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et à la science. » Prselectiones, 3e édit., n. 415, p. 191. La science au sens propre, telle que les scolastiques l’opposent à la foi, a généralement un objet formel d’une évidence parfaite, et qui ne donne pas prise aux doutes imprudents : tandis que l’objet formel de la foi, avec les motifs de crédibilité qui nous l’appliquent, a généralement une évidence morale et imparfaite, voir col. 207-211, et même moins quand il s’agit de la certitude relative des simples. Voir col. 219 sq. Or, dans les choses morales, ce qui arrive généralement, per se, reguiariter, sert à caractériser, à spécifier, en dépit des exceptions, de ce qui est per accidens. Voir col. 416. — c) Mais on ne peut, avec les défenseurs de ce système, chercher exclusivement dans l’inévidence de l’objet formel l’explication de l’obscurité de la foi. La raison en est que les documents scripturaires et patristiques, que tous les théologiens allèguent pour prouver l’obscurité de la foi, parlent de l’inévidence de l’objet matériel : ce sont toujours « les choses que l’on ne voit pas, qui n’apparaissent pas, les choses invisibles, » fïdes est credere quod non vides, etc. Voir col. 435 sq. L’invisibilité de l’objet matériel est, d’après saint Augustin, une condition commune à ces deux vertus, l’espérance et la foi. Voir Espérance, col. 607. Spes, dit saint Paul en prenant ce mot pour l’objet espéré, spes quæ videtur, non est spes : nam quod videl quis, quid sperat ? Rom., viii, 24. L’espérance suppose son objet matériel absent, et la foi aussi d’après saint Augustin. Voir col. 113. Concluons qu’un système qui veut expliquer l’obscurité de la foi uniquement par l’inévidence de l’objet formel n’est pas d’accord avec les documents de la révélation ; et que ce genre d’explication ne peu' être que secondaire.

3. Système qui explique l’obscurité de la foi par l’inévidence que laisse toujours dans l’objet matériel la preuve par témoignage, même irrésistible. — C’est par l’inévidence de l’objet matériel qu’il faut, principalement du moins, expliquer l’obscurité. Mais l’objet matériel de la foi, en réalité, est double. Il y a l'énoncé, et il y a la chose que nous atteignons par l'énoncé. Voir col. 129-132. Or le système très important dont nous allons nous occuper soutient que le procédé logique essentiel à la foi, c’est-à-dire la preuve par témoignage, en supposant même Yevidenlia alteslantis, peut bien nous amener à un énoncé dont nous ne puissions douter, mais laisse, par sa nature même, la chose concrète dans une certaine obscurité, ce que ne fait pas le procédé de la science. La science, en effet, quand elle atteint une réalité concrète à travers un énoncé qu’elle démontre, la fait voir en quelque sorte, ou entrevoir : soit que la démonstration se fasse alors par tes causes propres et particulières dans lesquelles cette chose concrète est virtuellement contenue, où on la voit comme en germe ; soit qu’elle se fasse par les effets propres et particuliers de cette chose, effets qui en sont comme la reproduction ou la prolongation, et dans lesquels on peut la voir comme continuée ou reproduite. Exemple dans l’ordre physique : la science prévoit tel phénomène de combustion dans ses causes toutes préparées ; c’est voir déjà tout ce qui vase passer. Que la combustion soit près de se produire, on peut le découvrir aussi par les effets, par la fumée qu’on commence à apercevoir ; dans cet effet, dans ce signe naturel d’un feu qui commence, on voit aussi, en quelque sorte, ce feu qui en est la cause propre. Exemple dans l’ordre moral : je puis conclure ma responsabilité de sa cause propre, de mon action libre : dans cette liberté dont j’ai conscience, je vois la responsabilité qui en découle et qui se mesure à cette liberté. Je puis conclure la même responsabilité et comme la voir dans ses effets, dans ce remords qui m’agite, dans le sentiment que j’ai d’avoir mérité une peine. « Les effets… tiennent à la cause, dit Ollé-Laprune, sans

quoi ils ne seraient point effets… Venant d’elle, ils ont en eux d’une certaine manière quelque chose d’elle, et ainsi ils l’expriment et la manifestent… Demeurâtelle d’ailleurs enveloppée d beaucoup de nuages, il serait encore vrai qu’elle est connue dans une lumière qui part d’elle… N’y eût-il pour la révéler qu’un pâle reflet, qu’une pure ombre, ce serait encore la connaître (la voir) que d’en affirmer par là l’existence : car le reflet et l’ombre n’existent que par l’objet dont ils reproduisent la forme » — voir l’ombre est en quelque sorte voir la forme humaine qu’elle reproduit. De la certitude morale, 2e édit., Paris, 1892, p. 83, 84. Ainsi la démonstration scientifique d’un énoncé qui roule sur une chose concrète, soit a priori par les causes, soit a posteriori par les effets, peut se ramener à une vision de cette chose, comme le dit saint Thomas : « Il faut reconnaître que tout ce qui est su (objet de science) est en quelque façon vu. » Sum. theol., IL IL, q. i, a. 5. Au contraire, la preuve par témoignage, qui caractérise la foi humaine ou divine, pourra bien établir un énoncé, parfois même irrésistiblement, et par cet énoncé faire connaître la chose concrète, mais elle ne la fera pas voir. En vain chercherait-on à ramener la preuve par témoignage à une preuve par les causes ou par les effets, afin de la ramener ensuite à la vision. Le témoignage n’est évidemment pas cause de la chose qu’il atteste : la déposition d’un témoin sur un vol commis n’est pas cause de ce vol ; Dieu lui-même, en tant qu’il nous atteste des réalités qui sont hors de lui ou en lui, n’en est pas la cause. Le témoignage n’est pas non plus un véritable effet de la chose attestée. L’action libre par laquelle le témoin vient se présenter au tribunal, sa libre véracité surtout, élément capital de la preuve par témoignage, ne sont nullement déterminées, ni d’une manière quelconque amenées à l’existence par la chose sur laquelle roule le témoignage, mais proviennent de causes étrangères et toutes différentes. L’existence du témoignage, son espèce (qu’il soit affirmatif ou négatif), son autorité, tout cela n’est donc pas un signe naturel de la réalité concrète, un effet propre et caractéristique dans lequel on puisse la voir, comme on voit l’homme dans son ombre, le pied dans l’empreinte qu’il a laissée sur le sol. La réalité ne peut être ici connue que par les signes artificiels du langage, et en supposant que le témoin a bien voulu ne pas les employer contre sa pensée, et qu’il était bien informé. Dans ces signes artificiels, dans ce bon usage de la liberté du témoin, fût-il démontré à l'évidence, nous n’avons pas la continuation naturelle de la chose attestée, nous ne voyons pas quelque chose d’elle-même. « Voir la cause par ses etïets et dans ses effets, dit encore Ollé-Laprune, c’est la voir dans ce qui vient d’elle… Mais ne voir un objet que par les paroles et dans les paroles qui en affirment l’existence, ce n’est plus voir… ; car c’est saisir les choses par un intermédiaire qui n’a point avec elles un rapport fondé sur leur nature même. » Loc. cit., p. 85. Telle est, pour connaître une même réalité, la différence essentielle entre le procédé de la science et celui de la foi. Seule, cette explication justifie ces expressions opposées de connaissance « intrinsèque » et connaissance « extrinsèque » , reçues en philosophie et en théologie, consacrées même par le concile du Vatican. Voir col. 115, 116. La connaissance « intrinsèque » pénètre au dedans, inlra, parce qu’elle a une sorte de vision de la réalité concrète à travers les idées abstraites et les énoncés ; la connaissance « extrinsèque se tient au dehors, extra, parce qu’elle prouve quelque chose sur cette réalité sans la voir. La vision même que l’on a du témoin, si fréquente dans la foi, n’est pas la vision de la chose qu’il atteste. De là vient que les scolastiques ont souvent réservé le nom ù' « évidence » à la seule évidence intrinsèque, comme à l'évi-