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nous aura frappés dans l'étal d'âme où nous ('lions par hasard ; tantôt les restes encore subsistants d’une influence extérieure, d’une autorité qui aura jadis trôné dans notre esprit ; tantôt une âpre discussion, qui par esprit de contradiction nous aura enracinés davantage dans le parti que nous avons soutenu sans en être pleinement convaincus d’abord ; tantôt une tournure de caractère qui a influencé nos jugements, des événements qui nous ont affectés. « Depuis que nous avons commencé à observer, à penser et à raisonner, dit Newman, jusqu'à la décadence finale de nos facultés, nous acquérons sans cesse de nouvelles informations par le moyen de nos sens, et plus encore par autrui et par les livres. Amis et étrangers que nous rencontrons, conversations et discussions auxquelles nous prenons part, journaux, livres du jour, récréations et voyages, autant d’apports de matériaux intellectuels dans les dépôts de notre mémoire. Ces renseignements, spontanément acceptés, distinguent l’homme civilisé du sauvage, constituent le mobilier de l’esprit, … son éducation ; sans cela, il ne se formerait pas, il n’aurait pas de stimulant à son activité ni à son progrès… C’est par ces assentiments, donnés vite et sans marchander à ce qui s’offre à nous avec tant d’abondance, c’est par là que nous entrons en possession de principes, de doctrines, d’appréciations, de faits qui sont notre trésor de connaissances utiles et libérales. Par là nous sommes au courant de la littérature, de l’histoire, des arts, des affaires puhliques. Nous puisons là pour une bonne part nos idées morales, politiques et sociales, notre art de la vie… Même les meilleurs esprits, et les plus sérieux, sont forcés d'être un peu superficiels dans la plus grande partie de leurs acquisitions. » Grammar of assent, 1895, c. iv, § 1, n. 2, Credence, p. 53-55. Il y a donc dans notre trésor, collectionné au hasard des circonstances, un singulier mélange d'éléments plus ou moins solides, un résidu de toutes les phases de notre vie, de toute espèce d’influences, bonnes ou mauvaises, utiles ou nuisibles à la conquête de la vérité. Ce qui est certain, c’est que l’origine particulière de chacune de ces acquisitions nous est actuellement invérifiable. On ne peut d’ailleurs faire table rase de l’ensemble, suivant la méthode d’Hermès. Voir col. 282. Que faire ? En pratique, personne ne se donne la peine d'établir un inventaire, de dresser le catalogue de ce qui est légitimement certain et de ce qui est suspect, ou même, d’aborder cet immense travail de revision ; séparer le bon grain de la paille est ici pratiquement impossible. On se résigne donc à une vague promiscuité qui fatalement déprécie la valeur de chacune de ces certitudes, excepté celles peu nombreuses qui sont d'évidence immédiate, ou qui dérivent d’un court raisonnement très obvie, et dont les prémisses sont immédiatement évidentes.

De tout cela il résulte que, tout bien compté, la voie de la révélation divine proposée par l'Église est dans l’ordre des choses morales et religieuses une voie plus sûre vers la vérité. C’est la conclusion de saint Thomas : Investigationi rationis humante plcrumque (alsilas admiscelur… Inter multa eliam vera qu.se demonstrantur, immiscetur uliquando aliquid falsum quod non demonstratur sed aliquu probabili vel sophistica ratione asseritur, quæ inlerdum demonslralio reputatur. Et ideo oporluit per viam fidei, fixa certitudine, ipsam veritalem de rebus divinis hominibus exhiberi. Contra génies, 1. I, c. iv. Nous avons donc le droit et le devoir de la préférer, en cas de conflit, à la voie ordinaire et naturelle par laquelle l’homme acquiert l’ensemble de I ses idées. Notre « résolution de préférence » est donc | justifiée.

3. Cette résolution doit-elle descendre dans le détail, ' et dans quelle mesure'.' — Tant qu’elle reste dans sa | Connugénérale et abstraite, cette résolution de pré férence a une certaine universalité, qui par son vague même échappe à toute difficulté. La difliculté ne commence que lorsqu’on veut préciser et descendre dans le détail des choses qu’on doit sacrifier d’avance à la révélation divine. Faut-il prendre cette résolution précise et explicite, de nier jusqu’aux vérités premières de la raison, ou les autres dont l'évidence est parfaite, comme ma propre existence, ou 2 et 2 font 4, plutôt que de nier une vérité de la foi ? Sur ce point nous trouvons parmi les théologiens deux opinions diamétralement opposées, entre lesquelles il sera possible de tenir une position moyenne. L'étude de cette question est d’ailleurs utile pour mettre au point ce que nous avons dit tout à l’heure, et y apporter les restrictions convenables.

i re opinion. — - Elle affirme l’obligation pour tout fidèle d'être résolu à nier l'évidence même, par exemple, les premiers principes de la raison, plutôt que les vérités de la foi. Guillaume d’Auvergne semble être de cet avis : « Vous ne trouverez pas de fidèle, dit-il, qui ne soit prêt plutôt à sacrifier le principe de contradiction {qui prius non concedercl affirmalionem et negationem de eodem dici posse) qu'à nier la vérité d’un article de foi. » De fide, c. i, dans Opéra, Paris, 1674, t. i, p. G. Viva explique en ces termes la disposition nécessaire du fidèle à l'égard des vérités de foi : paratum potius dubilarc de veritate primorum principiorum, quam de verilate myslerii revelali. Cursus theologicus, Padoue, 1755, part. IV, De fide, disp. III, q. iv, n. 6, p. 102.

Critique. — Les fidèles, pour être sérieusement prêts à persévérer dans la foi comme c’est leur devoir, doivent assurément être prêts à rejeter tout ce qui sentit contraire aux vérités de la foi. Mais, en plus de cette disposition générale et implicite, on vient ici exiger d’eux une résolution explicite et particulière de rejeter jusqu’aux premiers principes de la raison plutôt que les vérités de la foi. L’obligation de prendre cette résolution particulière est inadmissible pour les raisons suivantes. — a) Un théologien n’a pas le droit d’appesantir le fardeau de l’obligation, sans apporter des raisons solides. Or les auteurs cités se dispensent d’apporter des raisons. Us ne peuvent pas dire que cette disposition particulière, qu’ils exigent, soit nécessaire à la persévérance dans la foi : les premiers principes de la raison ne constitueront jamais un obstacle à cette persévérance, étant impossible qu’ils contredisent jamais la révélation, comme le déclare le concile du Vatican : « Bien que la foi soit au-dessus de la raison, il ne saurait pourtant jamais y avoir de véritable désaccord entre la foi et la raison, attendu que le Dieu qui révèle les mystères et donne la grâce de la foi est le même qui a mis la raison dans l’homme, et qu’il est impossible que Dieu se contredise lui-même, ou que le vrai soit jamais contraire au vrai. » Sess. III, c. iv, Denzinger, n. 1797. Ici le mot « raison » doit signifier avant tout les premiers principes, les données les plus parfaitement évidentes de la raison. On dira peut-être que cette affirmation du concile est théoriquement vraie, mais qu’en pratique il peut y avoir entre la foi et la raison désaccord et conflit, apparent et imaginaire sans doute, mais néanmoins troublant et dangereux parce qu’il semble réel, et auquel il convient « le se préparer par une forte résolution : qu’on peut être influencé par des autorités considérables qui disent à tort : « La science a démontré, » etc., ou bien accepter une prétendue démonstration, sans en remarquer le défaut. Nous répondons que tous ces accidents sont, en effet, pratiquement possibles, mais non pas quand il s’agit des premiers principes et autres vérités semblables, que chacun vérifie par soi-même et qui sont garantis par leur évidence immédiate ou presque immédiate, en dehors de toute démonstration. — b) Non seulement le rejet des premiers principes ne sera