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Et si elle ne lui suffît pas, il ne pourra pas davantage croire les vrais mystères, puisqu’ils ne lui sont proposés que par la même autorité ; les enfants devront donc répondre à tous leurs curés, dans tous les catéchismes : « Attendez que nous ayons vérifié si ce que vous dites est conforme à la doctrine de l'Église ; nous voyagerons hors de notre village, de paroisse en paroisse, pour voir si l’on enseigne cela partout ; ou bien, comme notre évêque pourrait encore se tromper, nous écrirons au pape. En attendant, nous doutons 1° En première ligne, le doute sur ce qu’on leur enseigne ; voilà une belle formation de l’enfance ! Recourra-t-on à une grâce extraordinaire de Dieu, qui en pareil cas les avertisse de ne pas croire ce faux article ? C’est la solution imaginée au moyen âge par Guillaume d’Auxerre, qui regardait comme gravement coupables tous les ignorants élevés par des pasteurs hérétiques, parce que, s’ils priaient comme ils le doivent et s’ils faisaient pour le mieux, ils seraient surnaturellement illuminés de Dieu pour ne pas admettre d’erreur. Summa, 1. III, tr. III, c. ii, q. m.

Mais Suarez ne peut recourir à cette solution de Guillaume : un peu auparavant il la traitait d' « incroyable » en notant qu’elle est rejetée par tous les théologiens. « Elle est contre l’expérience, ajoutait-il, et contre la condition humaine, et sans aucun fondement solide ; rien ne prouve, en effet, une telle pormesse (d’illuminaton extraordinaire) de la paît de Dieu, car une erreur matérielle contre la foi n’est pas contre le salut éternel, il n’est donc pas nécessaire que Dieu, par une providence spéciale, illumine qui que ce soit pour le préserver d’une erreur de cette sorte, fût-il d’ailleurs un saint. » Loc. cil., n. 5, p. 109. Et ici il a raison.

Concluons que cette opinion, émise en passant, dans un moment d’oubli, et non sans hésitation, par un grand homme, est insoutenable, et demande aux simples beaucoup trop de critique. C’est pourquoi elle a été aussitôt blâmée par de célèbres théologiens. Adam Tanner dit que « la principale raison pour laquelle Suarez l’a enseignée à Rome en 1583 (son traité De fide n’a été publié qu’après sa mort, en 1621), c'était la crainte d'ébranler la certitude de la foi, si jamais une doctrine fausse pouvait être suffisamment proposée comme devant être crue de foi divine. » Theologia scholastica, dist. I, q. ii, n. 111, Ingolstadt, 1C27, t. iii, col. 106. A l’encontre, Tanner établit que, pour être obligé de croire de foi divine, pas n’est besoin d’avoir une proposition extérieure telle qu’elle ne puisse tomber sur un objet faux, loc. cit., n. 132, col. 113, et. que la certitude de la foi surnaturelle, quand elle a heu, n’en est nullement affaiblie, n. 137, col. 114. Arriaga dit de cette opinion de Suarez : Hsec sententia, salua reuerenlia lanlo viro débita, mihi videtur omnino improbabilis. D’après lui, « elle prive du véritable acte de foi la plus grande partie des fidèles et elle est contre le sentiment commun des théologiens, comme son auteur l’avoue. » Cursus llieologicus, De fide, dist. IV, n. 54, Anvers, 1649, t. v, p. 78. Il montre ensuite combien il est peu pratique de tant exiger des enfants et des ignorants ; et à cette objection qu’on leur donne un catéchisme imprimé, par où ils constatent la doctrine de l'Église, il répond : « C’est un fait accidentel qui ne résout pas la question, car ceux qui ne savent pas lire ne sont pas incapables de l’acte de foi (et avant l’invention de l’imprimerie ?) ; et puis, même dans un livre de ce genre peut se rencontrer l’erreur, si dans un diocèse on corrompait la doctrine ; enfin, lorsqu’il ne s’y trouve de fait aucune erreur, cela ne donne pas aux enfants l'évidence (ou la certitude infaillible) qu’il n’y en a pas, et ils ne peuvent s’en faire une démonstration si forte (qu’elle '

suffise à tous les esprits) ; et cependant ils peuvent croire indubitablement, » n. 55, p. 79. Il conclut : « J’ai longuement insisté, parce que cette opinion est tout à fait nouvelle, et comme il s’agit d’une chose très pratique, elle pourrait causer de grands scrupules et empêcher beaucoup d’actes de foi, parce qu’elle ferait dire aux gens qu’ils n’ont pas encore l'évidence voulue, et qu’ils ne sont pas tenus de croire, » n. 68, p. 82. Lugo dit que l’opinion de Suarez tombe presque dans le même défaut que celle de Guillaume d’Auxerre qu’il rejette. Dispulaiiones, De fide, disp. IV, n. 84, Paris, 1891, t. i, p. 294. Parmi les théologiens de nos jours, Schifflni dit que le système du discerniculum expérimentale (que nous rejetterons tout à l’heure avec tous les théologiens) n’est qu’un simple développement de l’opinion de Suarez. De virtutibus infusis, n. 148, p. 264. Et Mendive, malgré son affection pour le doclor eximius, son compatriote et son guide ordinaire, écrit : « Dire avec Suarez que jamais de fait un article faux n’est proposé de manière à obliger à le croire comme on croit les articles vrais, c’est soutenir une chose tout à fait inadmissible. » Insliluliones théologies dogmatico-scholasticæ, Valladolid, 1895, t. iv, p. 402.

Suarez lui-même, du reste, et dans le même traité, semble parfois abandonner cette malheureuse opinion pour parler comme tous les autres. Il admet que l'évidence de crédibilité peut tomber sur l’impossible (donc sur le faux) : Aliquid impossibile potest fieri credibile, disp.IV.sect. n.n. 9, p. 119. Plus loin, parlant de l’ignorance invincible chez les fidèles, il dit : Sœpe forte accidil ut homo rusticus, audiens explicationem aticujus arliculi fidei, loco verilalis errorem concipial, aquo sine dubio per ignorantiam seu perquamdam incapacilatem excusatur, disp. XV, sect. ii, n. 5, p. 405. La même incapacité doit a jorliori excuser ce même homme dans le cas où ce n’est pas lui qui entendrait de travers, mais le curé qui lui enseignerait un article faux ; si l’on admet pour le premier cas qu’en tâchant de croire de foi divine une erreur, il serait dans son devoir, il paraît logique de l’admettre aussi pour le second ; et dans le second l’inconvénient n’est pas plus grand pour lui ou pour la certitude de la foi en général.

Sans doute, si les enfants et les simples faisaient eux-mêmes cette réflexion, que, sous la même apparence de crédibilité, on pourrait à la rigueur leur proposer un article faux, il pourrait leur devenir impossible de donner une ferme adhésion même aux articles vrais, et la certitude de leur foi serait ébranlée ; c’est une des objections faites contre la certitude respective. Mais l’expérience prouve qu’ils ne la font pas, cette réflexion. « Les théologiens qui nous objectent cela. ditRassler, s’illusionnent en s’imaginant que les simples font à propos des objets de notre foi, de leur crédibilité, et de la manière dont on les leur propose, les réflexions que font ces théologiens eux-mêmes, hommes ingénieux et subtils, avec leur longue habitude de philosopher. Rien de plus faux. » Controv. theol. de uli. resolulione fidei, 1696, n. 273, p. 362, 363. Il en est de même de cette réflexion : « Moi je ne vois pas de difficulté à admettre ce que dit le curé, mais un savant pourrait en voir ; et les motifs que j’ai de croire pourraient ne pas lui suffire. » Les enfants et les simples n’ont pas coutume de faire de telles réflexions : « Si quelqu’un d’eux les faisait, dit Lugo. s’il comparait ses motifs avec ce qu’il faut aux savants, s’il pensait que ces motifs ne suffiraient pas à les obliger à croire, dès lors ils ne lui suffiraient plus à lui-même, et l’on sortirait du cas que nous examinerons à présent, » disp. V, n. 37, p. 326. C’està-dire qu’on entrerait dans le cas plus difficile où l’intelligence des simples se développe et devient plus exigeante ; nous le traiterons plus loin, en par-