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grâce, en quoi il l’emporte sur les systèmes précédents. D’autre part, il sauvegarde le surnaturel, en les faisant produire par la vertu infuse. Mais, dira-t-on, la vertu infuse peut-elle s’exercer sur un objet purement éclairé par la lumière naturelle de la raison ? On ne voit pas d’impossibilité à ce que l’habitus fidei, ordonné qu’il est à son motif spécifique, atteigne non seulement les propositions éclairées par ce motif et garanties par lui, mais encore ce motif même, bien qu’éclairé et garanti d’une manière différente. On ne voit pas non plus d’impossibilité à ce qu’un acte qui est surnaturel du côté de sa cause efficiente (la vertu infuse) atteigne un objet éclairé par la raison naturelle, tel que la divine autorité ; même en dehors de Lugo et de ceux qui dépendent de lui, beaucoup de théologiens l’admettent, et tout récemment le cardinal Billot ; l’école scotiste l’admet ; une partie de l’école thomiste elle-même ne fait-elle pas produire ainsi par lhabiliis fidei, avant l’acte de foi, un jugement dont l’objet est accessible à la raison et présenté alors par la raison, le jugement de crédibilité pratique : « Je puis, je dois croire sur la parole de Dieu ? » Voir col. 241, 268-270.

b) Mais ce qui a été critiqué le plus généralement, c’est, tout en voulant faire connaître l’objet formel à la lumière objective de la raison, de prétendre que la connaissance en est immédiate, ex apprehensione terminorum. Quant à la véracité divine, un des éléments de cet objet formel, notons d’abord avec Wilmers qu’il ne suffit pas de la connaître conditionnellement, parce que nous ne pourrions alors en tirer une affirmation absolue du mystère : « Notre assentiment au mystère, par exemple à l’incarnation, est absolu et non conditionnel ; nous ne disons pas : Je croirais l’incarnation, si Dieu est véridique, mais : Je crois l’incarnation, parce que Dieu est véridique et qu’il l’a révélée. Il s’ensuit que notre affirmation du motif ou objet formel, elle aussi, doit être absolue selon tous ses éléments. » De fide divina, prop. 77. p. 373. Il s’ensuit pareillement que, pour avoir la foi, il faut connaître l’existence de Dieu d’une manière absolue. C’est la cité réelle d’un Dieu réel qui influe sur nous, ce n’est pas la véracité possible d’un Dieu hypothétique. Dans tout témoignage donnant la certitude, il faut au témoin non pas une véracité possible, mais une véracité réelle et connue comme telle. La véracité qu’il faut ici contient donc implicitement l’existence réelle de Dieu. « On nous dit : Si Dieu existe, il a une souveraine véracité. Mais l’existence d’un Dieu véridique. si elle est seulement affirmée sous condition, ne peut mouvoir à un assentiment absolu et réel, tant qu’on ne sait pas que la condition est remplie et vérifiée, c’est-à-dire tant qu’on ne sait pas que Dieu, souverainement véridique, existe. » Wilmers, loc. cit. Sans doute, un peut tourner les deux prémisses de diverses manières : on pourra poser la majeure sous forme conditionnelle, comme le veut Lugo ; mais on n’y gagnera rien, car tout ce qui restera en suspens dans la majeure devra du moins être fixé et connu sous forme absolue dans la mineure, puisque, d’une manière ou d’une autre, l’existence et la véracité de Dieu doivent être connues et affirmées inconditionnellement avant la conclusion. Or, l’existence de Dieu ne peut être connue que médiatement. Voir Ontologisme. Qu’il mette l’existence absolue de Dieu dans la majeure ou dans la mineure, qu’il l’affirme explicitement ou implicitement, Lugo ne peut en faire une connaissance immédiate sans tomber dans il faut un autre raisonnement pour arriver à sa véracité absolue et souveraine. Lugo lui même l’indique un des passages cités : Dieu, l’être premier, a toutes les perfections (c’est la thèse de l’infinie perfection de Dieu, qui demande déjà, elle aussi, une preuve). Or la véracité est une perfection ; il doit donc l’avoir. Il faut prouver encore que Dieu dit toujours vrai, sans aucune exception ; car si, pour des fins supérieures, il pouvait parfois déroger à sa loi de véracité, nous pourrions toujours, dans chaque cas particulier, en face de son affirmation, craindre une exception à sa véracité et c’en serait fait de la fermeté de la foi. Il faut donc prouver que la véracité dans tous les cas, et sans aucune exception, est une perfection pure, qui doit être en Dieu. Cette question dépend de celle du mensonge, qui est le contraire de la véracité. Or, est-il immédiatement évident, sans aucun raisonnement, et pour tout homme, que le mensonge ne soit jamais permis, qu’il n’y ait pas des exceptions à la véracité en général, et à celle de Dieu en particulier ?

Passons au fait de la révélation, l’autre élément de l’objet formel. Lugo veut englober dans la révélation les motifs de crédibilité eux-mêmes. Ils jouent un double rôle d’après lui : d’abord, ils sont une condition avant la foi, puisque leur connaissance produit le jugement de crédibilité qui incline la volonté à commander l’assentiment de foi ; ensuite, ils font partie intégrante de la révélation, qui elle-même fait partie de l’objet formel. Disp. I. n. 130, p. 74. Même en accordant à Lugo que le miracle, pris dans le cadre de circonstances où il se rattache à une révélation pour la confirmer, soit une sorte de témoignage de Dieu (ce que plusieurs ne veulent pas lui concéder, peut-être à tort), il est intolérable qu’on fasse entrer dans le témoignage de Dieu, dans la parole de Dieu, non seulement les miracles, mais encore les intermédiaires qui nous les font connaître, par exemple, les livres non inspirés qui nous les racontent, les raisonnements qui établissent l’authenticité ou l’historicité de ces livres, etc. Même en lui accordant que la voix de l’Église infaillible fasse partie de la révélation divine, de la parole de Dieu (ce que la grande majorité des théologiens nie avec raison, car l’infaillibilité n’est pas l’inspiration, les documents des conciles ne sont pas au même rang que la sainte Écriture, l’Église ne prophétise pas, et son autorité doctrinale n’entre pas dans le motif spécifique de la foi, voir col. 166), il est intolérable que l’on fasse entrer dans la révélation divine non seulement la parole de l’Église infaillible, mais celle du curé, ou des parents et des maîtres, qui n’a aucune infaillibilité. Comme dit Arriaga, ce n’est ni l’ancienne révélation, car une instruction du curé sur l’Apocalypse n’est pas l’ancienne révélation faite à saint Jean, ni une nouvelle révélation fondant la foi chrétienne, car on ne doit pas en admettre. Voir col. 146. Enfin, on n’a pas tout prouvé quand on a dit que les miracles font objectivement partie de la révélation. Pour que le miracle fasse fonction de motif de crédibilité, il faut encore que subjectivement nous le connaissions comme miracle, et fait dans le but de confirmer la révélation et son contenu particulier. Tout cela demande de nombreux raisonnements soit pour établir le fait matériel, soif pour lui assigner sa véritable cause par l’élimination des causes secondes, d’où l’on conclut à l’intervention extraordinaire de la cause première, soit pour prouver la connexion entre le miracle et la confirmation de la religion révélée. Plus complexe encore devient le raisonnement, quand il ne s’agit pas seulement de cette religion en général, mais de tel dogme, l’incarnation par exemple, comme faisant partie de son contenu. Quel rapport ce vaste ensemble de raisonnements, nécessaire pour éclairer la révélation d’une lumière objective suffisante, peut-il avoir avec le terme de comparaison que choisit Lugo avec la voix de Pierre immédiatement reconnue ? Le son de la voix de Pierre n’est pas seulement un élément de la parole de Pierre, il a, en outre l’avantage d’atteindre directement mon oreille, et de me