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FOI


la grande encyclique sur le modernisme ; et, pour en donner une explication satisfaisante, il n’est nullement besoin de supposer (comme d’aucuns l’ont fait) que cette proposition 25 du décret Lamentabili reproduise une théorie de Newman sur la preuve du fait de la révélation par des « probabilités convergentes » . Quelle apparence, d’ailleurs, que le cardinal Newman, et pour une théorie très défendable comme nous le verrons tout à l’heure, ait été mis au nombre des partisans de » ce rendez-vous de toutes les hérésies, » comme Pie X nomme le modernisme, Denzinger, n. 2105? La différence entre la position du cardinal et la leur est d’ailleurs manifeste et multiple. Les modernistes méprisent l’assentiment de foi dogmatique lui-même, et c’est pourquoi ils déprécient sa valeur intellectuelle, en disant qu’il n’est étayé que par des probabilités ; Newman, dans la Grammar of assent où il expose cette théorie, vénère la foi au sens théologique, avec ses dogmes et son motif spécifique, et ses préambules, et ses motifs de crédibilité. La proposition moderniste dit d’une manière universelle : « L' assentiment de foi est fondé sur des probabilités ; » Newman dit : Le fait de la révélation, comme les autres faits historiques, peut être démontré par un ensemble de probabilités ; mais il n’a jamais dit qu’on pût démontrer de la sorte tous les autres préambules de la foi, par exemple, la science de Dieu, sa véracité ; la proposition condamnée est donc trop universelle pour exprimer sa pensée. Newman ne parle que de probabilités « convergentes » ; la proposition 25 ne reproduit pas ce mot, capital dans sa théorie ; et les modernistes ne veulent rien savoir de cette théorie qui sert à prouver contre eux la certitude morale du fait d’une révélation surnaturelle dont ils ne veulent pas. Ils disent que toute notre foi intellectuelle ne s’appuie que sur des probabilités qui restent toujours des probabilités ; Newman dit que le fait de la révélation peut être prouvé par un tel ensemble de probabilités que la raison arrive à en dégager une certitude légitime. Les modernistes entendent que, même pour ceux qui saisissent le mieux les arguments les meilleurs de notre théodicée et de notre apologétique, ces arguments ne peuvent élever personne au-dessus des probabilités ; Newman, quand il lui arrive d’appeler « probable » toute la preuve préalable dont il se contente pour la foi, se préoccupe alors de la foi des simples, question, comme nous l’avons dit, que nous ne devons pas encore considérer ici, pour éviter une extrême confusion. Voir Croyance, t. iii, col. 2392. Depuis le décret Lamenlabili, de graves théologiens ont pris, au sujet de cette proposition, la défense de Newman ; tel le P. Christian Pesch : « Si (les modernistes), dit-il, avaient seulement voulu dire que la certitude morale est souvent produite par des arguments qui, pris séparément, sont seulement probables, et qu’une telle certitude suffit à la connaissance des préambules de la foi, ils n’auraient rien dit que de vrai. C’est ce qu’enseigne le cardinal Newman, souvent cité. Grammar of assent, 4e édit., Londres, 1874, p. 410 sq. Voir ce que j’ai écrit dans les Theologische Zeitfragen, t. v, p. 104 sq. » Pesch, Prselectiones dogmaticæ, 3e édit., 1910, t. viii, p. 131. De même le P. Le Bachelet, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d’Alès, t. i, col. 238. Cf. Chossat, Le décret Lamentabili, Paris, 1907, p. 71.

b. Théorie des probabilités convergentes. — Ceci nous amène à examiner rapidement cette théorie, non seulement à cause de la justice à rendre à Newman, mais encore à cause du grand intérêt qu’elle présente dans la question du fait de la révélation, et de la manière de prouver avec certitude ce préambule de la foi. Notons d’abord que des preuves ou indices, qui, séparément, sont seulement probable-, peuvent s’accumuler de deux manières très différentes : en dépendant

ou en ne dépendant pas les uns des autres. — Exemples de la première sorte d’accumulation. Plusieurs historiens s’accordent pour attester un fait : mais le premier, dont le témoignage n’a qu’une valeur probable, a été simplement copié par le second, le second par le troisième et ainsi de suite ; c’est une chaîne qui dépend tout entière du premier témoignage, et ne peut en dépasser la valeur. Souvent même le dernier anneau de la chaîne est beaucoup moins solide que le premier : d’une conjecture je conclus à un fait probable ; sur ce seul fait je base l’induction d’une loi physique hypothétique ; enfin, au moyen de cette loi, je prédis que tel nouveau fait va se produire. Ou bien : cet homme a été peut-être assassiné ; s’il l’a été, c’est vraisemblablement par quelqu’un que l’on a vu se promener avec lui, avant qu’il disparaisse ; ce quelqu’un ressemblait assez à tel homme que voici ; c’est donc probablement un assassin. Dans ces exemples, la conclusion court bien plus de risques que le point de départ, et vaut beaucoup moins ; les chances d’erreur se sont accumulées ; c’est à ces chaînes de probabilités dépendantes les unes des autres, que s’applique le mot de saint Thomas : Parvus error in principio magnus est in fine. Cf. Clarke, S. J., Logic, Londres. 1889, p. 430, 431. Exemples de la seconde sorte d’accumulation. On a pris la photographie et le signalement très exact d’un criminel ; échappé de prison, on le recherche ; on arrête quelqu’un qui ressemble à cette photographie ; on n’a encore que des probabilités insuffisantes, il y a des ressemblances si extraordinaires 1 Mais voici qu’un sérieux examen du corps entier, des mensurations qui concordent, des signes particuliers que l’on reconnaît, des empreintes de doigts, le son de la voix et la manière de parler, etc., fournissent nombre d’indices, qui, indépendants les uns des autres, apportant chacun de son côté sa probabilité nouvelle, convergent tous vers le signalement donné ; d’autre part, rien ne s’oppose sérieusement à l’identification. Dans ces conditions, une certitude légitime se produit, beaucoup même n’auront pas l’idée de douter. Ce qui s’est fait là scientifiquement, méthodiquement, se fait instinctivement chaque jour : nous ne doutons pas que nous parlions à Pierre, ou à Paul : et comment les reconnaissons-nous, sinon par un ensemble de signes rapidement aperçus, traits du visage, son de la voix, etc., qui tous convergent avec l’image de Pierre ou de Paul, imprimée dans notre mémoire ? C’est aussi de la sorte que nos sens extérieurs, indépendants les uns des autres, se prêtent à chaque instant un mutuel secours : mes yeux aperçoivent un objet qui par sa forme et sa couleur semble être une vraie fleur ; mais ce pourrait être une fleur artificielle ; le toucher vient aussitôt attester la souplesse des pétales, l’odorat de son côté atteint le parfum ; la certitude naît de ces impressions concordantes. Cf. Allies, The throne of the fisherman, Londres, 1887, p. 17. L’existence d’une ville que nous n’avons jamais vue ne fait pas, pour nous, l’ombre d’un doute, et d’où vient cette certitude ? D’une foule de témoignages accumulés de divers côtés, dont nous avons un souvenir confus : ici un journal, là un autre journal, un livre, un voyageur. Chacun de ces témoignages était-il en lui-même digne de foi ? Nous ne savons même plus ceux qui en parlaient. Mais la concordance de tous ces témoignages indépendants les uns des autres est à elle seule un phénomène à part, qui réclame une raison suffisante, une cause spéciale et proportionnée : et toute conspiration et dépendance mutuelle étant hors de cause, nous ne trouvons à ce phénomène qu’une explication, la vérité du fait, l’existence réelle de cette ville, qui a pareillement exercé son influence sur tous ces témoins, pour les amener à l’uniformité du témoignage. Une erreur