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FOI


Les protestants, en combattant la foi implicite des catholiques a à tout ce que l'Église enseigne, » u’oublient pas d’y mêler un peu confusément des attaques contre le rôle de l'Église et notre règle de foi. Nous y avons déjà répondu, col. 152 sq., 160 sq. Le procédé de polémique qui consiste à embrouiller les questions ne favorise pas la recherche de la vérité. La question spéciale de la « foi implicite » , roulant sur la connaissance ou l’ignorance des principales vérités révélées, n’est pas liée par elle-même au concept de l'Église : on pourrait aussi bien avoir la « foi implicite » , en ignorant le donné révélé et en disant : « Je crois tout ce que la Bible enseigne. » Voilà pourquoi nous traitons à part la question de la foi implicite, et celle de la règle de foi.

Un protestant libéral, le D r Georges Hoffmann, privatdocent et pasteur à Breslau, a fait une collection de textes, depuis les anciens Pères jusqu'à nos jours, se rapportant plus ou moins à la foi implicite et, on pourrait dire aussi, à l’histoire de l’enseignement catéchistique dans l'Église, à la question du minimum de connaissance religieuse exigé des plus ignorants aux diverses époques de l’histoire de l'Église, et chez les protestants. Die Lehre von der Fides implicita, 3 vol., Leipzig, 1903-1909. Quelques-uns de ces documents font voir qu'à certaines périodes du moyen âge, l’ignorance religieuse était grande parmi les laïques, et que la difficulté de la combattre était pour plusieurs un prétexte à interpréter trop largement le précepte de la foi implicite. Si l'Église a toléré cet abus par impossibilité d’y porter un prompt remède, elle ne l’a pa^ consacré. Elle ne le consacre nullement au concile œcuménique de Latran sous Innocent III, quoi qu’en pense M. Hoffmann, t. i, p. 63 sq. Après avoir condamné comme une hérésie la doctrine de l’abbé Joachim sur la Trinité : Si quis igitur sententiam vel docirinam preefali Joachim in hac parle defenderc vel approbare præsumpserii, lanquam hierelicus ab omnibus confuletur, le concile n’applique pas la qualification d' « hérétique » à la personne même de l’abbé, et ne veut pas qu’on porte préjudice au monastère très régulier qu’il a fondé, surtout parce qu’il s’est soumis au jugement de l'Église : maxime, cum ipse Joachim omnia scripla sua nobis assignari mandaveril, aposlolicæ sedis judicio approbanda seu eliam corrigenda, diclans epislolam, quam propria manu subscripsit, in qua firmiler confitetur, se illam fldem tencre, quam romana tenet Ecclesia, etc. Denzinger, n. 433 (358). Oui, lors même que quelqu’un s’est trompé dans l’explication subtile d’un mystère de la foi, sa soumission au jugement de l'Église l’empêche d'être qualifié personnellement d' « hérétique » et traité comme coupable du péché d’hérésie, parce qu’il est de bonne foi et que la controverse n’a pas été tranchée encore, parce qu’on n’est pas hérétique, au point de vue canonique, sans cette obstination, contumacia, qui est une disposition d'âme absolument opposée à celle du pauvre abbé Joachim. Mais voilà encore une question qu’il ne faudrait pas embrouiller avec celle du minimum exigé des simples. De ce principe que la soumission d’un savant, sur un point difficile, à la décision de l'Église lui évite en cas d’erreur la qualification d’hérétique, il ne s’ensuit pas qu’une soumission semblable, sans aucune foi explicite, suffise à un ignorant pour accomplir le précepte de la foi. A qui pose le principe, on ne peut donc imputer cette absurde conséquence. Quant à la « décision du pape Innocent IV, » citée par M. Hoffmann, t. i, p. 73 sq., ce n’est qu’un passage d’un livre fait avant son élévation au pontificat, travail de canoniste qui ne fait pas loi. La dignité papale, plus tard reçue, n’a pu conférer, je ne dis pas seulement l’infaillibilité, mais une valeur officielle quelconque à cette élucubralion antérieure ; peu importe donc qu’il y ait fait des conces sions trop grandes à l’ignorance du peuple et du bas clergé, concessions que le malheur des temps faisait accepter à certains canonistes comme pratiquement inévitables, mais que l’autorité doctrinale de l'Église n’a jamais sanctionnées. M. Hoffmann aurait tort surtout de chercher dans ces abus un point d’appui pour l’antidogmatisme et la « foi sans croyances » du protestantisme libéral.

d) La foi du charbonnier. - — Cette locution, encore en usage de nos jours pour exprimer en général « la foi des simples » ou parfois plus spécialement « la foi implicite » , a eu primitivement un sens un peu différent. Elle dérive d’un récit que l’on rencontre presque en même temps sous la plume de Luther en 1533, Avertissement aux gens de Francfort, et sous celle d’un théologien catholique, Albert Pighius, dans un ouvrage imprimé pour la première fois en 1538, où il dit l’avoir entendu dans son enfance. Nous citerons ce second récit comme plus détaillé, et se rapportant, d’après Hoffmann lui-même, à une tradition plus ancienne. « Un savant professeur de théologie rencontra un charbonnier ; curieux de s’amuser de sa simplicité et d’en faire un sujet d’expérience, il l’interrogea sur ce qu’il croyait comme articles de foi. Notre homme commença par lui réciter les principaux articles sur Dieu, que souvent il avait entendus à l'église, et confiés à sa mémoire. » Remarquons donc en passant que la foi du charbonnier n'était pas purement implicite. « Comme le théologien continuait à l’interroger sur ce qu’il croyait en outre, il se contenta de répondre qu’il croyait ce que croyait l'Église, ne pouvant rien préciser d’ailleurs quand on poussait la question : Mais que croit l'Église sur telle ou telle matière ? Il éludait ces interrogations par une sorte de cercle : L'Église croit ce que je crois ; je crois ce que croit l'Église. » Qui ne voit là une simple fin de non-recevoir, une façon de se débarrasser de questions que l’on considère comme importunes et peut-être comme dangereuses et déplacées, une manière de faire sentir au savant qu’il n’avait pas le droit de les poser, ni d’abuser de sa science pour troubler une âme simple ? Mais reprenons le récit de Pighius : « Il arriva ensuite que ce théologien, malade et en danger de mort, fut gravement tenté contre la foi par les suggestions insidieuses de Satan ; et il ne put s’en tirer que par le souvenir de la foi simple et assurée du charbonnier. Dans cette tempête, il dut s’y réfugier comme en un port ; on l’entendait crier : Comme le charbonnier I Surprise des assistants : on le crut en délire. Il guérit, et on lui demanda quelle idée il avait eue de crier ainsi. Il leur dit son histoire…, remerciant la divine miséricorde de cette rencontre avec un pauvre homme dont l’exemple l’avait tiré d’un grand péril… Ces suggestions du démon triompheraient de la faiblesse humaine, si l’on acceptait de les écouter, si, les yeux et les oreilles fermés, on ne se cachait pas dans la foi de l'Église, comme en un asile très sûr. » Hierarchix ecclesiaslicse asserlio, Cologne, 1551, 1. I, c. v, fol. 26, 27. En somme, par ce récit, historique ou légendaire, on a voulu montrer la conduite à tenir quand notre foi est troublée par un plus habile que nous, homme ou démon : la consigne est de ne pas discuter alors avec lui, ce qui serait un danger pour un homme troublé, obsédé, surtout dans l'épuisement de la maladie. Voir col. 327. Il s’agit donc d’un cas très spécial ; et le refus de discuter et de répondre dans ces conditions n’implique pas le moins du monde la recherche habituelle de l’ignorance, ni la suffisance de la foi implicite, dont ce charbonnier même ne se contentait pas. Et si cette ritournelle bizarre : « Je crois ce que croit l'Église, et l'Église croit ce que je crois » n'était pas un acte de foi, c'était au moins un bon moyen d'échapper au trouble et à la tentation. Aussi Luther aurait-il pu