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FOI


sister l’acte de foi ? Beaucoup de théologiens le nient d’une manière absolue, surtout l'école thomiste, expliquant par là l’obscurité de la foi, et alléguant les formules générales de saint Thomas : Fides non potest esse de visis. Sum. theol., II 1 ' II æ, q. i, a. 4. Non est possibile quod idem ab eodem sit visum et credilum… Unde eliam impossibile est quod ab eodem idem sit scilum et credilum. Ibid., a. 5. Les scotistes, pour la plupart, tiennent la même doctrine avec Scot. D’autres, connue la grande majorité des théologiens de la Compagnie de Jésus, affirment non seulement qu’un même objet matériel peut être en même temps connu par le témoignage divin et par démonstration concomitante, parce que ces deux moyens de connaître s’additionnent, loin de se nuire, mais encore qu’avec cette démonstration d’un objet on peut néanmoins en avoir la foi proprement dite.

Critique du système. — a) Quelle que soit sa valeur, il n’est pas à lui seul suffisant à expliquer l’obscurité de la foi. Pour la sauvegarder, vous voulez exclure toute vision (ou science) concomitante : fort bien, cela peut contribuer à l’obscurité de l’objet ; mais si d’autre part la foi elle-même, dans le cas où le témoignage divin est bien prouvé et surtout dans le cas de Vevidenlia attestantis, devenait par là une vision ou une science, qu’auriez-vous gagné? Reste donc à expliquer comment elle ne le devient pas, même dans ce cas ; et c’est ce que faisait très bien le système précédent. Aussi saint Thomas y a-t-il recours, comme nous l’avons vii, ainsi qu’une bonne partie de l'école thomiste. — b) Inversement, le système précédent ne semble pas non plus se suffire à lui-même, et doit emprunter au moins quelque chose à celui-ci. Pour satisfaire, en effet, aux documents scripturaires et patristiques, c’est l’objet matériel qui doit être obscur. Voir col. 438. Et comme ces documents ne doivent pas être pris dans un sens impropre, il faut mettre dans cet objet une obscurité proprement dite, une obscurité qui exclue simplement et absolument la vision. Or cet objet n’aurait pas une telle obscurité, s’il était mis en pleine lumière par une évidence intrinsèque concomitante. Une petite lampe fumeuse, image de la connaissance obscure par simple témoignage, éclairait seule une chambre : en la laissant allumée, on ouvre les volets, et la chambre est inondée de lumière ; image de l'évidence intrinsèque concomitante. Peut-on dire encore que la chambre est obscure ? On dira peut-être : « Elle l’est, si on ne la considère qu’en tant qu'éclairée par la lampe, si l’on fait abstraction de la lumière qui lui vient du soleil. » Mais c’est là une abstraction subtile qui ne rend pas la chambre véritablement obscure, d’une obscurité proprement dite, de manière à exclure absolument toute vision. De même, si nous voyions le donné révélé, qui constitue l’objet matériel de notre foi, s'éclairer de toutes parts, recevoir à flots la lumière de l'évidence intrinsèque, nous ne pourrions pas dire sans une vaine subtilité que nous en avons cette foi dont parlent l'Écriture et les Pères, qui est par définition la conviction des choses qui n’apparaissent pas, que l’on ne voit point. Comme le dit Esparza, ncqueunt proprie et simpliciler dici non apparentia, quæ per visionem aut scienliam apparent, licet non appareant per ipsam fldem. Cursus theologicus, Lyon, 1685, t. i, q. xxv, p. 628. Et comme le remarquent les Salmanticenses, l’apôtre n’a pas dit : Fides est argumentum non faciens apparere objectum, mais argumentum non apparentium : négation posée sans aucune restriction, et qui par suite exclut absolument toute vision, de quelque côté qu’elle vienne. Cursus theologicus, De fldc, disp. III, n. 34, Paris, 1899, t. xi, p. 206. Absolue, illimitée est la négation de la vision (non pas pourtant de la connaissance, voir col. 438).

En fait, cette exclusion absolue de toute vision ou

science concomitante se vérifie sans aucun doute pour l’objet matériel principal de la foi. Cet objet, ce sont les mystères. Voir col. 379-382. Or les mystères sont des objets ainsi appelés parce qu’en cette vie ils ne peuvent être ni vus, ni démontrés intrinsèquement par la science. Denzinger, n. 1816. Quand on les croit, ils excluent donc absolument toute vision et toute science simultanée. Et comme, d’autre part, le procédé de la foi ne fait pas voir les objets, ni ne les démontre intrinsèquement, rien n’empêche le mystère de rester obscur et voilé, malgré la révélation et la connaissance de foi, comme l’affirme le concile du Vatican, c. iv, n. 1796. Voir col. 358. L’objet matériel principal de la foi, lui au moins, réalise donc cette négation absolue de la vision, non apparentium, où f3).gKO|iiviv. De ce côté, au moins, on doit dire avec saint Thomas : Fides est de non visis, de non scilis. On peut reprocher à la plupart des théologiens, dans la grande controverse que nous venons d’aborder, d’avoir, dans l’ardeur de la lutte, arboré de part et d’autre des formules trop générales et trop intransigeantes. Les défenseurs de la simultanéité de la foi et de la science auraient dû signaler cette distinction capitale entre l’objet principal et l’objet secondaire de la foi, et concéder tout d’abord l’impossibilité de cette simultanéité pour ce qui est de l’objet principal, d’autant plus qu’ils ne devaient avoir aucune peine à faire cette concession. Quelques-uns l’ont faite expressément. Voir Haunold, Theologia speculaliva, 1. III, n. 296, Ingolstadt, 1670, p. 389. Et de nos jours, Pesch, Prælectiones, 3e édit., 1910, n. 397 sq., p. 182 sq. Au lieu d’accentuer la divergence des esprits, on aurait eu ainsi un terrain d’entente au moins partielle. De leur côté, les adversaires de la simultanéité, s’ils étaient partis de la même distinction, auraient eu moins de peine à faire quelques concessions qui paraissent s’imposer à propos de l’objet secondaire, et dont nous parlerons tout à l’heure, après quelques explications nécessaires sur l’objet principal.

Explications complémentaires sur l’obscurité de l’objet matériel principal, et ses conséquences. — Si nous considérons a parle rei, comme dit l'école, ces « profondeurs de Dieu » , I Cor., ii, 10, qui sont l’objet mystérieux et principal de la foi, cet objet n’a pas en soi d’obscurité essentielle. La Trinité est indifférente à être connue obscurément, ce qui est le cas pour nous ici-bas, ou clairement, ce qui est le cas pour Dieu lui-même et pour les saints au ciel : elle est donc séparable de toute obscurité. Si nous ne la voyons pas, c’est une imperfection qui vient de nous et non pas de la chose, selon saint Thomas : Fides in sui ratione habet imperfeclionem quæ est ex parle subjecti, ut scilicel credens non videal id quod crédit. Sum. theol., I" IL. q. lxvii, a. 3. Il faut nous défier de la tendance que nous avons à projeter au dehors, à attribuer aux choses mêmes l’obscurité de notre connaissance : à peu près comme quand nous disons que le soleil subit une éclipse, tandis que c’est notre terre seule qui la subit, et qui est privée de la lumière du soleil. Ulloa, Theologia scholastica, Augsbourg, 1719, t. iii, disp. III, n. 156, p. 142. Mais si par « objet matériel » nous entendons non pas la chose divine, res divina, comme dit saint Thomas, IIP", q. vii, a. 3, mais V énoncé, lequel est véritablement aussi objet de foi, voir col. 129-132, alors l’objet de foi — qui, en ce sens, est mêlé de subjectif tt ne se confond pas absolument avec la chose, quoiqu’il la représente avec une suffisante vérité — est essentiellement, irrémédiablement obscur et mystérieux. « Si l’on prend l’objet de la foi en tant qu'énoncé, enunliabile, dit très justement le cardinal Billot, c’est-à-dire en tant que proposition composée d’un sujet, d’un verbe et d’un attribut, alors il est comme une espèce d’intermédiaire entre l’intelligence et la