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FOI


teux, si elle disait, par exemple : « Il y a peut-être une autre vie, un éternel bonheur, » comment exciteraitelle puissamment l’espérance ? C’est déjà bien assez que le fait de notre salut personnel reste ordinairement en dehors de la certitude et du domaine de la foi. Il faut du moins que les grandes vérités, base de notre vie spirituelle, dont le souvenir doit nous faire espérer craindre, aimer, pleurer nos fautes, soient fermement saisies par la foi. Sur les fondations branlantes d’une demi-croyance pourrait-on construire l'édifice des vertus ? N’est-ce pas en partie la fermeté des convictions qui fait la solidité de la vertu et la force du caractère ? Pour remplir son rôle providentiel, la foi devait donc être ferme, et une foi chancelante ne pouvait en aucune hypothèse être acceptée de Dieu comme base de la conversion au christianisme, ou de la vie chrétienne.

Mais, dira-t-on, une croyance mêlée de doute à des sanctions possibles dans une autre vie' suffirait encore à exciter l’espérance et la crainte, qui de leur nature ne réclament pas la certitude de leur objet : une telle croyance pourrait donc obtenir pratiquement l’exercice de la religion et les sacrifices que demandent les vertus chrétiennes. C’est le célèbre argument du pari de Pascal : « Dieu est, ou il n’est pas. Maio de quel côté pencherons-nous ?… Il se joue un jeu, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ?… Pesons le gain et la perte (de celui qui parie pour Dieu et la religion)… Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien (en comparaison de l’infini). Gagez donc qu’il est, sans hésiter… Il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini… Il n’y a point à balancer, il faut tout donner… Car il ne sert de rien de dire qu’il est incertain si on gagnera, et qu’il est certain qu’on hasarde… Tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude… Combien de choses fait-on pour l’incertain, les voyages sur mer, les batailles ! » Pensées, édit. des Grands écrivains, t. ii, p. 146 sq. Kant dit à son tour : « L’homme ne peut s’empêcher de craindre un Être divin et une vie future : il suffit, en effet, qu’il ne puisse alléguer la certitude qu’il n’y a pas de Dieu et pas dévie future, certitude qui exigerait… qu’il démontrât l’impossibilité de l’un et de l’autre, ce qu’aucun homme raisonnable ne peut assurément entreprendre. » Critique de la raison pure, trad. Barni, t. ii, p. 387. Ces considérations peuvent servir à remuer l’incrédule, à le faire sortir de son repos malsain dans les négations, et à le rapprocher ainsi de la foi chrétienne, mais sans l’y faire parvenir : Dieu l’a mise plus haut comme fermeté, nous le savons par la révélation et la doctrine de l'Église. Aux yeux mêmes de la raison naturelle, l’argument du pari ne peut remplacer, comme excitation à la vertu et à la religion, la foi robuste et éclairée qui croit à Dieu, à ses promesses et à ses menaces comme à quelque chose d’objectif et do certain, et qui donne à notre âme un point fixe, une base de vérité. Il est vrai que dans les affaires du monde on expose volontiers une très faible valeur pour l’acquisition possible d’une valeur énorme. Mais ces valeurs sont du même ordre, elles parlent toutes les deux aux sens, dont l’homme est si fort touché ; elles sont estimées du commun des hommes. Au contraire, l’aude la ne parle pas aux sens, n’est pas estimé de la multitude dont les jugements impressionnent tant l’individu : et si à ces désavantages il ajoute encore celui de paraître incertain à l’esprit, de ne lui rien montrer que de nébuleux et de flottant, la vie future ne réussit pas alors (c’est un fait d’expérience) à rejeter dans l’ombre les biens présents, ni à les faire pratiquement apparaître comme le rien dont parle Pascal. « Au point de vue de la logique pure, dit Ernest Naville, la con clusion commune à Pascal et à Kant a une vraie valeur ; mais si on en fait laprévision de ce qui doit naturellement arriver (en tenant compte de la nature humaine telle qu’elle est), l’argument est fort défectueux. Voici pourquoi. Ce n’est que sous l’influence d’une conviction très ferme de la réalité du monde à venir et de la justice éternelle, que la satisfaction des intérêts et des passions peut revêtir le caractère d’une quantité insignifiante. Les passions projettent sur les joies présentes une lumière vive dont l'éclat fait pâlir, presque jusqu'à la faire disparaître, la perspective d’un bonheur futur. » Les philosophics négatives, Paris, 1900, p. 35. Et lors même que l’argument du pari exercerait une influence fortement moralisatrice, de cette demi-croyance ne sortiraient pas toutes les vertus chrétiennes, dont la plus excellente est l’amour de Dieu. Avec un Dieu hypothétique, qui nous aime peut-être, qui nous a peut-être donné ce que nous sommes, comment établir ces rapports intimes d’amour que nous avons avec un Dieu certain, invisible, que par la foi nous voyons presque, Heb., xi, 27, notre créateur, notre protecteur, notre père, qui a élevé les justes à son amitié par une communication certaine de biens surnaturels et d’ineffable amour ? Dès là que Dieu a ainsi demandé notre amour, il a dû pourvoir à une foi ferme nécessaire à le fonder.

3. L’opinion et son doute (formido) contraire ù la foi divine. — a) La fermeté de la foi exclut donc le doute — soit qu’on entende par « doute » une attitude négative de l’esprit, la suspension du jugement par crainte de se tromper — soit qu’on entende une crainte de se tromper qui ne va pas jusqu'à arrêter l’acte positif d’affirmer, mais qui l’accompagne, le modifie et l’affaiblit ; une telle affirmation prend le nom d’opinion, et nous venons de voir par des témoignages patristiques que l’opinion, Ycxistimalio est opposée à la foi. Voici comment saint Thomas décrit ces deux états d’esprit : « Tantôt l’intelligence n’est pas inclinée d’un côté plutôt que de l’autre ; ou bien faute de motif, comme il arrive dans ces problèmes où n’apparaît aucun élément de solution, ou bien à cause de l'égalité apparente des motifs en faveur de deux thèses opposées. Telle est l’attitude du doute (au sens le plus strict du mot), qui flotte entre deux propositions contradictoires. » Quæsl. disp., De verilate, q. xiv, a. 1. C’est comme une balance qui, faute de poids, ou par l'égalité des poids entre eux, reste en équilibre. Dans l’autre état d’esprit, l'équilibre se rompt : « Tantôt, continue-t-il, l’intelligence est plus inclinée d’un côté que de l’autre ; mais le motif qui l’incline n'étant pas assez fort pour la déterminer totalement d’un côté, elle s’attache à l’une des deux thèses contradictoires, et pourtant conserve un certain doute à l'égard de l’autre. Telle est l’attitude de Yopinion, qui admet une des deux contradictoires tout en gardant une certaine crainte de l’autre, cum formidine alterius. » Ibid. On définit aujourd’hui semblablement 1' « opinion » , même dans la philosophie qui n’est pas scolastique. * L’opinion est une adhésion mêlée de doute, et par conséquent plus ou moins chancelante et inconstante. » Boirac, Cours élémentaire de philosophie, Logique, c. v, Paris, 1900, p. 287.

L'élément caractéristique de l’opinion, c’est cette crainte, formido, dont parle saint Thomas, et que, dans le passage cité, il appelle aussi « doute » , dubilat de altéra ; le mot formido est plus généralement usité chez les scolastiques, le mot doute chez les modernes, qui parlent pourtant aussi d' « affirmer sans crainte » . Mais qu’est-ce que cette crainte, formidol Une émotion ? Nous n’entendons pas exclure l'élément émotionnel, plus ou moins perceptible ; mais il est d’importance très secondaire. Une crainte à objet rationnel, comme celle qui nous occupe et qui a évidemment pour objet