le doute, formido, n’appartient pas intrinsèquement à l’opinion, on peut la concevoir sans cela. Nam judicium quo assenlio nunc Romam esse, est opinio, et tamen propric loquendo non est cum formidine, p. 424, 425. Ce raisonnement trouble la clarté du langage usuel sur l’opinion, ébranle la valeur du témoignage humain et détruit la doctrine de saint Thomas, qui, toutes les fois qu’il définit l’opinion, la définit par le mélange de doute ou de crainte, formido. Sum. theol., Ia IIæ, q. lxvii, a. 3 ; IIa IIæ, q. i, a. 4 ; q. ii, a. l ; De veritate, q. xiv, a. 1, etc. Soto interprète mal les textes de son maître : S. Thomas…, licet opinionem dical esse assensum cum formidine, tamen nominc formidinis forsan comprehendit quameumque fidem humanam, propterea quod non repugnel ilti esse falsam, et ideo quando ponil fidem esse médium inler scienliam et opinionem, solum intelligit de fide calholica, p. 425. Ces explications sont inadmissibles ; et le langage de saint Thomas est assez clair. Soto s’écarte volontairement du consentement des théologiens et des philosophas catholiques surtout depuis saint Thomas : « Puisqu’il est passé en usage, dit-il, de mettre une distinction essentielle entre la foi humaine et l’opinion, accordons ceci à l’usage des dialecticiens, qu’un assentiment mélangé de crainte est de l’essence de l’opinion… Néanmoins, tout en parlant avec la multitude, qu’il soit permis aux sages de penser avec le petit nombre, et de parler a la manière d’Aristote. »

4. Explication de quelques difficultés sur la fermeté de la foi.

En quel sens les théologiens disent-ils souvent qu’un doute, formido, s’il est involontaire, ou a demi délibéré, ne détruit pas la foi ? Il s’agit alors de la foi-vertu, du principe infus des actes de foi, habitas fidei : Dieu retire ce don pour un doute formel et mortel contre une vérité révélée, mais non pas pour un péché véniel contre la foi, à plus forte raison pour un doute involontaire qui n’est nullement coupable. Mais quant à l’acte de foi, seule chose que nous ayons considérée jusqu’à présent, son essentielle fermeté ne comporte aucun doute, même involontaire. Il peut cependant succéder rapidement au doute, ou réciproquement, et par la avoir avec lui une sorte de simultanéité au sens large du mot. « Les doutes involontaires que les fidèles s’imaginent avoir au moment même de l’acte de foi, succèdent seulement à cet acte, et ne coexistent pas avec lui ; mais comme le doute et la foi se succèdent alors sans intervalle sensible, ils semblent coexister. Ce qui peut réellement coexister avec l’acte de foi, ce sont les simples idées qui appartiennent aux jugements craintifs (qui leur servent comme de matériaux, ainsi l’idée de danger, l’idée d’erreur), idées qui répondent dans l’intelligence à certaines images (species) excitées dans l’imagination (phantasia) par une cause naturelle ou par le démon, et que l’on confond avec les doutes et les jugements craintifs. (De même des jugements d'autrui contre la foi, dont nous nous souvenons, sans les faire nôtres.) Mais jamais ne coexiste avec l’acte de foi ces jugements dans lesquels notre intelligence, bien qu’involontairement, juge que la chose révélée est peut-être fausse, jugements qui sont appelés doutes involontaires. » Antoine, Theol. universa, Paris, 1736, De fide, sect. iii, a. 1, t. i, p. 165. Cf. Platel, Synopsis cursus theol., n. 175, Douai, 1706, p. 261 ; Theol. Wirceburgensis, Paris, 1852, t. IV, n. 200, p. 173. À plus forte raison, peut coexister avec l’acte de foi un certain malaise qui n’est pas un doute, mais provient de ce que notre intelligence n’est pleinement satisfaite que par la seule clarté de la vision, à laquelle la foi, avec sa connaissance imparfaite des mystères, ne peut atteindre. À ce malaise est joint un mouvement de la pensée, une inquiétude naturelle de l’esprit qui aspire à connaître mieux ; et c’est ainsi que, dans cette définition de saint Augustin : credere est cum assensione cogitarr, De prsedestinationc sanctorum, c. ii, P. L., t. xliv, col. 963, saint Thomas interprète le mot cogitare. Sum. theol., IIa IIæ, q. ii, a. 1 ; Quæst. disp., De veritate, q. xiv, a. 1, ad 5um. Mais bien que la foi ne donne pas à l’esprit le repos absolu de la pleine satisfaction et de la béatitude, elle lui donne le repos relatif de la certitude et d’un assentiment ferme, assensio. Enfin peut coexister avec la foi du chrétien, vertu ou acte, le doute en un sens plus large, opposé seulement à la

« foi des miracles » , voir plus haut, col. 69, c’est-à-dire

le doute (ou incrédulité) qui porte, non pas sur la toute-puissance de Dieu, mais seulement sur la future réalisation de tel événement miraculeux, événement qui n’est pas contenu dans la révélation chrétienne, et par suite n’est pas l’objet de la foi ordinaire exigée pour le salut. Dans certaines circonstances, cependant, un tel doute est blâmable, en face des grâces qui excitent à la foi des miracles : il peut aussi révéler un état languissant de la foi ordinaire elle-même ; ce qui explique certains reproches de Jésus desquels on aurait tort de conclure que ses disciples n’avaient pas du tout la foi chrétienne, ou qu’en eux elle coexistait avec le doute proprement dit ; comme dans saint Marc, iv, 40. Cf. Matth., viii,26 ; xiv, 31 ; Marc, ix, 18, 23 ; Matth., xvii, 18, 19.

III. Motif essentiel et spécifique de la foi.

1o  Notions préliminaires.

Déterminer ce motif, c’est pénétrer la nature intime de la foi. La foi est une connaissance, un assentiment de l’esprit, tel est le résultat de notre étude précédente. Mais il faut faire un pas de plus et préciser davantage. Le genre « connaissance » est très vaste. Il y a la connaissance immédiate, où l’assentiment se donne sans aucun raisonnement préalable, soit qu’il s’agisse d’une connaissance analytique, où l’on voit du premier coup l’équivalence de deux termes abstraits, comme 2 +2 = 4, « ce qui est, est, et ne peut pas en même temps ne pas être, » soit d’une connaissance expérimentale, comme

« je souffre, j’existe. » Il y a la connaissance médiate.

discursive, qui suppose un raisonnement, discursus : alors, parlant d’une vérité connue, on arrive à une vérité inconnue, ou du moins, on arrive par une voie nouvelle à une vérité que l’on n’avait pas encore saisie de cette manière. C’est ainsi que la cognitio discursiva est définie par saint Thomas : Ex uno prius noto devenitur in cognitionem alterius posterais noti, quod prius erat ignotum. Sum. theol., Ia q. lviii, a. 3, ad 1um. Ordinairement, ce passage d’une vérité à un autre réclame une durée appréciable ; cette différence de temps n’est pourtant pas essentielle au discursus, et le prius dont parle saint Thomas peut ne pas inclure une priorité de temps, mais seulement une priorité de cause. « L’essence du raisonnement consiste en ceci, que la connaissance d’un premier objet est tirée de la connaissance d’un autre objet comme de sa cause… Dieu lui-même (qui ne raisonne pas) voit que dans une connaissance telle autre est contenue ; mais il ne reçoit pas la seconde de la première. Nous, au contraire, nous la recevons (et par la notre connaissance et discur-