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ter, et une vertu morale comme la tempérance, la chasteté, qui existerait (quoique moins parfaite) sans aucune révélation et en toute hypothèse, parce qu’elle tient davantage au fond de la nature humaine, il y a cette différence, que seuls les objets contraires à celle-ci sont déterminés nécessairement et par la nature même des choses : telle action, telle parole est nécessairement et naturellement opposée à la chasteté, telle autre lui est nécessairement conforme ; aussi comprend-on que l’homme chaste discerne dans le détail, rien que par un jeu nécessaire d’attraits et de répugnances vertueuses, que telle action est honnête, que telle autre, qui froisse la délicatesse de la vertu, ne l’est pas. La vertu de foi n’a pas une détermination pareille, elle n’est pas liée par la nature des choses à tel ou tel dogme en particulier ; c’est pour elle un fait contingent et accidentel, de croire dans l’ordre actuel tel nombre et telle collection de dogmes ; Dieu aurait pu n’en révéler qu’un seul, et donner, pour le croire, la même vertu infuse, qui n’a donc pas ex natura rei d’exigence pour tels ou tels dogmes en particulier, qui, par suite, ne peut discerner les énoncés croyabk s ou non croyables de loi divine de la même manière que la chasteté discerne les objets qui lui sont confond s et ceux qui lui sont contraires. Ce n’est donc pas la vertu intérieure de foi, mais l’enseignement reçu du dehors, qui pouvait donner aux barbares de saint Irénée le détail du credo et les avertir des hérésies contraires ; aussi insistc-t-il lui-même sur la tradition apostolique et sur le symbole transmis. Néanmoins la comparaison de saint Thomas vaut, nous semble-t-il, en ce sens que la vertu infuse de foi, prise dans son sens large et compréhensif, a une connexion nécessaire avec les dispositions morales requises par la nature même des choses pour l’acquisition ou la conservation du jugement de crédibilité en général, et une opposition nécessaire aux dispositions contraires qui lui sont un naturel obstacle. Quelles sont ces dispositions morales requises pour la crédibilité, par la nature même des choses ? Par exemple, l’humble docilité, la sobriété dans les investigations curieuses, l’amour de la simple vérité, la fidélité et vérité reconnue, la vénération pour la parole de Dieu, le soin de l’orthodoxie. Exemple de dispositions contraires : l’orgueil indocile, la curiosité exagérée de l’esprit, l’amour du brillant et du paradoxal, la passion des nouveautés et des changements, l’engouement pour les nouveaux docteurs et les systèmes à la mode, peu de délicatesse pour la pureté de la foi. La vérité infuse de foi tendra à écarter ces mauvaises dispositions et par suite les jugements qui en résultent, elle inclinera aux bonnes dispositions morales et par suite aux assentiments qui en procèdent.

Voilà dans quel sens il faut entendre la comparaison que fait saint Thomas entre foi et chasteté, et cet autre texte semblable : Sicut enim per alios habitus virtutum homo videt quod est sibi conveniens secundum habitum illum, ita etiam per habitum ftdei inclinatur mens hominis ad assentiendum his quse conveniunl rectæ fidei, et non aliis, IIa-IIæ, q. i, a. 4, ad 3um. M. Pierre Rousselot l’a bien remarqué : « Arrachée de son contexte, et prise en un sens absolu et universel, cette affirmation aboutit à la théorie du discerniculum expérimentale, soutenue par Antoine Pérez, et Pallavicini, et carrément contredite par l’expérience… Ce qui est vu sympathiquement dans la foi, ce n’est pas, per se loquendo, la détermination des différents dogmes. » Dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, t. i, p. 460. Et il ajoute qu’un don surnaturel de discerner absolument et universellement, dans le détail, les vérités révélées et celles qui ne le sont pas, appartiendrait à l’ordre des charismes ; un don si extraordinaire n’entre pas dans la vertu infuse de foi,

donnée à tous les fidèles, et n’a pas même été accordé à de grands docteurs de l’Église qui se sont trompés une fois ou l’autre sur la vérité révélée. — Disons-en autant d’un autre passage de saint Thomas, invoqué par Pérez dont nous examinerons tout a l’heure le système. In //a.ne [ jijzm partem I). Thomse traclalus VI, Lyon, 1669, p. 201. A cette objection, que les simples, si l’on exige d’eux la foi explicite de peu d’articles seulement, sont très exposés à se tromper sur les autres qu’ils ignorent, le saint docteur répond : Ille qui non crédit explicite omnes articulos, potest omnes errores vilare : quia ex habitu ftdei rctardatur ne consent iat contrariis articulorum quos solum implicite novit, ut scilicet, cum sibi proponuntur, quasi insolita suspecta habeal et assensum différât, etc. Quæst. disp., De verilale, q. xiv, a. 1 1, ad 2um. C’est évidemment dans un sens lerge, suffisant à réfuter l’objection qu’il propose, que saint Thomas entend ce potest omnes errores vilare : « le fidèle ignorant, veut-il dire, a un moyen général d’éviter les erreurs, » ce qui n’implique pas que ce moyen sera efficace dans tous les cas et dans tous les détails, ce serait alors dans le simple fidèle un charisme d’infaillibilité qui ne lui est pas nécessaire, et qui rendrait inutile celui de l’Église. Et remarquez ce retardatur, cet assensum différai. D’après le docteur angélique, le rôle de l’habitas ftdei n’est donc pas de discerner du premier coup et avec une infaillibilité absolue le donné révélé et croyable de foi divine, mais seulement de « retarder l’assentiment aux énoncés contraires, » — à quoi contribue, d’autre part, l’enseignement reçu, retenu et passé en accoutumance, en sorte que les assertions « insolites » , nouvelles, mettent en défiance cet esprit à demi instruit mais bien disposé, et qu’il « diffère d’y donner son adhésion » jusqu’à ce qu’il ait consulté ceux que l’Église a chargés de lui donner au besoin un supplément d’enseignement religieux. C’est à peu près dans le même sens qu’il faut entendre saint Jean, quand, voulant préserver les premiers chrétiens de la séduction des hérétiques, il fait appel non seulement à « l’enseignement reçu dès le commencement, » I Joa., ii, 24, mais encore à un principe surnaturel qui est en eux et qu’il appelle une onction permanente (maneat) et venant du Saint-Esprit, 26, 27. Quand il dit : Vos unelionem habetis a Sancto, et nostis omnia, 20, ce nostis omnia, en apparence si universel, demande évidemment à être atténué. Ainsi comprise avec les restrictions nécessaires, cette influence protectrice de la vertu infuse sera d’autant plus efficace que le fidèle aura été mieux instruit de sa religion dès le début et dans la suite, comme ceux à qui parle saint Jean, qu’il aura exercé plus longtemps cette vertu infuse de foi sous la direction de l’Église, et développé en lui par cet exercice un certain sens catholique, bien remarquable dans nombre de fidèles, qui du premier coup flairent l’erreur ou « suspectent certaines propositions insolites, » comme dit le texte objecté. Au reste, saint Thomas lui-même admet ailleurs expressément que les simples peuvent être parfois invinciblement induits en quelque erreur de détail par ceux qui les instruisent, et quç cela ne nuira pas à leur foi, pourvu qu’ils ne s’opiniâtrent pas dans la suite s’ils sont avertis de leur erreur par l’enseignement de l’autorité supérieure. Sum. theol., II a IL » , q. ii, a. 6, ad 2um, 3um. L’explication que nous avons donnée de la théorie de saint Thomas sur l’influence de vertu de foi en matière de crédibilité se trouve déjà chez les anciens théologiens ; nous citerons deux graves autorités. « Ce que veut dire saint Thomas, c’est que la vertu de foi a un rôle impulsif ou dispositif à l’égard du jugement de crédibilité ; non pas en ce sens, qu’il ne puisse absolument se produire sans l’impulsion de cette vertu ; mais parce que la foi dispose l’homme à porter ce jugement plus facilement et plus promptement. De même