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même chose qui arrive ? Une qualité humaine et finie ne peut-elle pas croître ? Ne peut-on la concevoir plus grande ? Vous ne gagnez donc rien, en vous retranchant dans la « qualité » de l’expérience religieuse de Jésus : vous ne prouvez pas que cette qualité ne puisse être dépassée. Le distinguo de Sabatier n’est donc pas une réponse sérieuse à l’objection de Strauss, qui reste insoluble pour les protestants libéraux. S’ils continuent à ne pas tenir compte de cette objection, s’ils « feignent de ne pas l’entendre, » comme dit Sabatier lui-même, p. 180, c’est qu’alors, démentant leur antidogmatisme, ils partent, eux aussi, d’une idée préconçue et même d’un dogme absolu, pour rejeter tout ce qui contredit ce dogme, et le rejeter même sans aucune solution directe et satisfaisante d’une difficulté pour eux insoluble.

Mais une autre classe d’idées préconçues chez les protestants, soit orthodoxes, soit libéraux, ce sont leurs préjugés contre le catholicisme. Un anglican, le révérend Headlam, cite lui-même comme exemple d’idées préconçues un article de l’Encyclopédie britannique sur l’histoire de l'Église, où il est écrit : « Personne n’attendra d’un catholique romain une histoire de l'Église vraiment scientifique. » Il ajoute avec une louable impartialité : « Si un catholique romain avait écrit : Personne n’attendra d’un protestant une histoire scientifique — il serait traité de fanatique, d’encroûté dans ses préjugés ; et pourtant les deux assertions seraient exactement d'égale valeur. » M. Headlam montre ensuite qu’en histoire ecclésiastique bien des protestants se sont égarés grâce à des idées préconçues : « Combien de protestants ont attaqué l’authenticité des lettres de saint Ignace d’Antioche par préjugé contre l'épiscopat 1 Les résultats définitifs de la critique leur ont donné tort. L’opposition aux revendications papales a fait mettre en doute le fait de la venue de saint Pierre à Rome : doute mal fondé, comme on le reconnaît aujourd’hui. Bunsen était un champion très militant du protestantisme ; pourtant ses opinions sur Hippolyte étaient certainement moins scientifiques que celles de son adversaire catholique. Les conclusions de centaines de critiques qui aimaient à se réclamer de la science ont été prouvées fausses, et souvent absurdes, tandis que Dupin, Tillemont, Hefele et Duchesne sont au premier rang des historiens scientifiques. Il n’est pas nécessaire d’accepter les vues de ces écrivains en tout point… Ce que l’on soutient, c’est qu’ils ont autant de droit qu’aucun auteur d’histoire de l'Église à être appelés des historiens scientifiques… Le seul vrai sens de ce mot est celui d’une méthode scientifique. Ce n’est pas par les conclusions du livre, en les jugeant a priori comme scientifiques ou non, que l’on doit déterminer si l’historien mérite ce titre… Dans Harnack, un semblable préjugé (protestant) exerce souvent son influence, plus ou moins latente… » Conférence faite à l’université de Cambridge et reproduite dans VEnglish historical review, Londres, 1899, p. 27 sq.

2. Les modernistes.

M. Loisy distinguait deux

exégèses. L’une, théologique, pastorale, ecclésiastique, devait recevoir les directions de la foi et de l'Église ; l’autre, scientifique et historique, pour être digne de ce nom, devait éviter toute idée préconçue, et par suite ne devait pas être dirigée par les vérités de la foi ni par l'Église ; c'était celle qu’il pratiquait. Autour d’un petit livre, 1903, p. 49 sq. ; cf. l’avant-propos. Ses travaux sur l'Écriture, disait-il, n'étaient influencés par aucune théorie philosophique. « Le grief que vous faites aux modernistes d’asservir l’histoire et la critique à un système de philosophie préconçue, écrivait-il à Mgr Dadolle, a déjà été allégué contre Renan, et il n'était qu'à demi fondé, si même il l'était à demi. Contre les modernistes, il pourrait

bien être radicalement faux… Les opinions philosophiques que j’ai émises dans mes petits livres n’ont pas influencé ma critique. » Quelques lettres, 1908, p. 198-200. Et toutefois, quinze jours auparavant, il avait écrit à un curé : « Ce n’est pas l’origine de tel dogme particulier qui est en cause maintenant (dans le mouvement moderniste), c’est la philosophie générale de la connaissance religieuse. » Op. cit., p. 157. Voilà un aveu à retenir ; et il est difficile de supposer que cette philosophie, en cause dans le modernisme, n’ait pas influencé la critique de M. Loisy, surtout dans ses derniers ouvrages d’exégèse, ni qu’il ait pu établir une cloison étanche entre ses opinions philosophiques et sa besogne d’historien et de critique des textes : ce serait un miracle aussi grand que ceux qu’il rejette.

3. Les rationalistes incroyants.

Le révérend Headlam, cité plus haut, observe que Renan part d’une idée préconçue, quand il part de ce principe, affirmé sans aucune preuve du reste, que l’essence même de la critique est la négation du surnaturel. Renan n’a donc pas le droit d’ajouter que le seul légitime usage du mot « rationaliste » , c’est de désigner celui qui étudie la littérature juive ou chrétienne sans aucun préjugé. Il croit en être là, et ce n’est pas exact. Loc. cil. Le comble du préjugé, c’est bien de faire ce qu’il fait : non seulement de partir, dans sa critique, d’un prétendu principe tout à fait arbitraire, mais encore de vouloir l’imposer comme la condition même de toute critique et de toute science. « La condition même de la science, dit Renan, est de croire que tout est explicable naturellement… Tout calcul est une impertinence, s’il y a une force changeante qui peut modifier à son gré les lois de l’univers… Les sciences historiques ne diffèrent en rien, par la méthode, des sciences physiques et mathématiques : elles supposent qu’aucun agent surnaturel ne vient troubler la marche de l’humanité ; que cette marche est la résultante immédiate de la liberté qui est dans l’homme et de la fatalité qui est dans la nature ; qu’il n’y a pas d'être libre supérieur à l’homme, auquel on puisse attribuer une part appréciable dans la conduite morale non plus que dans la conduite matérielle de l’univers. De là cette règle inflexible, base de toute critique, qu’un événement donné pour miraculeux est nécessairement légendaire. » Questions contemporaines, 2e édit., Paris, 1868, La chaire d’hébreu, p. 223, 224. On trouvera chez les incroyants d’autres exemples d’idées préconçues. L’un partira d’un système philosophique très contestable ; l’autre n’aura que de l’enthousiasme pour une époque de l’histoire (la Réforme, la Révolution, etc.), que de l’horreur pour une institution (l'Église, la société du moyen âge, etc.) ; ces sentiments outrés dicteront beaucoup des jugements de sa critique. Croit-on que le rationalisme suffise à enlever toute passion ? Si l’amour du Christ et de l'Église a pu occasionner quelques exagérations sur le terrain de la critique et de l’histoire, ne voit-on pas combien plus en a causé la haine de l'Église et du Christ ? Nous avons trop d’exemples quotidiens de cette haine fanatique et des esprits qu’elle a déformés, pour concéder que l’incroyance soit exempte de préjugés et qu’elle mette mieux que la foi sur le chemin du vrai. Nous voyons trop de campagnes entreprises ostensiblement au nom de la vérité pure et du progrès des sciences, mais en réalité dans un but sectaire, pour craindre la fameuse objection contre le catholique, toujours apologiste et ne cherchant pas la vérité pour elle-même. « Les savants catholiques, disait Mgr d’Hulst, en viennent à des timidités étranges que ne connaissent pas les incroyants. Est-ce qu’ils ont peur, ceux-là, de former des ligues dont la science fournit l’objet et dont l’impiété fournit l’inspiration ? Est-ce