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GAGE

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simple droit de jouissance, mais un droit de propriété, au moins fictif. Il fut inventé à l’époque où le prêt à intérêt était défendu et servit à tourner la loi prohibant l’usure. Il permettait d’affirmer qu’on ne touchait pas un intérêt pour de l’argent prêté, mais un revenu pour un immeuble loué. Ce n’était qu’un paravent et un leurre. La vente n’était pas sérieuse ; elle constituait une pure fiction, car, ni l’acquéreur, ni même la loi, ne la considéraient comme réellement transmissive de propriété. Quand arrivait l’expiration du temps fixé pour le rachat, si le débiteur ne pouvait pas l’opérer en remboursant la somme prêtée, le créancier prorogeait le droit de réméré pour une nouvelle période ou exigeait, par sommation, le paiement du capital et des intérêts. Dans le cas de non-exécution, il faisait prononcer par les tribunaux la saisie et la mise en vente de ce qui avait fait l’objet du contrat pignoratif. Il s’en portait fréquemment acquéreur et le payait, la plupart du temps, à des prix dérisoires. Les théologiens et les canonistes furent toujours très justement sévères pour ces conventions ; ils n’y virent, avec raison, qu’une forme dissimulée de l’usure et un moyen de rendre illusoires les prohibitions de l’Église. Ils exigèrent, autrefois, que les sommes versées comme fermage fussent défalquées du capital et non considérées comme un légitime intérêt de l’argent, toutes les fois que n’existait pas quelque titre extrinsèque de lucrum cessans ou de dtinmum emergens donnant droit de percevoir au delà du capital prêté. Sans condamner absolument l’usage du contrat pignoratif, notre droit français prohibe rigoureusement l’impignoration lorsqu’elle renferme une convention usuraire ou déguise un pacte commissoire défendu. Cf. Code civil, a. 2078, 2088.

III. Aperçu historique.

De tout temps, les préteurs se sont préoccupés d’exiger des garanties de leurs emprunteurs et de prendre des mesures pour assurer le remboursement de leur argent. Si l’on en croit Hérodote, dans l’antique Egypte, le débiteur donnait en gage le corps embaumé de son père et de sa mère, et c’était pour lui un déshonneur de ne point le retirer aussitôt qu’il le pouvait. Chez les Juifs, le prêt sur gage était couramment pratiqué. La loi ne permettait pas de réclamer un intérêt pour l’argent prêté à un Hébreu, mais elle permettait d’exiger un gage qui fût, à la fois, une reconnaissance et une garantie de la dette. Il était tout naturel que le créancier, ne retirant aucun bénéfice des sommes mises à la disposition d’autrui, eût le droit de se précautionner contre les pertes. Nous voyons, II Esd., v, 3, les Juifs du temps de Néhémie engager, durant la famine, leurs vignes, leurs champs et leurs maisons pour avoir du blé, et l’auteur du livre de Job, xxiv, 3-9, nous montre des prêteurs sans entrailles se faisant livrer le bœuf de la veuve, l’àne de l’orphelin, les ustensiles du pauvre.

Le contrat de gage proprement dit ne lit qu’assez tard son apparition dans le droit romain ; il n’existait pas sous la loi des Douze Tables, il est d’origine prétorienne. Jusque-là, le seul gage qu’eût le créancier était la personne même de son débiteur. Ce ne fut que petit à petit que la législation se modifia et qu’elle arriva à permettre au prêteur, ne pouvant obtenir autrement le remboursement de son argent, de faire saisir et vendre certains biens de l’emprunteur. Plus tard seulement, elle reconnut et sanctionna le vrai contrat de gage. Ce contrat fut, non institué par elle, mais inventé par les intéressés. Afin de trouver plus facilement de l’argent, celui qui désirait contracter un emprunt fixait tels et tels de ses biens que, en cas de non-paiement, le prêteur pourrait faire saisir et vendre pour rentrer dans ses fonds ; mais ces biens, il ne les livrait pas à son créancier, il en gardait la gestion,

il pouvait s’en servir, il avait même le droit de les aliéner, pourvu qu’il ne le fit pas en fraude, ce qui rendait singulièrement illusoire la garantie du prêteur. Celui-ci exigea bientôt que l’objet servant de gage fût remis entre ses mains ; la loi sanctionna la mesure et, de la sorte, par des étapes successives, on arriva au contrat de gage tel qu’il existe aujourd’hui. Quelquefois, le gage n’était pas remis au préteur lui-même, mais confié à un tiers désigné d’un commun accord par le créancier et le débiteur. Il était défendu par la loi de convenir que si, au bout du temps fixé, le débiteur ne s’était pas libéré, le gage deviendrait la propriété du créancier ; la pratique aurait donné naissance à trop d’injustices et à trop d’abus. Le prêteur était simplement autorisé à faire vendre l’objet gagé ou à en faire fixer le prix par voie judiciaire ; il retenait le montant de sa créance, mais était tenu de remettre le surplus à l’emprunteur.

Au moyen âge, le prêt sur gage fut pratiqué sur une très vaste échelle et donna naissance aux plus criantes iniquités. Il fut, pendant longtemps, monopolisé par les juifs, les lombards, les cahorsins, en un mot, par ceux qui faisaient profession d’usure et vivaient de l’exploitation du pauvre. L’ordonnance de 1360, qui autorisa les juifs à résider en France, leur permettait de prêter sur gage au taux incroyable de 4 deniers pour livre et par semaine, ce qui faisait à SG ° par an. L’ordonnance de 1380 la confirma beaucoup plus qu’elle ne la modifia. Elle se borna à défendre de donner et d’accepter, comme gage, les reliques des saints, les ornements d’église, les vases sacrés, les coutres, le ferrement des charrues et les fers de moulin. Elle statuait, en outre, que si, au bout d’un an et un jour, le débiteur ne s’était pas libéré, le créancier pouvait faire vendre ie gage, à la condition de remettre au propriétaire toute la partie du prix qui dépassait le montant de la créance. Les créanciers juifs s’arrangeaient généralement pour acheter eux-mêmes, à vil prix, l’objet livré en gage ou pour le faire acheter par quelqu’un qui était de connivence avec eux. C’était l’occasion de monstrueux abus. Pour porter remède au mal et soustraire les malheureux à l’impitoyable rapacité des usuriers, un franciscain, Barnabe de Terni, conçut l’idée d’une banque où l’on prêterait sur gage, mais sans exiger aucun intérêt. De riches bourgeois charitables mirent à sa disposition les fonds nécessaires et il réalisa son projet, en 1440, d’après les uns, en 1462, d’après les autres. L’institution, à laquelle il donna le nom de mont-de-pi prit de très rapides et de très considérables développements. Grâce à l’ardente et courageuse propagande que les fils du Poverello d’Assise ne cessèrent de faire en sa faveur, elle se répandit vite dans toute l’Italie. Dès la fin du xve siècle, il y avait des monts-de-piété dans presque toutes les grandes villes de la Péninsule. Parmi les hommes qui s’employèrent avec le plus de zèle à en accroître le nombre, une mention spéciale doit être faite du B. Bernardin de Feltre, qu’on peut regarder, sinon comme le fondateur, au moins comme le grand apôtre et le véritable organisateur de ces établissements. II établit celui de Padoue en 1491, celui de Florence en 1492, celui de Pavie en 1494, Jusqu’à lui, les prêts avaient été gratuits ; il préconisa le système des prêts à petits intérêts, afin de faire face aux frais et aux charges de l’œuvre, d’assurer son avenir en ne la faisant plus dépendre uniquement du bon vouloir des personnes charitables dont les générosités assuraient seules sa marche, de la mettre en état de lutter plus avantageusement et sur une plus vaste échelle contre la banque juive. Il admettait, pourtant, que les prêts ne dépassant pas trois livres devaient être gratuits, des prêts de ce genre n’étant faits, d’ordinaire, qu’à de très pauvres gens. Ses