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tellement renfermées en elle, tellement fusionnées avec elle, qu’il n’en résulte plus qu’une seule proposition immédiatement connue, d’une connaissance qui tient de la vision. » Nous ferons mieux comprendre ce point fondamental de son système en exposant tout de suite les articles de dialectique auxquels il a recours afin de transformer ces deux prémisses, majeure et mineure, en deux propositions immédiatement connues par elles-mêmes, et en quelque sorte vues.

a) La majeure : Ce que Dieu révèle est vrai. —
On peut, d’après Lugo, donner à cette proposition une forme conditionnelle. « Car la vérité du mystère, dit-il, peut sortir de ces deux prémisses : Si Dieu révèle, il dit vrai : or il a révélé l’incarnation. Impossible que ces deux propositions soient vraies, sans que l’incarnation le soit aussi. Nous pouvons donc partir d’une proposition conditionnelle : Si Dieu parle, il dit vrai ; ou bien : Si Dieu existe, il est souverainement véridique. Cette proposition conditionnelle ne semble avoir besoin d’aucun moyen terme, d’aucune preuve, elle se vérifie immédiatement ex apprehensione terminorum. Si l’on pénètre ces deux termes : Dieu, c’est-à-dire l’être premier et souverainement parfait, comble de toutes les perfections ; la véracité souveraine, grande perfection de la nature intellectuelle, aussitôt et en vertu des termes, on voit que, si Dieu existe, il doit être souverainement véridique. Pour affirmer cela, nous n’avons besoin d’aucun autre motif ou moyen de preuve. » hoc. cit., disp. I, n. 100. Le but que Lugo poursuit, on le devine aisément, c’est de pouvoir arrêter l’analyse à la véracité divine, sans être obligé d’en sortir pour aller chercher un motif ultérieur.

b) La mineure : Dieu a révélé l’incarnation. —
Pour montrer que cette proposition est immédiatement connue (véritable paradoxe), Lugo rappelle que l’Écriture et les Pères assimilent la foi divine à la foi humaine, et il examine l’acte par lequel, avant de croire à la parole humaine, nous identifions et reconnaissons un témoin, ou nous authentiquons un témoignage. « On ne peut nier que ce ne soit le plus souvent un assentiment immédiat. » Loc. cit., n. 117, 118, p. 68. « Quand j’entends Pierre, je ne raisonne pas…, mais je compare immédiatement la voix que j’entends avec mon idée de la voix de Pierre, et je dis : Celle-ci est la voix de Pierre comme celle-là. De même dans la question présente. » Loc. cit., n. 123, p. 71. Il s’agit d’arriver à cet énonce : L’incarnation, qui est proposée par l’Église à ma foi, est vraiment révélée, vraiment parole de Dieu. « Entre cette proposition de l’Église, dit-il, confirmée par tant de miracles, attestée par les martyrs, acceptée par les hommes savants et vertueux, etc., et la part le de Dieu, c’est-à-dire entre les deux termes de l’énoncé, il apparaît… une telle connexion que l’intelligence peut donner immédiatement un assentiment, et peut même, avec le secours de la volonté, dire sans aucune crainte : Ceci est la parole de Dieu, ou : Ceci est proposé de la part de Dieu. Ainsi l’intelligence ne raisonne pas ; elle n’a pas cet acte discursif : Ceci est la révélation de Dieu, parce que l’Église avec sa grande autorité humaine le propose, parce que les miracles le confirment, etc. Mais elle considère d’une part toute cette proposition de l’Église, le témoignage des martyrs, les miracles, etc., comme l’un des termes, d’autre part, la parole de Dieu, et elle compare entre eux, sans aucun discursus, ces deux termes, entre lesquels elle trouve une telle connexion que, par leur seule appréhension et comparaison sans aucun raisonnement, elle peut produire un assentiment immédiat… Vous me direz : Quoique Dieu me parle d’une certaine façon par la bouche de l’Église, par les miracles, etc., moi cependant n’entends pas immédiatement l’Église (son magistère suprême), je ne vois pas les miracles, les martyrs, etc. ; mais j’apprends tout cela de mes parents, ou je le lis dans les livres… Je ne peux donc pas juger immédiatement que Dieu me parle par une révélation médiate, mais tout au plus je le croirai (de foi humaine) parce que je l’apprends de mes parents, ou que je le trouve dans les livres, etc. — Je réponds : De même que les miracles, les martyrs, etc., ont été en quelque manière la voix de Dieu…, de même les parents, les maîtres, les livres, qui m’atteignent immédiatement, sont en quelque sorte l’organe de Dieu, par lequel il a daigné me parler en quelque façon et médiatement. Quand donc la doctrine de la foi m’est suffisamment proposée par les livres, les prédicateurs, etc., c’est comme si Dieu traitait avec moi et me parlait. » Loc. cit., n. 124, 125, p. 71, 72. Ainsi tout se réduit à ce jugement très simple : La voix que j’entends, me proposant l’incarnation comme révélée, est la voix de Dieu.

Reste un point du système, relativement secondaire pour ce qui est de l’analyse de la foi. Lugo, voulant sauver la liberté de la foi d’après sa manière ne la concevoir, voir col. 412, suppose que la mineure, bien que connue immédiatement, ne l’est pas évidemment. Ces deux qualités de la connaissance sont séparables. Ainsi « quand j’entends, dit-il, la voix de Pierre dans le lointain, ou que je vois seulement son écriture, il peut arriver que je doute si c’est bien sa voix ou son écriture ; je vois cependant alors une telle ressemblance avec la voix ou l’écriture de Pierre que, bien que n’ayant pas la clarté et l’évidence, je puis juger très probablement (ou avec une certitude morale) que c’est sa voix ou son écriture. De même pour Dieu… D’ordinaire, il n’est pas entendu distinctement, mais confusément, surtout quand il parle par des envoyés ou des ministres : et pourtant, bien qu’obscurément et sans évidence, nous pouvons croire immédiatement que c’est sa voix, ou son envoyé, ou son écriture. » Loc. cit., n. 118, p. 68, 69. L’assentiment immédiat, aide par la volonté, peut alors être certain, bien qu’il ne soit pas évident, n. 121, p. 69, 70. A cause de cette influence de la volonté, on peut l’appeler credere, dans un sens large, n. 129, p. 73.

Le système dans son ensemble a été suivi par quelques théologiens, comme le jésuite Haunold : Cardinalis de Lugo, in explicanda resolulione fidei, supra cseteros eminu.it, Theologia speculativa, 1. II, 73e fide, c. i, contr. V, n. 112, Ingolstadt, 1670, p. 339, et de nos jours le cardinal Franzelin : Mihi doclrina card. de Lugo omnino vera videtur. Loc. cit., p. 649. Kleutgen l’a aussi très bien expose. Le scotiste Mastrius l’admet. Voir col. 473. Plusieurs théologiens anciens de la Compagnie de Jésus s’y rattachent en partie, avec un mélange d’autres éléments. Nous l’avons vu pour Arriaga, col. 476. Du système de Lugo, Pérez, Pallavicini, Esparza ont pris le « point principal » , d’après Haunold qui les connaît bien. Loc. cit. Franzelin a raison de citer encore Hurtado, et même Ripalda qui, tout en attaquant Lugo sur certains points, le loue d’avoir éclairé cette question très obscure, De ente supernaturali, etc., Paris, 1873, t. vii, De fide, disp. III, n. 45, p. 56, et soutient lui-même cette opinion toute semblable : « La révélation meut immédiatement à l’assentiment de foi, si on la prend non pas seulement, par abstraction, dans ses éléments intrinsèques, mais encore (d’une manière concrète) dans ses éléments extrinsèques qui nous sont connus, c’est-à-dire en tant que confirmée par les miracles, l’autorité de l’Église et les autres notes qui la rendent croyable. » Loc. cit., n. 54, p. 59.

Critique du système.

a) Ne séparant pas de leurs preuves, au moment de l’acte de foi, les deux jugements sur l’autorité divine et le fait de la révélation, Lugo les fait produire d’une manière raisonnable, sans recourir à aucun tour de force de la volonté ou de la