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diate, etc., ce qui nous fait retomber dans les deux cas examinés d’abord. Il faut donc supprimer ce premier cas, et ne pas faire dépendre de la contingence de la matière l’incertitude du jugement comme une suite nécessaire : la matière contingente reste de soi indifférente à la certitude ou à la probabilité. Et certes, en Dieu, la connaissance des contingents est parfaitement certaine et métaphysiquement nécessaire. De Benedictis, loc, cit., p. 514. Nous préférons donc notre explication de la formido comme plus simple et plus juste.

Ajoutons une autre considération. La volonté libre ne peut changer ou supprimer la contingence d’une matière, ni dans la réalité, c’est clair, ni même dans notre esprit, parce que cette contingence est de toute évidence, et que la volonté ne peut rien dans notre esprit contre l’évidence proprement dite. D’autre part, ’la volonté peut supprimer dans notre esprit ce qu’on appelle formido, et transformer une pure opinion en jugement absolument ferme : on voit ce phénomène ! dans les esprits entêtés de leurs idées, et Soto en fait lui-même la remarque : « Du côté du sujet il peut y j avoir la même certitude quand la chose est fausse. Qui j doute que les anabaptistes adhèrent à leurs doctrines avec autant de force et de fermeté, tain firmo assensu roborati, que les sacramentaires, etc., et ceux-ci que nous (les catholiques) ? Et pourtant il est évident qu’il y a quelqu’un qui se trompe, ces thèse. ; opposées j ne pouvant être toutes vraies. » De natura et gratta, I. 111, c. x, Salamanque, 1561, p. 215. La formido sur laquelle la volonté a prise ne peut donc être une suite nécessaire de la contingence de la matière, sur laquelle lu volonté n’a pas de prise. De plus, la suppression du doute ou formido par la volonté — suppression blâmable dans les gens entêtés, parce qu’alors elle porte sur un doute prudent et que, à un certain moment du moins, ils ont reconnu comme tel — devient légitime dans certains cas où le doute est imprudent, déraisonnable ; les théologiens admettent communément cette suppression des doutes imprudents dans la foi divine. Or la contingence de la matière, étant évidente et n’ayant rien d’illégitime, ne peut en aucun sens être supprimée par notre volonté. Ce n’est donc pas ce qu’on appelle formido, ni ce qui produit la formido.

Notre théorie, au contraire, explique très bien la différence des doutes prudents et des doutes imprudents, formidincs imprudentes. Le mot formido sigivlie, d’après nous, ce jugement réflexe : « En affirmant cela, je suis en danger de me tromper. » Ce jugement craintif, comme tout jugement, doit avoir un motif, car l’intelligence ne juge pas sans quelque raison au moins apparente de juger ainsi. Voir Croyance, t. iii, col. 2372. Ce motif sera parfois l’évidence du danger de me tromper, et alors le jugement craintif ne sera pas libre, l’évidence s’impose. Mais souvent, la réal.té du danger étant moins claire, la volonté aura prise sur ce jugement craintif, et pourra ou le supprimer, ou, au contraire, le faire naître sans motif sérieux, en embrouillant l’esprit dans des sophismes, ou tout au moins le favoriser ; et selon qu’elle suit alors les conseils de la prudence ou qu’elle ne les suit pas, le jugement craintif, en tant que plus ou moins dépendant de la volonté, sera dit prudent ou imprudent, légitime ou coupable. Parfois dans l’affirmation d’une vérité, surtout si elle déplaît aux passions, s’élèvent des doutes, des craintes, sans motif sérieux du côté de l’objet suffisamment perçu ; Soto en fait la remarque : « Qu’il s’élève dans l’esprit humain un doute, une crainte…, c’est une chose naturelle… Parfois cela résulte du tempérament. Il y en a qui ont peu de sang, et cela les rend craintifs dans l’affirmation, comme dans toute autre chose. » Op. cit., p. 214. S’il existe des craintes sans danger réel, ayant une origine purement subjective et morbide, s’il existe des doutes imprudents et sophistiques, la volonté a certainement le tlroit d’intervenir pour supprimer tout cela. Voir Croyance, t. iii, col. 2383 sq. Cet appel à la volonté du malade, que la médecine elle-même sait employer contre la neurasthénie, est spécialement opportun dans l’épidémie du doute qui, à la suite du kantisme et d’autres causes, affaiblit aujourd’hui les esprits. « Nous sommes en présence, non seulement d’une conception d’école, mais d’un fait biologique, d’une sorte de faiblesse ou de déformation pathologique de la vie religieuse, que je qualifierais volontiers de psychasthénie spirituelle, dit un protestant. Les raffinements morbides et la complaisance au doute intellectuel, que pratique l’agnosticisme, me paraissent révéler je ne sais quelle névrose nouvelle et constitutive de la conscience religieuse. » Frommel, dans la Revue (protestante) de théologie et de philosophie, novembre 1904, p. 37, 38. Voir Snell, Essai sur la foi…, 1911, p. 103.

Quant à la théorie de Soto sur la contingence, elle se termine par une explication assez faible de la formido : Formido non potest melius explieari quam si dicas quod est privatio cerliludinis. Unde hoc est assentiri uni parti cum formidine alterius, quod est intelleclum non ila esse deierminalum ad hanc parlem, quin flucluct quodammodo circa aliam. D.Soto, In tibros posleriorum Arislotelis absolulissima commentaria, Venise, 1574, q. viii, p. 416.

b) Différence entre la foi humaine et l’opinion. —

Il y a dans cette même q. viii de Soto une autre théorie acceptée par le P. Gardeil, et qui consiste à dire qu’entre l’opinion et la foi humaine il n’y a pas différence d’espèce, différence essentielle. Nous préférons la doctrine de saint Thomas, qui, dans le passage cité tout à l’heure, dit : « Il est de l’essence do l’opinion d’estimer que la chose affirmée pourrait être autrement ; tandis que dans la foi, à cause de sa certitude, on estime que la chose affirmée ne peut pas être autrement. » Sum. tkeol., IIa-IIæ , q. i, a. 5, ad 4um. Voilà bien une différence profonde, atteignant la nature même de l’assentiment ; et c’est par là que saint Thomas, dans la même phrase, différencie la science et l’opinion, entre lesquelles on avoue une différence d’espèce. S’il n’y en a pas entre la foi et l’opinion, pourquoi saint Thomas nous donne-t-il cette célèbre division ternaire entre ces trois espèces d’assentiment, la science, l’opinion et la foi ? pourquoi met-il cette troisième sur la même ligne que les deux autres ? Sum. Iheol., II" II*, q. i, a. 4 ; De verilate, q. xiv, a. 1. C’est dans ces textes, où saint Thomas traite la question ex professo, qu’il faut étudier sa pensée, et non pas dans des endroits où il prend en rassant le mot fides dans un sens large, de même qu’en français nous appelons « croyance » non seulement une conviction ferme, mais souvent, au sens plus large, une opinion. Voir Croyance, t. iii, col. 2364. Dira-t-on, pour échapper à saint Thomas, que dans cette division ternaire il ne parle que de la foi divine ! Mais il est clair qu’il fait là une théorie générale et philosophique des divers états d’esprit, et que la fides dont il parle ici ne peut pas être la seule foi divine, qui dépasse la philosophie, mais que c’est aussi la foi humaine, du moins quand elle atteint sa perfection. La foi au témoignage divin est toujours infaillible, a priori ; la foi au témoignage humain varie suivant la valeur et le nombre des témoignages et souvent ne donne pas la ceititude : de là une différence incontestable, qui empêche que la foi humaine prise en général soit une vertu, Sum. Iheol., IIa-IIæ , q. iv, a. 5, ad 2 nm, mais qui n’empêche pas que les actes parfaits de foi humaine soient vraiment certains, ce qu’il serait sceptique de nier. Au fond, Soto veut à tout prix défendre Aristote du reproche d’avoir