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FRUITS DU SAINT-ESPRIT


est ainsi, et nous en trouvons la preuve dans ce fait que des exégète.s aussi peu apparentés que saint Thomas, qui compte d’ailleurs douze fruits, et Swete, qui en compte neuf, sont arrivés dans leur essai de classification à des résultats sensiblement concordants. Selon saint Thomas, le Saint-Esprit tend à ordonner l’homme : 1. dans son intérieur ; 2. en regard de ce qui lui est juxtaposé ; 3. en regard de ce qui est au-dessous de lui. La charité, la joie, la paix, la patience et la longanimité caractérisent le premier œuvre ; la bonté, la bénignité, la mansuétude, la fidélité caractérisent le second ; la modestie, la continence et la chasteté, le troisième. Swete fait des neuf fruits une simple division tripartite : 1° fruits concernant la vie intime avec Dieu : charité, joie, paix ; 2° fruits qui regardent nos rapports avec nos semblables : patience, bénignité, bonté ; 3° fruits qui règlent les actes extérieurs, paroles, maintien : fidélité, modestie, continence. On le voit, la coïncidence est trop accusée pour être le résultat du hasard.

7° Une monographie complète de chacun des fruits de l’Esprit présente plus de difficultés. Saint Jérôme l’a tentée. In Epist. ad Gal., P.L., t. xxvi, col. 419 sq. Saint Thomas de même. Loc. cit., a. 3. Cornely essaie de fusionner ces explications, et y ajoute ses rectifications personnelles. Il nous semble qu’au point de vue textuel, il convient de ne pas chercher une précision trop grande.

L’opposition des fruits de l’Esprit aux œuvres de la chair, poursuivie dans son détail par saint Augustin, 7/2 Episl. ad Gai, P. L., t. xxxiv, col. 2141 sq., et par saint Thomas, loc. cit., a. 4, ne nous donne également que des résultats assez conjecturaux au point de vue textuel. Comme le remarque saint Thomas, saint Paul non intendit tradere arlem virtutum et vitiorum. In Episl. ad Gal., lect. vi. Il ne peut être question que d’un apparentement relatif, secundum quamdam adaptationem. Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxx, a. 4.

Aussi, pour ne pas allonger cette partie, le lecteur nous permettra-t-il de le renvoyer aux sources citées. Cf. F. Reithmayr, Commentar zvun Bric je an dicGalatcr, Munich, 1865, p. 439-442.

IL Théologie spéculative. — Son effort sera de faire rentrer les données de la théologie positive des fruits de l’Esprit dans le cadre des synthèses théoriques, des systèmes d’ensemble. Or les fruits du Saint-Esprit évoquent principalement deux théories théologiques : comme fruits, ils appellent la théorie de la fruition, fondée par saint Augustin et mise au point par saint Thomas ; en tant que vertus, ils postulent leur ; grégation à la théorie générale des vertus surnaturelles.

1° Quel est, de f inclus ou de frui, jouir, le terme qui a fondé l’analogie ? Cela n’a pas d’importance, répond saint Thomas. Cependant, comme les choses concrètes et sensibles sont à l’origine de toute notre connaissance, il est probable que fruclus est primitif et frui dérivé. Sum. theol., MI*, q. lxx, a. 1.

L’analogie entre fructus et frui, dont nous avons déjà relevé deux convenances, voir plus haut, col. 945, semble en présenter une troisième, si toutefois on se range à la notion de la jouissance, du frui, que saint Augustin développe dans le 1. I de De doctrina christiana et au c. xi du 1. X De Trinitate, P.L., t. xlii, col. 982, et qu’il oppose à l’utilisation, uti. Cette troisième convenance tient en ceci que le fruit se présente comme le produit final de l’arbre et, au figuré, de toute cause active, et que la jouissance, selon saint Augustin, a pour objet la fin, et non le moyen utilisé pour obtenir la fin : Frui est amorc alicui ici inhærere propter se ipsam. De doctrina christiana, 1. I, c. iv, P. L., t. xxxiv, col. 20. Il suit de là que Dieu seul est objet de fruition. Ibid., c. xxii, col. 26. Comment donc les

actes de vertus énumérés sous le nom de fruits de l’Esprit peuvent-ils être encore des fruits, c’est-à-dire des objets de jouissance ? C’est le problème que se propose de résoudre saint Thomas, Sum. theol., PII*, q. xi, a. 3, obj. 2 a ; q. lxx, a. 1, obj. 2 a. Saint Augustin avait déjà préparé la solution en parlant des joies de la science, fruimur cognitis, De Trinitate, 1. X, c. x, P. L., t. xlii, col. 981 ; et en admettant, à propos de l’amour du prochain, une espèce de jouissance. De doctrina christiana, 1. I, c. xxxiii, P. L., t. xxxv, col. 33. Saint Thomas tranche la question par la distinction de trois ordres d’objets : la fin ultime, objet propre de la jouissance ; le pur moyen, qui n’est par lui-même, en aucune façon, objet de jouissance, étant simplement utilisable ; les fins intermédiaires, finalement ordonnées à une fin ultérieure, mais ayant une bonté relative à laquelle est annexée une délectation spéciale. C’est à ce troisième ordre que les actes d es vertus se rattachent, et, pour autant, la qualité d’objet de jouissance, l’appellation de fruits, leur convient. Cf. S. Thomas, loc. cit. Sunt appelenda formaliter sed non finaliler, dit saint Thomas. In Epist. ad Gal., loc. cit. Et ailleurs : In Deo deleclari débet homo propter se, sicut propter ultimum finem ; in aclibus autem virtuosis non sicut propter finem ; sed propter honeslatem quam contincl delectabile in virluosis. Sum. theol., PII*, q. lxx, a. 2, ad 2um. Voir Béatitude, t. ii, col. 504-505. Les actes de vertus sont formellement des fins, mais des fins essentiellement relatives à la fin ultime. D’où cette conclusion qui concilie tout : Opéra nostra in quantum ordinantur ail finem vitse œternse, sic mugis habent ralionem fiorum. Sum. theol., MI*, q. lxx, a. 1, ad 1 U1 » .

2° C’est à titre d’actes seconds et non d’habilus que les vertus figurent dans la liste des fruits. Sum. theol., PIP, q. lxx, a. 1, ad 3um. Les fruits sont, en effet, des produits, non des causes. Ibid., in corp. Et d’ailleurs, plusieurs des fruits recensés par l’apôtre ne sont pas à proprement parler des vertus, mais des actes conséquents à certaines vertus. Telles la joie et la paix qui sont des effets de la vertu de charité, mais ne constituent pas des vertus spéciales. Sum. theol., IPII*, q. xxviii, a. 4 ; q. xxix, a. 4.

Or des actes surnaturels peuvent se rattacher soit aux vertus infuses, soit aux dons du Saint-Esprit. Voir ces mots. Les actes des dons du Saint-Esprit ont reçu dans la théologie de saint Augustin et de saint Thomas le nom de béxditudes, en raison de leur coïncidence avec les huit béatitudes de l'Évangile de saint Matthieu. Voir Béatitudes. Les dons du Saint-Esprit étant définis précisément par une aptitude spéciale ; i recevoir l’influence du Saint-Esprit, une question se pose : leurs actes, les béatitudes donc, ne seraient-ils pas identiques aux fruits du Saint-Esprit qui procèdent eux aussi très spécialement de la motion du Saint-Esprit. Sum. theol., PII*, q. lxx, a. 2, obj. P. L’abbé de Bellevue, op. cit., p. 277, estime que la doctrine du P. Froget sur les fruits, qui est celle de saint Thomas, enlève toute distinction sérieuse entre les béatitudes et les fruits. Il ne le semble pas. D’abord, le.s listes sont totalement divergentes, ce qui est un signe de la distinction de leur contenu. Ibid., sed contra. Ensuite, comme le remarque saint Thomas, si tout acte des dons, toute béatitude, peut être appelé fruit de l’Esprit, en raison de la jouissance qui est attachée aux actes de vertu, sans distinction, tous les fruits de l’Esprit ne peuvent pas être nommés béatitudes. Car les actes des dons, les béatitudes, sont des œuvres parfaites et excellentes, qui l’emportent sur les actes des vertus infuses ordinaires. La dénomination de fruit doit donc être regardée comme une dénomination commune aux actes des vertus infuses et aux actes des dons. Sunt enim fructus quæcumque