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FOI

de « volonté » et d’« intelligence » que comme des expressions commodes pour désigner deux actes d’espèce différente, qui ont souvent entre eux des rapports de cause à effet.

Nous chercherons l’idée première et générique correspondant au mot « foi » :
1° dans l’Écriture ;
2° chez les Pères ;
3° dans les documents ecclésiastiques.

I. L’ÉCRITURE.

Nous n’étudierons que le Nouveau Testament, où la révélation est toujours plus claire et plus complète, ce qui est particulièrement vrai de la foi, dont le nom y revient souvent. Non pas que le mot πίστις y ait toujours le sens que nous avons dit, c’est-à-dire une simple croyance, un assentiment intellectuel dû partiellement, sans doute, à l’influence des affections et de la volonté, mais faisant abstraction de sentiments ultérieurs, s’arrêtant à l’intelligence et s’y achevant. Il n’est guère de mot dans l’Écriture, qui ne change parfois de sens. Mais ce que nous prétendons, c’est que le sens ci-dessus est le sens principal, ou du moins un des sens dominants, du mot πίστις ; dans le Nouveau Testament. En face de cette interprétation catholique, les protestants ont pris tour à tour deux positions qu’on ne doit ni juger ni réfuter de la même manière, l’une plus radicale, l’autre plus modérée. De là une division qui nous semble utile pour mettre de l’ordre dans un sujet très complexe et de la clarté dans le débat.

Opposition radicale.

Elle prétend que jamais dans l’Écriture, ou du moins dans saint Paul dont les protestants se réclament tout particulièrement, le mot « foi » n’a le sens catholique d’une croyance. Ainsi M. Jean Monod : « Pour un grand nombre d’hommes, dit-il, la foi consiste à admettre comme vraies certaines propositions religieuses ; on a confondu avec la foi, qui est un fait moral et un certain état de l’âme, l’un de ses éléments, savoir la croyance, à laquelle l’apôtre Paul ne donne jamais le nom de foi. » Dans l’Encyclopédie des sciences religieuses de F. Lichtenberger, Paris, 1878, t. v, p. 4.

C’était la position de plusieurs des réformateurs du xvie siècle ; et pour la soutenir plus brillamment dans ce bel âge de l’humanisme, d’aucuns comme Mélanchthon prétendirent que dans la littérature classique πίστις ou fides ne signifie jamais une croyance. Nos apologistes durent leur rappeler que Cicéron a dit : Insanorum visis fides non est habenda, De divinatione, l. II, c. lix ; que Virgile a dit : Credo equidem, nec vana fides, genus esse deorum. Enéide, l. IV, vs. 12. Quant au grec, Aristote rapproche la foi πίστις de l’opinion ὑπόληψις, qui est un acte intellectuel, une faible croyance. Topiques, l. IV, c. v, Paris, Didot, 1848, t. i, p. 214. Et le dictionnaire protestant de Hastings reconnaît que πιστεύειν τοῖς θεοῖς signifie ordinairement, non pas se confier dans la bonté des dieux ou les aimer, mais « admettre leur existence » , par opposition à l’athéisme, en un mot une simple croyance. Warfleld, art. Faith, dans Dictionary of the Bible, Edimbourg, 1900, t. i, p. 828.

C’en est assez, pour la question, d’ailleurs très secondaire ici, des classiques païens. Montrons que dans la sainte Écriture, et même quand il s’agit du vrai Dieu, le mot en question s’emploie au moins quelquefois pour uni pour une conviction intellectuelle. sans aller plus loin. Nous joindrons les mots « foi » et

« croire » , parce que tout le monde admet que ce substantif et ce verbe se correspondent exactement, ce

qui apparaît plus sensiblement dans le grec, πίστις et plusieurs textes leur synonymie se fait voir par l’emploi successif de ces deux mots pour Matth., ix, 28 ; I Joa., v, 4. Le verbe croire pourrait donc, à la rigueur suppléer totalement le substantif. Ainsi en est-il dans le IVe Évangile ; bien qu’il aborde très souvent la question de le foi, on n’en trouve jamais le nom, mais le verbe « croire » le remplace. Même remarque a été faite pour le substantif

« espérance » dans les quatre Évangiles. Voir

Espérance, t. v, col. 606. Dans l’hébreu, il y a un verbe pour signifier, à l’un de ses modes, l’idée de croyance ; mais le substantif grammaticalement correspondant n’a qu’une fois ce sens, Hab., ii, 4, c’est le texte plusieurs fois cité par saint Paul. Voir son interprétation dans Prat, Théologie de S. Paul, IIe partie, 2e édit., Paris, 1912, p. 341.

1. Exemples du substantif employé dans notre sens.

Saint Paul en fournit d’assez clairs par leur contexte, depuis ses premières jusqu’à ses dernières Épîtres. Affirmant aux Thessaloniciens que leur « foi en Dieu » est connue de tous, voici comment il explique et prouve cette assertion : « Car tous racontent quel accès nous avons eu auprès de vous et comment vous vous êtes convertis des idoles au Dieu vivant et vrai. » I Thess., i, 8, 9. « Foi en Dieu » signifie donc ici passer du polythéisme à la croyance au vrai Dieu, après avoir bien accueilli la prédication du missionnaire. Ailleurs, il leur parle de la foi salutaire comme d’une adhésion à la vérité : « Dieu vous a choisis pour vous sauver par la sanctification de l’Esprit et par la foi en la vérité. » II Thess., ii, 13 ; cf. 12. Mais la vérité n’est-elle pas le but et l’objet de l’intelligence, de la croyance ? Si donc ici la « foi » a pour objet ou but la vérité, c’est un acte de simple croyance, sans faire entrer sous ce nom de

« foi » la confiance du pardon ou d’autres sentiments

religieux, si bons soient-ils d’ailleurs. Nous ne nions pas que de tels sentiments doivent être ajoutés ultérieurement par le chrétien, mais nous nions qu’ils soient ici précisément désignés sous le nom de « foi » . La « vérité » est un objet sur lequel ne peut pas se porter la confiance.

Parlant aux Corinthiens, l’apôtre caractérise la vie future par une présence spéciale du Seigneur pour nous, II Cor., v, 8, présence dont il nomme le principe εἶδος, ibid., 7 ; tandis que notre existence ici-bas est caractérisée par un éloignement, une absence du Seigneur, ibid., 6, et la raison de cet éloignement est que nous sommes sous le régime de la foi, πίστις, et non de l’εἶδος. Ibid., 7. Εἶδος (de εἶδον, j’ai vu) ne peut signifier ici que la vue du Seigneur, une parfaite connaissance qui nous le rendra présent : donc le terme opposé πίστις doit être une connaissance imparfaite, qui laisse son objet comme lointain, mais enfin une connaissance, une croyance. C’est évidemment la même antithèse qui avait été déjà présentée aux Corinthiens, sur la connaissance de Dieu en cette vie et la connaissance future : Videmus nunc per speculum in ænigmate : lune autan facie ad faciem. I Cor., xiii, 12. Dans cet autre texte, c’est bien encore la foi, πίστις, qui est la connaissance imparfaite, destinée à disparaître. Quand sera venu ce qui est parfait, alors finira ce qui n’est qu’en partie… Maintenant je connais en partie, alors je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant demeurent ces trois choses, la foi, l’espérance, la charité. » I Cor., XIII, 10-13. Ainsi la « foi » correspond a cette connaissance » imparfaite : elle demeure maintenant, mais elle finira, tandis que des trois vertus la charité, qui est la plus grande, ibid., 13. ne cessera jamais. Ibid., 8.

L’Épître aux Romains parle beaucoup de la « foi » comme principe de justification et de salut, iii, iv, x. Il voici comment ici acte sauveur y est expliqué : Si tu confesses de bouche Jésus comme Seigneur, et si tu croîs de cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » Rom., x, 9. Ainsi l’objet de cet acte salutaire de « croire » , c’est un fait surnaturel que l’on tient pour vrai, la résurrection du Christ : l’acte de croire est donc cette foi-croyance, cette foi dogmatique que nous défendons. Voir Prat, op. cit., p. 339,