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mouvement de notre planète, finira, s’il suit la direction du bon sens, par préférer dans ce conflit l’autorité de ceux qui ont étudié à fond la question, à ses vues personnelles et directes, moyen de connaître qui, étant donnée son ignorance sur ce terrain-là, offre de sa nature moins de garanties ; et il pourra raisonnablement se tracer cette ligne de conduite générale, de s’en rapporter toujours au témoignage des savants sur ces matières scientifiques qu’il ne peut étudier sérieusement par lui-même ; quand même il ne voudrait pas s’en rapporter à eux sur un autre terrain, par exemple, sur celui de l’agriculture pratique où il croit que sa compétence, basée sur l’expérience, dépasse la leur. Autre exemple. On sait comment Le Verrier découvrit la planète Neptune. Partant de ce raisonnement, que les perturbations dans la marche d’Uranus ne pouvaient provenir que de l’attraction d’une autre planète plus lointaine et invisible à l'œil nu, il arriva, par les lois de la mécanique céleste et le calcul, à fixer la position que devrait avoir dans le ciel la planète perturbatrice à tel moment déterminé ; et à ce moment-là, un fort télescope la trouva de fait à l’endroit fixé d’avance. Supposons un autre astronome, qui, cherchant à déterminer de la même manière la position d’une autre planète hypothétique, n’ait pas la même réussite. Où ils devraient découvrir, les puissants télescopes d’aujourd’hui ne découvrent rien. Dans ce conflit de deux moyens différents de connaître, auquel devra-t-on croire ? Aux télescopes. Et pourquoi ? Parce que la vision directe par le télescope, bien qu’elle puisse avoir quelquefois ses accidents, ses hallucinations, est pourtant, par sa nature même et tout compte fait, un moyen plus sûr que de longs et difficiles calculs où une erreur est facile ; on peut du reste, en employant les instruments avec soin, en multipliant et en comparant les observations, écarter l’hypothèse d’un défaut dans le verre, ou d’une hallucination. Comme on le voit par ces exemples, c’est bien une seule et même raison qui travaille des deux côtés et, pour connaître, nous ne pouvons jamais sortir de notre raison individuelle ; mais cette raison emploie deux moyens de connaissance dont l’un est de sa nature plus sûr que l’autre sur un terrain donné ; et la raison elle-même approuve que, si ces deux moyens de connaître ne concordent pas dans leurs résultats, on puisse alors s’en rapporter au plus sûr des deux, rejetant par le fait même les données de l’autre. Il nous reste à montrer comment la voie de la révélation, même en tenant compte du déchet que nous avons concédé, demeure encore par sa nature, je ne dis pas seulement plus noble, mais plus sûre que les moyens de connaître qui peuvent entrer en conflit avec elle. Pour cela nous considérons successivement les deux ordres d’idées sur lesquels porte principalement la révélation chrétienne : les mystères et la conduite de la vie.

a) Les mystères. — Sur ce terrain, la raison laissée à elle-même, la philosophie ne voit clair ni pour ni contre : donc elle ne peut donner un résultat ferme qui contredise la révélation. Voir Mystère. Et dans le cas même où l’on croirait apercevoir dans le mystère révélé une contradiction, il n’en reste pas moins vrai que, pour juger les profondeurs des mystères divins, nos investigations rationnelles et philosophiques vont à l’aveugle, et que la révélation divine, par sa nature même, est un moyen bien plus sûr ; en cas de conflit entre ces deux moyens de connaître, il serait donc raisonnable de préférer la révélation.

b) Les matières qui regardent la conduite de la vie sont encore un objet principal de la révélation ; car notre foi a un but pratique en définitive, elle est destinée à être le fondement de toute la vie chrétienne, en soutenant toutes les vertus. Voir col. 84 sq. Or la vie morale est cliose complexe : il y a beaucoup de cas

particuliers et difficiles à résoudre ; et il ne faudrait pas croire que la « voix de la conscience » , sans aucun travail de notre part, rende immédiatement un « oracle » sur chacun de ces cas ; ce serait une figure de rhétorique, ou un beau rêve contraire à l’expérience. On connaît la sonore invocation de Jean-Jacques : « Conscience ! Conscience ! instinctdivin, immortelle et céleste voix, guide assuré d’un être ignorant et borné mais intelligent et libre, juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu ! » Sur ce passage de l’Emile, M. Jules Lemaître dit fort bien : « La conscience, guide assuré? La conscience, juge infaillible ? Infaillible toujours ? et jamais abusé par « l’entende « ment sans règle » ? Hélas, quel guide et quel juge étaitelle à Rousseau lorsque, ayant abandonné son troisième enfant, et cela, nous raconte-t-il, « après un « sérieux examen de conscience, » Confessions, 1. VIII, il écrivait : « Si je me trompai dans mes résultats, rien « n’est plus étonnant que la sécurité d'âme avec laquelle « je m’y livrai. » Et un peu plus loin : « Cet arrangement « (le dépôt aux Enfants-Trouvés) me parut si bon, si tsensé, si légitime ! » Oh I que Julie, régénérée et devenue dévote, avait raison d'écrire : « Je ne veux plus être « juge en ma proprecause ! » La conscience, non appuyée sur une règle fixe, une tradition, une religion dogmatique, ou simplement le Décalogue, risque tant, dans certains cas, de se confondre avec l’orgueil ou l’intéI rêt secret 1° J. Lemaître, J.-J. Rousseau, Paris, s. d., 3e édit., viiie conférence, p. 276, 277. Dans ces questions délicates de la vie pratique, les passions, qui ne veulent pas être enchaînées, ont une terrible influence pour corrompre jusqu’au jugement de la conscience et de la raison. Ajoutez que, par les discussions philosophiques, on ébranle de nos jours jusqu’aux premiers fondements de la moralité ; l’idée même du devoir est attaquée ; et lorsqu’on sent trop vivement la nécessité d’une morale pour le salut de la société, alors on en fabrique plusieurs également discutables. En face de ces déficits de la raison laissée à elle-même, la lumière de la révélation possède, pour éclairer sûrement la conscience et la soutenir, deux avantages considérables que nous allons expliquer.

i er avantage. — M. Jules Lemaître y faisait allusion tout à l’heure, en citant ce mot de la « Nouvelle Héloïse » : « Je ne veux plus être juge en ma propre cause. » Si c'était par notre seule raison individuelle et par de subtils raisonnements philosophiques qu’il nous fallût établir les princij es < ! e la vie pratique et la règle même des mœurs, et puis résoudre les cas de conscience qui nous concernent personnellement, alors sur ce terrain brûlant, étant « juges dans notre propre cause, » notre jugement serait trop facilement troublé par nos passions ou nos intérêts. Il n’en est pas de même, quand, ayant une fois reconnu spéculativement le fait de la révélation et le fait de l'Église, et habitués à les regarder avec vénération, nous recevons de ces sources plus hautes, étrangères à nos petits intérêts et à nos petites passions, ce qu’il faut penser sur quantité de points de morale et de cas de conscience, nettement enseignés et définis, avec condamnation des erreurs contraires. Il n’y a plus alors à tergiverser, à chercher des raisons pour nous justifier à nous-mêmes telle action qui nous plaît : la condamnation est trop nette. En même temps, une autorité suprême et reconnue infaillible vient donner un point d’appui à notre raison vacillante et à notre fragile volonté contre les appétits, les passions qui séduisent et les répugnances qui arrêtent. Maine de Biran a bien montré que tout homme a besoin d’appuyer sa conscience à quelque chose d’extérieur et de supérieur. Objectera-t-on que la raison à elle seule peut obtenir cet avantage, pouvant atteindre Dieu et la loi naturelle comme un principe supérieur auquel elle s’appuie ? Nous répondrons