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91.5 FRÈRES PRÊCHEURS LA THÉOLOGIE DANS L’ORDRE DES)

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quinze propositions de ses œuvres, considérées comme erronées. Catharin avait été conduit au concile par l’un des légats, le cardinal del Monte, qui avait été jadis son élève, et demeura son constant protecteur. I Unmant et audacieux, comme il était, Catharin se constitua le centre du groupe de théologiens humanistes qui se trouvaient au concile. Il trouva ses meilleurs soutiens dans Lucien de Mantoue, alors abbé de Pomposa, dans Jacques Laynez, S. J., et quelques autres. Sadolet, en relation avec le groupe humains le, l’encourageait par ses lettres et ses élucubrations théologiques. Un autre des légats, le cardinal Cervini, était manifestement favorable au parti catharinien, et ne savait pas toujours dissimuler ses sympathies personnelles dans des fonctions qui auraient dû le placer au-dessus des écoles ou des factions. Heureusement bon nombre de Pères et de théologiens se tenaient dans la direction de la théologie augustinienne et thomiste. Dominique Soto, en particulier, qui jouissait d’un grand crédit, s’opposa à Catharin. On vit même un moment le concile s’offrir en spectacle ces deux prêcheurs, devenus ennemis, parce qu’il avait plu à Catharin de soulever devant l’assemblée de Trente la question de la certitude individuelle de l’état de grâce. Le combat continua d’ailleurs par écrit entre les deux protagonistes, Catharin voulant indûment tirer à lui les résolutions du concile. En présence de la désinvolture des théologiens catharinistes, surtout après un discours malheureux de Lucien de Mantcue, O.S.B. qu’il dut d’ailleurs rétracter, le maître général de l’ordre des prêcheurs protesta contre le peu de respect que certains théologiens se permettaient de témoigner à l’égard de saint Thomas. La position des thomistes au concile se trouvait d’ailleurs fortifiée par la commission que Paul III avait nommée à Rome, pour étudier simultanément la question de la justification, et dont les référés et les avis étaient transmis aux présidents du concile. Parmi les cinq membres de cette commission, trois étaient dominicains, dont le maître du sacré palais, Barthélémy Spina, le plus actif de tous.

Le décret sur la justification, qui avait demandé un si long temps pour son élaboration, fut finalement dressé dans une forme où, évitant la terminologie de l’école, les Pères se tenaient autant que possible sur le terrain commun de la tradition catholique générale. Ils n’avaient pu cependant, sur les points les plus délicats, se priver du secours de saint Thomas. C’est ainsi que le texte du décret sur le mode de la préparation de la justification, sess. vi, c. vi, est emprunté dans ses moindres détails à un article de la Somme théologique, IIP, q. lxxxv, a. 5. Le décret énumère six actes préparatoires à la justification. Ils sont les mêmes quant à leur nature, leur nombre et leur ordre cjue chez saint Thomas. Pareillement, dans le chapitre suivant du même décret, les Pères, assignant les causes de la justification, reproduisent la doctrine de saint Thomas dans sa Somme théologique, Ia-IIæ, q. cxii, a. 1 ; IL II*, q. xxiv, a. 3.

L’autorité de saint Thomas, d’ailleurs, devait demeurer prépondérante dans la suite du concile. Quelques-uns des écrits de Catharin, par contre, n’échappèrent à la condamnation du concile, en 1563, que par les bons offices d’Alphonse Salmeron, S. J., à qui Catharin avait imposé le bonnet de docteur, en 1549, ainsi qu’à deux autres de ses confrères. Une ancienne tradition rapporte que la Somme théologique de saint Thomas avait été placée auprès de la Bible dans la salle du concile. Quoi qu’il en soit du fait, cette tradition était le symbole de la place occupée effectivement par la doctrine de saint Thomas dans les discussions et les décisions des théologiens et des Pères de Trente. Un des évêques présents au concile au temps de Pie IV,

Jérôme Vielmi, O. 1’., écrivait et publiait, au moment où s’achevait le concile, un éloge de saint Thomas, où il traduit ainsi l’attitude générale des Pères à Trente : Ccrle in hac Tridenlina œcumenica sgnodo, quam, cum hæc scribimus, frcquenlissimam celebramus, nemo Palrum esse videtur, cui religio non sil, cum de fldci dogmatibus agitur, a Thomse sententia vel lalum unguem recedere, aut ab Ma provocare. De D. Thomas Aquinatis doctrina et scriplis, Vienne, 1763, p. 79 (la 1e édition est de Venise, 1564). Le concile venait de s’achever quand Pie V proclama saint Thomas d’Aquin docteur de l’Église. Il avril 1567), et dans les considérants, il fait valoir que saint Thomas, par sa doctrine, a réduit les hérésies dans le cours des temps, et que cela a paru clairement, depuis peu, par les sacrés décrets du concile de Trente : et liquida nuper in sacris concilii Tridenlini decrelis apparuit. Bull. ord. præd., t. v, p. 155. Enfin, quand, le 3 novembre 1593, Clément VIII déclara aux religieux de la Compagnie de Jésus, réunis pour la tenue de la Ve congrégation générale, que son désir était qu’en matière de doctrines ils suivissent saint Thomas, qui est un docteur insigne, il ajouta que « le concile de Trente avait approuvé et adopté ses œuvres. » A. Astrain, S. J., Historia de la Compahia de Jesûs en la asistencia de Espana, Madrid, t. ni (1909), p. 580.

Avant de se séparer, le concile avait entrepris la préparation d’un catéchisme officiel où fût expesée la doctrine de l’Église pour l’usage du clergé. La composition de cet ouvrage fut confiée, par le concile même, à trois religieux dominicains des plus estimés des Pères : Léonard de Marinis, archevêque de Lanciano, Gilles Foscarari, évêque de Modène, et François Foreiro, théologien du roi de Portugal. Le travail toutefois était encore à l’état d’ébauche quand le concile se sépara. Les trois théologiens continuèrent l’œuvre, qui fut publiée par ordre de Pie V, sous le titre de Calechismus ex decreio concilii Tridenlini ad parochos PU quinti pont. max. jussu edilus, Rome, 1566. Ce catéchisme est plus connu sous le nom de Catéchisme romain, et jouit dans l’Église d’une autorité doctrinale particulière, à raison de son origine et des recommandations qu’en ont faites les souverains pontifes. A. Reginaldus, De calechismi romani auctorilale, Toulouse, 1648 ; Naples, 1765.

A. Theiner, Acta uenuina concilii Tridenlini, Agram, [1874] ; Concilium Tridentinum, édit. Societas Goerresiana, Fribourg-en-Brisgau, 1901 sq. ; J. Schweizer, Ambrosius Catharinus Politus, Munster, 1910 ; J. Hefner, Die Entstehungsgeschichte des Trienter Rechtfertigimgsdekreles, Paderborn, 1909 ; A. Reginaldi, De mente S. concilii Tridenlini circa gratiam seipsa efjicacem, Anvers, 1706.

VI. LE THOMISTE ET LE JAXSÉN18ME. L’AugU stinus, ouvrage posthume de Cornélius Jansénius, évêque d’Ypres, publié à Louvain en 1640, rouvrit les polémiques sur les matières de la prédestination et de la grâce. Jansénius avait consacré le labeur de sa vie à cette exposition monumentale des doctrines de saint Augustin. Sa pensée était de mettre en opposition cet enseigncment, si autorisé dans l’Église, avec la nouvelle théologie, spécialement celle de Molina et de Suarez. Le parallèle qu’il dressa à la fin de ses trois vol. in-fol., en trente et quelques pages, de la doctrine semipélagienne des Marseillais et de quelques théologiens récents, ne laisse pas de doute sur la visée pratique de son entreprise. Malheureusement pour lui, Jansénius se mit à l’école de saint Augustin, en passant à pieds joints sur la théologie classique du moyen agi compris celle de saint Tiiomas d’Aquin, et il commit cette erreur de croire que la tradition théologique peut être tenue comme non avenue. En présence des imprécisions doctrinales de saint Augustin, il était périlleux de perdre de vue les précisions et la systé-