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919 FRÈRES PRÊCHEURS (LA THÉOLOGIE DANS L’ORDRE DES)

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bable, l’opinion contraire ne l’étant plus. Si l’on ne pouvait sortir du doute, il faudrait prendre l’alternative la plus sûre.

C’est un dominicain espagnol, Barthélémy de Médina, premier professeur de théologie à l’université de Salamanque, qui mit en circulation une nouvelle doctrine, absolument irréductible à celle de saint Thomas. C’est lui qui a créé la nouvelle théorie générale sur la probabilité et la forme spéciale qui a pris le nom de probabilisme.. Il a exposé ses idées dans ses commentaires sur la I « II* de la Somme théologique, q. xix, a. 6, publiés à Salamanque en 1Ô77. « Il me semble, dit-il, que, si une opinion est probable, il est permis de la suivre, lors même que l’opinion opposée serait plus probable. » Puis, au cours de sa démonstration ; il définit ainsi l’opinion probable : < Une opinion n’est pas dite probable par cela que l’on apporte en sa faveur des raisons apparentes, et qu’il y a des gens qui l’affirment et la défendent ; à cette enseigne, toutes les erreurs seraient des opinions probables. Une opinion est probable qui est soutenue par les hommes sages et confirmée par d’excellents arguments qu’il n’est pas improbable de suivre. C’est la définition d’Aristote. » On voit combien, par sa définition de la probabilité, Médina est soucieux de fermer la porte au laxisme après l’avoir, en apparence, ouverte par l’affirmation qu’on peut toujours suivre une opinion probable, même contredite par une opinion plus probable. L’erreur n’en restait pas moins : la possibilité que le oui et le non sur un même objet aient, dans l’ordre moral, une suffisante justification.

La théorie de Médina entra sans bruit en circulation, en un temps où d’autres polémiques attiraient ailleurs l’attention. Médina avait fait valoir le côté utilitaire de sa théorie, tout comme les théologiens humanistes dans les matières de la prédestination et de la grâce. Un certain nombre de dominicains espagnols suivirent leur confrère : Louis Lopez, Dominique Bafiez, Diego Alvarez, Barthélémy et Pierre de Ledesma. Les nouvelles théories sur la probabilité entrèrent un peu partout sans considération d’école. Les jésuites, en général, l’adoptèrent ; mais il y eut aussi parmi eux des opposants. La facilité à rendre toutes les opinions probables dès que les contradictoires pouvaient l’être ne tarda pas à aboutir à de graves abus. Les Provinciales de Pascal, en 1656, jetèrent dans le domaine public ces questions demeurées jusqu’alors à l’intérieur des écoles. Le scandale fut grave, et Alexandre VII signifiait cette même année au chapitre général des dominicains sa volonté de voir l’ordre combattre efficacement les doctrines probabilistes. Depuis lors, les frères prêcheurs, chez lesquels cette doctrine avait été mise pour la première fois au jour et avait trouvé ses premiers propagateurs, se montrèrent ses plus énergiques adversaires, ’^ et l’ordre ne connut plus d’écrivains probabilistes,

VIII. ACTIVITE DOCTRINALE DE L’ORDRE. Du

xvie au xvine siècle, l’ordre des frères prêcheurs déploya, dans son ensemble, une grande activité doctrinale et produisit des œuvres théologiques remarquables.

Nous avons signalé antérieurement quelques institutions scolaires qui accrurent la vitalité scientifique_de l’ordre. Nous n’en mentionnerons ici qu’une seule, à raison de son caractère et de son importance. Le cardinal Jérôme Casanate († 1700) avait constitué le couvent de la Minerve son légataire, en vue de l’établissement d’unebibliothèqne publique, de deux chaires pour l’enseignement du texte de saint Thomas et d’un collège de théologiens pour la défense de la foi et du Saint-Siège. Ce projet futcxôcuté. La bibliothèque, qui fut appelée Casanata, devint la principale biblio-Ihèque publique de Rome et les dominicains en gar dèrent l’administration jusqu’au moment où Pie IX fut dépouillé de ses États. L’enseignement de saint Thomas et le collège théologique groupèrent à Rome un nombre respectable de religieux, pris dans les diverses provinces de l’ordre, et dont les travaux soutinrent la réputation de cette belle institution. R. Cou-Ion, Le mouvement thomiste ou xviii’siècle, dans la Revue thomiste, t. xix (1911), p. 421.

Nous ne pouvons songer ici à dresser un catalogue fastidieux des travaux théologiques publiés par les prêcheurs pendant la période moderne de leur histoire. Ce serait d’ailleurs faire double emploi avec les notices biographiques qui sont consacrées ici à chacun de ces auteurs. Comme il est utile toutefois de fournir un catalogue des noms principaux, afin que ceux des lecteurs qui désireraient se rendre compte de l’œuvre accomplie par l’ordre pendant ces derniers siècles de son histoire puissent se reporter à ces noms, nous signalerons les plus marquants en nous limitant, quand il y a lieu, à quelques annotations très sommaires.

Les grands centres théologiques de l’ordre, au point de vue littéraire, furent l’Espagne, l’Italie et la France. Mais l’enseignement de l’ordre s’étendit à tous les pays catholiques, où les prêcheurs possédaient de nombreux professeurs, non seulement dans leurs maisons d’étude, mais dans la plupart des universités.

L’Espagne, ainsi que nous avons eu l’occasion de le signaler déjà, fournit une remarquable activité théologique dès la première moitié du xvie siècle, grâce à la fondation d’établissements comme le collège de Saint-Grégoire de Valladolid et celui de Saint-Thomas de Séville, et à l’action réformatrice de François de Victoria († 1546). A la suite du maître paraissent les noms de Dominique Soto († 1560), Melchior Cano († 1560), Pierre de Soto († 1563), Martin de Ledesma (1581), Barthélémy de Médina († 1581), Louis de Grenade († 1588), Dominique Banez († 1604), Thomas de Lémos († 1629), Diègue Alvarez († 1635), Jean de Saint-Thomas († 1644), François de Araujo († 1664), Pierre de Godoy († 1677).

L’Italie a donné, de son côté, un grand nombre de théologiens. Silvestre Prierias († 1524), Silvestre de Ferrare († 1526), Thomas de Vio Cajétan († 1534), Chrysostome Javelli († 1537), Ambroise Catharin († 1553), Capponi de Poretta († 1614), Jérôme de Médicis († 1622), Vincent Gotti († 1742), Vincent Dinelli († 1754), Daniel Concina (y 1756), Fulgence Cuniliati († 1759), Joseph-Augustin Orsi († 170H. Vincent Patuzzi (1762), Thomas Ricchini (7 1779), Salvatore Roselli († 1785), Antoine Valsecchi († 1791), Pierre-Marie Gazzaniga († 1799), Louis V. Cassito (1823), Philippe Anfossi († 1825).

La France a particulièrement fourni des théologiens de marque pendant le xviie siècle et une partie du siècle suivant : Jean Nicolaï († 1663), Vincent Contenson († 1674), Vincent Baron (1674), Antoine Réginald († 1676), Jean-Baptiste Gonet (1681), Antoine Goudin (y 1695), Antonin Massoulié (1706), Noël Alexandre († 1724), Hyacinthe Serry († 1738), Charles-René Billuart († 1751), belge.

Pendant la période moderne, les prêcheurs fournirent d’importantes contributions aux sciences sacrées en dehors des sciences théologiques proprement dites. Ils suivirent le grand mouvement de critique et d’érudition qui se dessine dès les débuts du xvie siècle. Les études bibliques, historiques, l’archéologie sacrée. la patristique et l’orientalisme ont reçu un apport notable de diverses personnalités dominicaines, et nous donnons le nom de quelques-unes des plus marquantes : Santés Pagnini († 1541), Barthélémy « le las Casas († 1566), Sixte de Sienne († 1569), Abraham