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Louis de Torrès. Op. cil., disp. XXIX, dub. i, p. 370. Dans la discussion du dominicain anglais, émaillée de justes observations psychologiques, on trouve, entre autres, cet argument : « Nous ne sommes pas maîtres de prendre à volonté telle ou telle opinion. L’expérience le prouve : en face d’une proposition qui est pour nous neutre ou douteuse — par exemple : Le roi est assis en ce moment — nous ne pouvons, sans l’addition de quelque raison, assentir ou dissentir… Ajoutez l’autorité d’Aristote et de son commentateur (Averroès), quand ils distinguent l’imagination et l’opinion : nous pouvons imaginer à volonté, avec les images sensibles enregistrées dans notre mémoire ; mais nous ne pouvons opiner à volonté, l’opinion n’a pour objet que ce qui nous apparaît comme vrai. » Et la vérité objective, même apparente, ne dépend pas arbitrairement de notre volonté, ce qui serait du subjectivisme. Pour le texte d’Aristote, voir Croyance, t. iii, col. 2372. Son principe, que la volonté n’a pas un pouvoir despotique sur l’opinion, a été récemment développé par le P. de Poulpiquet, O. P., L’objet intégral de l’apologétique, Paris, 1912, part. II, c. i, p. 292 sq. Mais voyons ce qu’en conclut Holcot : « Si l’on ne peut par la seule volonté causer en soi l’acte d’opinion, dit-il, on ne peut y causer l’acte de foi, et je le prouve. Qui ne peut exécuter le plus facile ne peut exécuter le plus difficile : or il est plus difficile de mettre en soi l’assentiment ferme et sans aucun doute qu’est la foi que l’assentiment chancelant qu’est l’opinion. » Loc. cit.

Vers la fin du xve siècle, le même argument, tiré de l’opinion, fut repris par Pic de la Mirandole contre de nouveaux partisans du despotisme de la volonté ; et lui aussi, comme Holcot, a été trop sévèrement jugé. A lire Denzinger, n. 736, 737 (619), on s’imagine facilement qu’Innocent VIII dans une bulle (exactement, c’est un bref) a condamné distinctement et en particulier la double proposition citée, et même que c’est le pontife qui a donné la note erronea et hseresim sapiens. La vérité est que cette note n’avait été donnée à la proposition que par les consulteurs ; que le pape dans son document ne fait pas siennes ces notes données par les consulteurs à certaines propositions déterminées ; qu’il ne cite même aucune proposition en particulier, mais se contente de condamner en général l’opuscule qui contient le simple énoncé des 900 thèses de la soutenance, et d’en interdire la lecture. Bref Etsi ex injunclo, du 5 août 1487, n. 4, dans le Bullarium romanum de Cocquelines, Rome, 1743, t. iii, p. 211. Abstraction faite du préambule malencontreux : Dico probabililer, etc. (Denzinger, loc. cit.) qui a pu faire regarder Pic comme voulant attaquer ici le sentiment commun des théologiens, tandis qu^il ne vise que la manière de parler, sa thèse dit assez qu’il n’attaque que le système outrancier du despotisme de la volonté : « De même, dit-il, que personne n’a l’opinion qu’une chose est telle, précisément parce qu’il veut avoir cette opinion, ainsi personne ne croit qu’une chose est vraie, précisément parce qu’il veut croire qu’elle est vraie. Corollaire : il n’est pas au libre pouvoir de l’homme de croire qu’un article de foi est vrai quand il lui plaît, et de croire qu’il est faux quand il lui plaît. » Denzinger, loc. cil. Avoir le pouvoir de prendre une même chose comme vraie ou comme fausse d’après son bon plaisir, avoir le droit ou l’obligation de croire un article de foi précisément par un coup de volonté, c’est-à-dire sans jugement de crédibilité, sans motif intellectuel, tout cela, bien loin d’être la commune et saine doctrine, lui est opposé. Voir col. 172-174, 189-191. Dans l’apologie où Pic fournit l’explication et les preuves des thèses incriminées, on voit encore mieux par ses preuves le sens de sa thèse. Par exemple, en cet en droit : « Si l’on demande à quelqu’un : Pourquoi croyez-vous à la religion chrétienne plutôt qu’à la religion de Mahomet ? — il n’assignera pas précisément sa volonté pour motif, comme chacun peut en faire l’expérience ; et tous nos théologiens énumèrent pour la foi chrétienne divers motifs de crédibilité… Ce n’est donc pas précisément (uniquement) l’acte de la volonté, merus actus voluntatis, qui l’incline à croire. Voici deux hommes qui croient des choses opposées : s’ils n’y sont déterminés que par leur volonté, indifférente ad hoc omnino judicio vel suasione rulionis, on ne peut dire que l’un soit plus raisonnable que l’autre dans sa foi… Comme dit Albert (le Grand) au IIIe livre De anima, quand la volonté agit ainsi précisément parce qu’elle veut agir ainsi, elle ressemble à un tyran dans les actes duquel on ne cherche point de raison… Or tout le monde a coutume de dire de deux personnes qui croient des choses opposées, par exemple, d’un chrétien et d’un mahométan, que l’un agit raisonnablement et l’autre non. C’est donc que la seule volonté ne détermine pas l’acte de foi ; autrement aucun des deux ne serait raisonnable, il n’y aurait plus dans les deux qu’un commandement tyrannique de la volonté. Apologia quæsliomim, q. viii, De liberlate credendi, dans Opéra, Venise, 1519, feuille i, 2 (sans pagination). Voilà qui est clair et orthodoxe. Aussi peut-il citer ensuite en sa faveur, non seulement Holcot et Pierre d’Ailly, etc., mais presque tous les docteurs qu’il a fréquentés à l’université de Paris, fere iota universitas I’arisiensis. Un thomiste célèbre, Pierre d’Aragon, dit de cette thèse de Pic : Hanc conclusionem acute probal Picus Mirandulanus, loc. cil., et est sine dubio vera. In II™ 11*, Venise, 1625, De fide, q. i, a. 4, p. 17. Le savant Théophile Raynaud cite avec éloge Holcot et Pic de la Mirandole comme ayant attaqué le faux système du despotisme de la volonté. Moralis disciplina, dist. II, n. 200, 201, dans Opéra, Lyon, 1065, t. iii, p. 281.

Au xvie siècle, la question reparaît avec Cajétan. Scot avait dit : « Si la volonté était la cause (unique) de l’acte de croire, et que l’on proposât à l’intelligence cet énoncé : Les astres sont en nombre pair

— sans rien pour le persuader, la volonté pourrait ordonner à l’intelligence de croire que les astres sont en nombre pair : ce qui est absurde. » In IV Sent., 1. III, dist. XXV, q. n laieralis, n. 2, dans Opéra, Paris, 1894, t. xv, p. 211. Cajétan lui répond : « Il n’y a aucun inconvénient à admettre qu’on puisse par sa seule volonté croire que les astres sont en nombre pair… Comme un médecin par sa seule haine détermine l’art de la médecine à tuer un malade, ainsi par le seul amour d’un bien quelconque on se détermine à croire une chose sans aucune raison. » In / am //", q. lxv, a. 4, n. 2, dans l’édition léonine de S. Thomas, t. vi, p. 426. Théophile Raynaud retourne ainsi la comparaison de Cajétan contre lui : « Comme un médecin ne peut déterminer l’art de la médecine à guérir ou à tuer un malade sans employer des drogues appropriées, ainsi la volonté ne peut appliquer l’intelligence à donner un assentiment à un objet, sans qu’une raison convenable apparaisse à l’esprit. » Loc. fil. Au reste, sans parler des scotistes, qui défendirent leur docteur, et de beaucoup d’autres, Banez lui-même réfuta Cajétan par la thèse suivante : « Pour croire, ou pour donner quelque assentiment que ce soit, il faut nécessairement du côté de l’intelligence une persuasion soit vraiment raisonnable, soit au moins apparente… L’objet de l’intelligence est le vrai, comme celui de la volonté est le bien : de même que la volonté ne peut tendre qu’à un bien, réel ou apparent, de même l’intelligence ne peut donner son assentiment qu’au vrai, apparent ou réel. Or de ce que la volonté veut déterminer l’intelligence à adhérer à